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Jeanne Paquin, première reine de la haute couture française

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Jeanne Paquin est la première grande couturière française à connaître un succès international dès la fin du XIXe siècle. Retour sur son parcours grâce à Gallica.

Le Journal, 1er janvier 1912

Les débuts d’une grande maison de couture

Commençant son apprentissage en banlieue parisienne, Jeanne Beckers rejoint la chic maison Rouff avant d’intégrer Paquin, Lalanne et Cie. Elle y rencontre Isidore-René Jacob dit Paquin, qu’elle épouse en janvier 1891. Ensemble, ils ouvrent au cours de la même décennie une maison de couture au 3 rue de la Paix, « la plus célèbre rue du monde ».
 

Jeanne Paquin est alors chargée de concevoir les créations et son mari de gérer l’affaire. 

Proche des milieux dreyfusards, ce dernier assiste au procès d’Emile Zolason altercation avec l’antidreyfusard Paul Déroulède et la demande de duel sont largement relayées par la presse. Le ton est souvent très dur, y compris envers elle. Isidore Jacob, devenu officiellement Paquin à la fin des années 1890, est nommé chevalier de la  Légion d’honneur. La légitimité de cette distinction est controversée à la Chambre des députés et dans les journaux, ce qui lui vaut d’apparaître dans le Musée des Horreurs (n°24), série de caricatures antidreyfusardes et antisémites. Au tournant du XXe siècle, Jeanne Paquin et son mari sont proches des milieux politiques qui arrivent au pouvoir, notamment d’Alexandre Millerand et de Pierre Waldeck-Rousseau. 

Côté mode, la couturière se démarque par « ses robes du soir romantiques, sa lingerie raffinée et ses tailleurs garnis de fourrure », qui enchantent femmes aristocrates et cocottes. La couturière est également connue pour ses tenues simples agrémentées de quelques détails qui font toute la différence ainsi que pour ses manteaux. Elle est l’une des premières à utiliser le noir, jusque-là surtout réservé au deuil, pour rehausser l’éclat des couleurs. 

Sa rivalité avec Paul Poiret se manifeste parfois. Ainsi, en réponse à ce que les Anglo-Saxons appellent la « hobble skirt » (littéralement la jupe étroite qui fait boitiller), elle crée une jupe qui donne plus de liberté de mouvement, en ville, aux courses ou aux thés-tango.

Toilette de soirée, Paquin : Robe en taffetas jaune brodée de fleurs Pompadour, Les Modes : revue mensuelle illustrée des Arts décoratifs appliqués à la femme, novembre 1901

Jeanne Paquin a le sens du commerce et surtout de la promotion et de la publicité. Les maisons de couture du début du siècle rivalisent pour s’attacher les services des meilleurs mannequins de l’époque. Jeanne Paquin excelle dans ce domaine : elle fait ainsi connaître et met en valeur ses créations en les faisant porter par des mannequins qui se rendent dans de nombreux lieux de mondanité, comme l’Opéra, les champs de course et les fêtes de charité. 

Afin de développer ses affaires à l’étranger, des mannequins Paquin partent également faire une tournée sous la houlette de sa belle-sœur Madeleine Joire dans l’Est des Etats-Unis.
 

Mlle Odette mannequin. (Paquin) : photographie, tirage de démonstration, Atelier Nadar, 1894-1904

Connue pour son charisme et sa grande beauté, Jeanne Paquin est la première ambassadrice de sa propre maison en portant elle-même ses créations. Elle est sans doute la première créatrice de haute couture à devenir une icône de la mode, au service de sa marque, comme plus tard Coco Chanel. 

Portrait de Jeanne Paquin, Le monde illustré, 1913
 

Plus de  douze cents personnes, mannequins, ouvrières, petites mains […] sont occupées dans les salons et les ateliers de la rue de la Paix  à travailler sous la direction de cette fée. 
 

Paquin, symbole de la mode en France et dans le monde

À l’aube du XXe siècle, l’Exposition universelle qui se tient à Paris pour la cinquième fois  est un moment d’apothéose pour la capitale française qui s’affirme comme le lieu par excellence de la culture, de l’art de vivre et du luxe. La porte monumentale place de la Concorde, haute de 45 mètres, est surmontée d’une statue sculptée par Paul Moreau-Vauthier. Celle-ci porte une robe et un long manteau signés Jeanne Paquin. Symbole de la ville de Paris, la statue revêt les traits de la femme parisienne à la mode 1900. Jugée par certains « hautaine et pompeuse », celle-ci est l’objet de bien des critiques. La maison Paquin rue de la Paix fait partie des étapes dans le Guide pratique du visiteur, permettant à l’entreprise de gagner en peu plus en renommée.

