Avez-vous déjà joué à la Wii, cette console de jeux dotée d’une télécommande capable de détecter les mouvements de l’utilisateur et de les transposer sur un écran de télévision ? C’est un peu ce que font les patients de Lionel Bonnet, au CHU de La Réunion. « Vous mettez un casque sur votre visage et d’un coup, vous êtes projeté ailleurs, sur un terrain de bowling ou de tir à l’arc », illustre-t-il. Depuis un an et demi, ce kinésithérapeute utilise la réalité virtuelle pour rééduquer des personnes souffrant de douleurs chroniques. « Ce matin, j’ai reçu une fillette atteinte d’arthrite juvénile. Comme elle rêvait d’aller à la neige, je lui ai fait faire de la luge et du ski », s’enthousiasme-t-il.

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Ces immersions dans d’autres mondes n’ont pas seulement l’avantage de détourner l’attention des malades. « Pendant quelques minutes, ces gens qui vivent jour et nuit avec des douleurs persistantes vont passer un moment agréable, mais aussi gagner en mobilité en se concentrant sur un exercice imposé, explique Lionel Bonnet, qui filme systématiquement la séance. Quand je leur montre la vidéo, ils sont toujours stupéfaits de voir les mouvements qu’ils ont faits, alors qu’ils ont souvent développé une kinésiophobie, une peur de bouger. Là, ils sautent pour éviter un obstacle ou se baissent pour contourner une branche… »

Précieux alliés des soignants

Loin d’être de simples gadgets, les casques de réalité virtuelle sont ainsi devenus de précieux alliés des soignants pour soulager la douleur, qu’elle soit chronique ou aiguë. « Ce sont des dispositifs médicaux à part entière, avec des normes au niveau européen », insiste le docteur Abesse Ahmeidi, chef du département d’anesthésie-réanimation-douleur au Centre de lutte contre le cancer Oscar-Lambret, à Lille. « Le parcours des personnes atteintes d’un cancer est souvent jalonné de prises de médicaments, de chirurgie, de radiothérapie. Le recours à la réalité virtuelle ne les remplace pas mais elle représente une autre voie », explique-t-il.

Accompagnées d’une voix douce et de musiques apaisantes, balades en forêt ou sessions de plongée sous-marine virtuelles ont aussi l’avantage de diminuer l’anxiété, comme l’a constaté Anne-Céline Milanov. « Dans le cas de douleurs chroniques, l’intrication entre ­anxiété et ressenti douloureux est souvent très forte. Agir sur l’une, c’est agir sur l’autre », souligne cette psychologue au Centre d’évaluation et de traitement de la douleur chronique de la clinique de la Toussaint, à Strasbourg. Ici, on utilise un dispositif mis au point par une start-up locale, Healthy Mind. Pas de mouvements à faire, il n’y a qu’à se laisser porter. « Les patients sont tellement happés par ce qu’il se passe, les papillons qui volent, les feuilles des arbres qui frémissent, les couleurs, la lumière… qu’ils n’ont pas le temps de penser à autre chose », souligne Yaël Berg-Amar, algologue à la clinique de la Toussaint. Et surtout pas à leur douleur, presque envolée. « Certains découvrent pour la première fois depuis longtemps qu’ils peuvent se sentir bien, souligne la médecin, et cela sans médicament. »