La pollution liée à la production de viande tue des milliers de personnes chaque année

Source majeure de pollution atmosphérique, l’agriculture causerait la mort de 17 900 personnes chaque année, rien qu'aux États-Unis.

De Sarah Gibbens
Publication 12 mai 2021, 12:57 CEST
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Un tracteur laboure un champ à Thermal, dans la vallée de Coachella. La poussière contribue fortement à la mauvaise qualité de l’air dans la vallée, qui est inférieure aux normes californiennes et fédérales. Le taux d’hospitalisations pour l’asthme infantile du comté est le plus élevé de Californie.

PHOTOGRAPHIE DE David Bacon, Report Digital-REA, Redux

Lorsque nous pensons à la pollution atmosphérique, l’une des principales causes de mortalité aux États-Unis, les tuyaux d’échappement et les cheminées des usines et centrales électriques nous viennent généralement à l’esprit. Pourtant, selon une nouvelle étude, 16 000 décès par an outre-Atlantique sont imputables à la pollution de l’air résultant de l’agriculture et de l’élevage. La production de produits d’origine animale, comme la viande, les produits laitiers et les œufs, est responsable de 80 % de ces morts.

D’autres décès sont imputables à la production de produits non destinés à notre consommation, comme l’éthanol, le cuir et la laine. Au total, la pollution de l’air causée par l’agriculture est responsable de 17 900 morts par an outre-Atlantique.

« Nous réfléchissons beaucoup à la manière dont les aliments que nous consommons ont une incidence sur notre santé, mais il s’avère qu’ils ont aussi une incidence sur celles de nos concitoyens », déclare Nina Domingo, auteure principale de la nouvelle étude, parue le 10 mai 2021 dans la revue Proceedings of the National Academy of Scientists. Celle-ci identifie les aliments qui contribuent le plus à la létalité de la qualité de l’air.

Cela fait plus de dix ans que l’impact environnemental de certains aliments, à savoir leur empreinte carbone et l’utilisation des terres et de l’eau nécessaires à leur culture, est étudié. Mais cette nouvelle étude est la première à déterminer quels produits et régimes alimentaires ont la plus grande incidence sur la pollution atmosphérique, qui provoque asthme, infarctus et AVC.

« Les effets à long terme du réchauffement climatique sont considérables et plutôt inquiétants, mais ce phénomène tue déjà des gens », explique Jason Hill, ingénieur en biologie systémique à l’université du Minnesota et auteur principal de l’étude. « Ce sont des émissions générées chaque année, qui affectent les citoyens et entraînent une dégradation de la qualité de vie ».

L’étude a été critiquée par les groupes du secteur, notamment la National Cattlemen’s Beef Association (Association nationale des éleveurs de bovins), une organisation commerciale qui a passé en revue les conclusions des scientifiques. Selon elle, ces dernières sont « fondées sur des affirmations erronées et un manque de données ». L’association décrit l’étude comme contribuant de manière « fallacieuse à un discours erroné sur l’élevage ». Même son de cloche du côté de l’American Farm Bureau Federation (Fédération agricole américaine), qui estime que l’étude donne une version exagérée de la « définition de cause à effet ».

Face aux critiques, Jason Hill a tenu à préciser que les données utilisées provenaient de publications examinées par des pairs, ainsi que de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) et du Département de l’Agriculture des États-Unis.

« Tous les modèles ont fait l’objet d’un examen approfondi par des pairs et ont été largement utilisés par notre équipe et d’autres [chercheurs] », ajoute-t-il.

 

QUEL EST L’ALIMENT LE PLUS POLLUANT ?

Pour déterminer l’impact sur la santé des produits d’origine animale, les auteurs de l’étude se sont penchés sur les éléments nécessaires à leur production. L’utilisation d’engrais, le labourage, l’emploi de tracteurs à moteur diesel et la gestion des déjections du bétail ont tous été passés au crible.

« Notre agriculture est en grande partie motivée par l’élevage. Cela comprend certes les animaux, mais aussi les cultures destinées à les nourrir », confie Jason Hill.

Ainsi, la culture du maïs pour l’alimentation du bétail et la production de carburant est responsable de 3 700 décès par an aux États-Unis, causés par la pollution atmosphérique. En calculant le nombre de morts liées à l’influence de l’élevage et de la culture des aliments destinés au bétail sur la qualité de l’air, les chercheurs ont découvert que 4 000 décès étaient imputables chaque année dans le pays à la production de viande de bœuf. Un chiffre qui atteint 9 000 morts lorsque l’on ajoute la production de viande de porc et laitière.

La culture de légumes, catégorie qui comprend le maïs destiné à être consommé par les humains, est elle responsable de 100 décès par an sur le sol américain.

Selon Jason Hill, l’impact négatif de la culture du maïs destinée à la consommation humaine sur la qualité de l’air est « si faible qu’il en est presque imperceptible. Moins de 1 % du maïs cultivé est du maïs doux ».

« Nous nous efforçons de ne pas avoir d’idées préconçues lorsque nous menons une étude, mais il est frappant de voir à quel point elles sont concentrées dans une poignée de groupes alimentaires », remarque Nina Domingo, spécialisée en ingénierie biosystémique à l’université du Minnesota.

 

MODIFIER NOS RÉGIMES ALIMENTAIRES, LA SOLUTION ?  

Comment les agriculteurs et les consommateurs peuvent-ils réduire l’impact de l’agriculture sur la pollution atmosphérique ? L’étude énonce un certain nombre d’actions pouvant être entreprises en ce sens, parmi lesquelles figurent une meilleure gestion des déjections issues de l’élevage et une application plus efficace de l’engrais. Selon les scientifiques, la mise en pratique de l’ensemble des recommandations par les agriculteurs permettrait de sauver 7 900 vies par an aux États-Unis.