The New York herald, 19 avril 1896

Industrie du vêtement : section française, groupe XII B, classe 86, rapport de M. Albert Parent ; Exposition universelle et internationale, Bruxelles, 1910

Publicité pour la maison Paquin, The Chicago tribune and the Daily news, New York, 1920

À la veille de la Première Guerre mondiale, la maison Paquin emploie 2 700 employés et est à son acmé. Depuis 1907, Jeanne Paquin gère pourtant seule l’entreprise suite au décès de son époux. Cela ne l’empêche pas de vouloir continuer à représenter par son nom l’industrie de la mode française à l’étranger et d’étendre l’influence commerciale de sa maison à l’international. Elle est ainsi à l’origine de la création du pavillon Paquin dans le parc Valentino à Turin.

Nos élégances & la mode masculine, 1er août 1911

Jeanne Paquin s’entoure des meilleurs dessinateurs de l’époque, Paul Iribe, Georges Barbier et Georges Lepape pour illustrer ses créations dans un album intitulé L'Eventail et la fourrure chez Paquin. Elle travaille également avec Léon Bakst, costumier des Ballets russes, pour qui elle réalise des robes. 

Manteau de théâtre par Paquin, La Gazette du bon ton : art, mode et frivolités, 1912-1913
 

Le travail de Jeanne Paquin, comme plus tard celui de Jeanne Lanvin et de Madeleine Vionnet, est récompensé par la Légion d’honneur en 1913. Elle est la première femme couturière à recevoir cette distinction.

Comœdia illustré : journal artistique bi-mensuel, 20 mars 1913

 

robe de visite, 1912-1913 et robe d’après-midi, mai 1913
Créations Paquin dessinées par Georges Barbier pour la Gazette du bon ton : art, mode et frivolités

Paquin habille non seulement des femmes du monde venues de toute l’Europe, comme l’impératrice Augusta-Victoria et Victoria Eugénie d’Espagne, mais également des artistes et actrices, comme Eve Lavallière, Jeanne Granier, Gabrielle Dorziat, Marie-Caroline Laparcerie ou encore Gaby Boissy. Parfois les critiques dans la presse sont d’ailleurs plus élogieuses sur la tenue que sur la comédienne. Ces noms célèbres, comme Paule Andral au Théâtre impérial de Saint-Pétersbourg, contribuent à diffuser le style Paquin à l’étranger. 

La comédienne Melle Vincourt habillée par Paquin, Le Figaro-Modes : à la ville, au théâtre, arts décoratifs, 15 février 1915

Cette notoriété lui apporte toujours plus de clientes, issues des grandes familles américaines comme les Rockefeller ou les Vanderbilt, mais aussi des Allemandes admiratives de la qualité française et des Japonaises.

Mariage Vanderbilt-Fair dans le New York Herald Tribune (édition européenne) en 1899

Les coulisses d’une entreprise florissante

En 1914, Paul Poiret et Worth fondent les bases d’un « syndicat de défense de la grande couture française », pour lutter notamment contre les copies et contrefaçons. La maison Paquin fait naturellement partie des membres. Cela fait suite ou précède de nombreuses affaires passées devant les tribunaux. La presse se fait l’écho des divers procès de la maison Paquin. Ces affaires concernent toutes le respect du droit d’auteur, que ce soit pour dénoncer des titres de presse qui dévoilent des modèles avant leur lancement officiel, des tentatives de copie par des maisons concurrentes ou divers profits grâce au nom de la maison. Les Paquin sont très soucieux de protéger leurs créations. Ces affaires judiciaires permettent aussi de connaître le quotidien d’une maison de couture, à travers les procédures lancées contre des impayés.

