Il est certains événements qui restent gravés avec netteté dans la mémoire. Je suppose que, pour moi, l’incendie de Notre-Dame en fera partie. Les flammes gigantesques qui embrasèrent le ciel de rouge, le bruit de l’hélicoptère qui tournoyait, l’odeur mordante de brûlé, l’ahurissement dans les yeux des personnes qui se trouvaient là, leur silence étrange : je m’en souviens comme si c’était avant-hier.

Ce que je n’oublierai sans doute jamais non plus, ce sont les paroles de ce couple âgé, derrière le ruban de police, face à la cathédrale en feu. “C’est vraiment bizarre, hein”, m’ont dit Christine et Daniel, qui, comme bon nombre des Français que j’ai abordés dans ma vie de correspondant à Paris, préféraient ne pas donner leur nom de famille. “Bizarre”, voilà qui résumait plutôt bien la situation. Mais à la manière dont ils ont prononcé ce mot, j’ai immédiatement compris qu’ils parlaient d’autre chose.

“Il n’y a pas si longtemps, il y a aussi eu un incendie à Saint-Sulpice”, a poursuivi l’homme, avec un regard qui en disait long. “Et maintenant c’est Notre-Dame qui part en flammes. Juste avant Pâques en plus. Faut-il vraiment croire que ce n’est qu’un hasard ?” Le fait est que, un mois plus tôt, Saint-Sulpice, la deuxième plus grande église de Paris, avait été prise dans les flammes. Le feu était parti d’un tas de vêtements appartenant à un SDF, lesquels avaient été posés devant la porte d’entrée du monument [peut-être] dans un geste de désespoir.

On ne nous dit pas tout

À ce moment-là, peu après le départ de flammes, rien n’indiquait que l’incendie de Notre-Dame eût été d’origine criminelle. Et, après une minutieuse enquête, la thèse d’une origine accidentelle est aujourd’hui privilégiée. Mais le fait qu’il s’agisse d’un malheureux hasard, Christine et Daniel ne voulaient pas y croire. C’était un hasard beaucoup trop gros. Non, c’est sûr, le gouvernement refusait de dire ce qu’il en était vraiment. Et ce sentiment – on ne nous dit pas tout, les autorités manigancent quelque chose – était présent dans presque tous les reportages que j’ai réalisés pendant mes deux ans et demi en France.

Ainsi, quand il durcit la réglementation de la chasse, le ministère de la Transition écologique a beau expliquer que cela vise à freiner le déclin d’espèces rares d’oiseaux, il paraît évident que les autorités ont en fait un agenda caché, qu’elles veulent expulser les gens des terres. C’est en tout cas ce que m’affirme un chasseur tandis qu’il évolue en cuissardes dans la boue. Non, il n’a pas de preuve de ce qu’il avance, il le sent, c’est tout. Idem en septembre dernier, quand le gouvernement décide que les cafés et les restaurants de Marseille doivent temporairement fermer, il a beau expliquer que c’est pour endiguer la propagation du coronavirus, la vraie raison, bien entendu, c’est qu’à Paris, on déteste les Marseillais rebelles : pratiquement tous ceux avec qui je discute dans cette ville portuaire du sud de la France me l’assurent, sans l’ombre d’un doute. Il faudrait être naïf pour ne pas le voir.

Même dans mon quartier, la méfiance envers les autorités se manifeste continuellement. Une augmentation du coût des amendes de stationnement n’est jamais une simple augmentation du coût des amendes de stationnement. Non, il y a derrière tout cela un plan secret pour remplir les caisses de la municipalité. Le voisin, le boulanger et mon ex-belle-famille sont tous parfaitement d’accord là-dessus.

Complotisme et confiance

Si le complotisme progresse à une allure inquiétante dans le monde occidental, la France y est particulièrement sujette : 43 % de la population pense que les autorités et l’industrie pharmaceutique dissimulent la dangerosité des vaccins ; 25 % pense que les élites stimulent l’immigration pour remplacer la population autochtone ; 22 % pense qu’il existe un complot sioniste mondial. “Quel est le vrai pouvoir des réseaux gays ?”, titrait il y a quelques années, sans la moindre gêne, le magazine économique Challenges. Derrière cette croyance, largement répandue, dans des théories oiseuses se trouve une profonde méfiance, encore plus largement partagée. Ainsi, 85 % des Français ont le sentiment que leurs dirigeants politiques ne se préoccupent pas d’eux. Et 72 % trouvent que les politiques sont corrompus. C’est ce qui ressort d’un rapport publié en 2019 par Sciences Po Paris. La méfiance qui s’est exprimée dans cette enquête était si forte que, cette année-là, l’institut d’études politiques a même envisagé de renommer son “baromètre de la confiance politique” “baromètre de la défiance politique”.

Cette défiance n’est bien sûr pas un phénomène exclusivement français : le sentiment que l’on ne peut pas faire confiance aux dirigeants politiques et qu’ils n’ont pa