Chaque citoyen peut également agir à son échelle. Ainsi, la qualité de l’air serait grandement améliorée si tous les consommateurs changeaient leur régime alimentaire. Selon les scientifiques, si les Américains remplaçaient la viande rouge par de la volaille, environ 6 300 morts liées à la pollution atmosphérique pourraient être évitées chaque année. En devenant végétariens, végans ou flexitariens (c’est-à-dire en mangeant de la viande de manière occasionnelle), entre 10 700 et 13 100 vies pourraient être sauvées annuellement.

« L’un des bons conseils que l’on m’a donnés au début de ma carrière, c’est qu’il faut donner une solution lorsque l’on signale un problème. C’est bien de montrer que 18 000 personnes décèdent chaque année de [la pollution atmosphérique], mais comment comptez-vous lutter contre ce problème ? », demande Jason Hill.

 

LE RÔLE DES PARTICULES FINES

L’objectif de cette étude était de découvrir quels aliments et régimes contribuaient à une dégradation de la qualité de l’air. Pour les aider dans cette mission, les chercheurs ont utilisé les données du National Emissions Inventory (Inventaire national des émissions), une branche de l’Agence américaine de protection de l’environnement qui suit la pollution atmosphérique aux États-Unis.

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« Il s’agit d’un inventaire très détaillé de l’ensemble des sources d’émissions contribuant à la pollution atmosphérique, notamment des PM 2.5, les plus nocifs des polluants atmosphériques », indique Jason Hill.

Pour leurs modèles, les chercheurs se sont basés sur une recherche estimant à 100 000 le nombre de décès annuels aux États-Unis résultant de la pollution atmosphérique. Selon les sources, ce chiffre oscille entre 60 000 et 200 000 morts.

L’étude a ainsi modélisé l’effet des PM 2.5, un type de pollution connu sous le nom de « particules fines ». D’un diamètre de 2,5 microns, ces particules microscopiques sont 100 fois plus fines qu’un cheveu. Elles se forment à partir de centaines de sources différentes, comme les incendies, les gaz d’échappement et les émissions des usines. Leur petite taille leur permet de s’introduire dans les poumons et de causer des problèmes respiratoires et cardiaques.

Dans l’agriculture, les PM 2.5 proviennent de la poussière, du labour des champs ou encore des gaz d’échappement libérés par les moteurs diesel des tracteurs. Elles sont également générées par certains polluants qui, au contact de l’air, subissent des transformations chimiques qui transforment le polluant gazeux en particules fines. C’est notamment le cas de l’ammoniac, présent dans les engrais, le fumier et les fosses à lisier.

À l’aide des données, les scientifiques ont exécuté trois modèles complexes pour identifier la manière dont se déplacent les émissions de PM 2.5 dans l’atmosphère et pour déterminer le nombre de personnes susceptibles de les respirer. Les données du recensement américain ont permis aux chercheurs d’estimer le nombre de personnes qui tomberaient malades au fil du temps.

« Si vous exposez une population à une certaine quantité d’une toxine, vous pouvez vous attendre à ce qu’un certain nombre de personnes meurent de cette toxine », explique Jason Hill.

L’Association des éleveurs de bovins a remis en cause les méthodes de modélisation et les données de l’EPA employées. Ethan Lane, vice-président du groupe responsable des affaires gouvernementales, a fait savoir dans un communiqué que l’étude « essaie de cultiver un discours trompeur quant au fait que les émissions d’ammoniac des fermes sont responsables de milliers de morts. Il n’existe aucune méthode fédérale de la sorte en matière d’agriculture, ce qui jette un sérieux doute sur l’exactitude de ces conclusions ».

Dans un communiqué, la Fédération agricole américaine a suggéré que les scientifiques avaient fait « un travail colossal pour donner une version exagérée de la définition de cause à effet. N’oublions pas que les agriculteurs et propriétaires de ranch américains font vivre 330 millions d’Américains en produisant la nourriture sans laquelle nous ne pourrions pas exister et en réduisant l’insécurité alimentaire dans le monde ».

 

DES CONSÉQUENCES GRAVES

Une fois inhalées, les PM 2.5 irritent le système respiratoire et poussent le système immunitaire à attaquer le polluant. L’organisme produit alors des cytokines, des protéines qui « envoient un message pour avertir de l’existence d’un problème et de la nécessité d’une réaction immunitaire », décrit Jack Harkema, toxicologue à l’université d’État du Michigan et ancien membre du comité consultatif scientifique sur la qualité de l’air de l’EPA sous l’administration Obama, qui n’a pas pris part à l’étude.

En cas d’exposition régulière à l’air pollué, la réaction immunitaire devient durable et cause des dommages dans d’autres parties du corps.

« Nous connaissons l’effet direct des [PM 2.5] sur les poumons. Elles peuvent causer des maladies et des inflammations chroniques comme l’asthme. Pour ce qui est du système cardiovasculaire, c’est un peu différent », précise le toxicologue.

« Nous pensons que les cytokines sont notamment transportées jusqu’au cœur et qu’elles y suscitent une réaction inflammatoire », poursuit-il. Les médecins savent aujourd’hui qu’en perturbant le système nerveux et en augmentant les chances qu’une personne développe un caillot sanguin, les PM 2.5 prédisposent ces derniers aux infarctus.

Jack Harkema espère que cette nouvelle étude infirmera l’idée largement répandue selon laquelle la pollution atmosphérique est d’abord un problème de densité démographique.

« De nombreuses personnes associent la pollution atmosphérique aux particules fines aux zones urbaines et croient que les zones rurales sont peu concernées par cela. Cette étude donne une nouvelle perspective », souligne-t-il.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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