Les tribunaux relaient également les grèves qui émaillent l’histoire des ateliers Paquin. C’est particulièrement le cas pour celle de 1917 où Jeanne Paquin est témoin lors du procès Malvy. En 1917, les ouvrières des ateliers de couture sont en grève, bientôt suivies par celles de l’armement, en pleine guerre. Louis-Jean Malvy, ministre de l’Intérieur (1914-1917) est accusé par l’extrême-droite d’avoir favorisé l’ennemi en ne surveillant pas assez les opposants, notamment syndicalistes, et d’avoir fait pression sur les entrepreneurs pour qu’ils acceptent les revendications salariales et la semaine anglaise (lundi-samedi midi). Cela aboutit à un procès où Jeanne Paquin témoigne, avec son sens de la mise en scène, son « ruban rouge [de la légion d’honneur] sur le noir du crêpe du corsage [deuil] ». 
 

Dessin évoquant Jeanne Paquin au procès Malvy paru dans l’Œuvre
journal socialiste et anticlérical qui se tourne vers le nationalisme et l’antisémitisme

Son témoignage fait sensation : elle dit être allée dans le bureau de Malvy en « mouton sûr d’être tondu » et indique la rémunération des petites mains. Le faible montant choque l’auditoire mais Jeanne Paquin rappelle que, fut un temps, les apprenties payaient pour apprendre. Les conditions de travail chez Paquin sont aussi décriées, ou chantées, lors de la grève des tailleurs en 1901 où Isidore est accusé de contrevenir au droit du travail, dans un contexte tendu, sur fond de polémiques antidreyfusardes autour de sa Légion d’honneur.

Atelier Paquin, La ville lumière : anecdotes et documents historiques, ethnographiques,
littéraires, artistiques, commerciaux et encyclopédiques,
  1909

Les Paquin, par philanthropie ou par intérêt bien compris, ont cependant également mis en place des mesures en faveur de leur personnel : la Légion d’honneur d’Isidore est l’occasion d’un banquet avec les 800 employés, des villas au Touquet sont achetées pour permettre aux employés de partir en vacances. La maison met parfois en valeur le travail quotidien des ateliers comme le montre cet extrait de La Ville Lumière qui nous permet de visiter les locaux

Des ateliers Paquin émergent des couturières de talent comme Jenny Sacerdote qui crée sa propre maison

Jeanne Paquin participe aussi à de nombreuses œuvres de bienfaisance : fonds collectés pour la Cité universitaire, visite puis aide à la gestion des hôpitaux auxiliaires de Saint-Cloud et don de six ambulances au service de santé, don pour un prix d’hygiène, lutte contre l’alcoolisme ou encore développement de l’instruction populaire.

Maison Paquin, Les Modes : revue mensuelle illustrée des Arts décoratifs appliqués à la femme, 1917

La couturière s’implique aussi dans la vie artistique, en soutenant notamment la carrière de certains artistes par la création du prix Isidore Paquin mais aussi par la commande. Elle lance ainsi la carrière du jeune Mallet-Stevens, avant qu’il ne devienne un des grands noms de l’architecture moderne. Robert Mallet-Stevens conçoit alors des décors historiques notamment pour le stand Paquin à l’exposition de Gand et aménage la villa de Deauville. Toutes ces actions sont aussi une façon de mettre en valeur la marque Paquin. La peinture de Gervex « Paquin à cinq heures » représente les salons d’essayage

En 1920, Jeanne Paquin se retire des affaires. Restée proche des milieux politiques, elle se remarie avec un diplomate et sénateur du Gers en 1931. La maison Paquin se maintient. Madeleine Wallis puis la comtesse Ana de Pombo lui succèderont. En 1942, c’est Antonio del Castillo qui prendra le relais.

Atelier Paquin et ses couturières : photographie de presse, Agence Rol, 1926

Ana de Pombo est notamment connue pour avoir introduit dans les collections Paquin une influence hispanique et gitane :

Jaquette renard argenté de Paquin, Vogue, 1937

Chapeau de la maison Paquin en couverture de Marie-Claire, 12 avril 1940

La maison Paquin ferme définitivement au cours des années 1950, après 65 ans de création. Figure incontournable de la mode au tournant du XXe siècle, Jeanne Paquin, par son sens de la mise en scène et du commerce, aura influencé toute une génération d’entrepreneuses et créatrices de mode comme Jeanne Lanvin, Jenny Sacerdote et Coco Chanel.

Pour aller plus loin :

Billet rédigé dans le cadre du Forum Génération Egalité
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