Comment Simone de Beauvoir a écrit "Le Deuxième Sexe"

Comment Simone de Beauvoir a écrit "Le Deuxième Sexe"
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Comment Simone de Beauvoir a écrit "Le Deuxième Sexe"

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Qu'est-ce qu'une femme ? En interrogeant son propre parcours, Simone de Beauvoir voulait écrire un court essai sur la question... Ce sont finalement 1 000 pages qui composeront "Le Deuxième Sexe".

“On ne naît pas femme, on le devient”. Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir prône l’indépendance sexuelle, le lesbianisme, défend l’avortement et questionne le rôle de mère. Des idées révolutionnaires en 1949 quand sort le livre. 

Voici ce que l'on sait de l'élaboration de cet ouvrage de 1 000 pages écrit en deux ans par une philosophe et devenu étendard de la culture féministe. 

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"Contrairement à ce que l'on pourrait penser, 'Le Deuxième Sexe' n'a pas été écrit du tout dans un but militant, puisque quand on le lit, on le voit bien, elle a voulu finalement produire une somme à la façon des encyclopédies. Pour elle, il s'agissait en fait de tout connaître et de tout dire dans les moindres détails. On le voit dans la taille du 'Deuxième Sexe'", introduit Marine Rouch, historienne des femmes et du genre.

Une quête intime

Tout dire et tout connaître de la condition de la femme, c’est ce que Simone de Beauvoir envisage quand elle se lance dans l’écriture du Deuxième Sexe

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Ce questionnement intime vient d’une discussion avec Jean-Paul Sartre, son amant. Elle lui confie qu’elle veut écrire ses mémoires et s’interroge sur ce qu'elle représente en tant que femme. Il lui conseille de creuser dans cette direction.  

"Elle veut écrire sur elle-même et sur sa trajectoire. Et il lui dit : 'Mais vous êtes qui ? Ah ben oui, vous êtes une femme. Qu'est ce qu'une femme?' Donc, ce 'je suis une femme', elle va l’utiliser et va écrire un livre théorique et philosophique sur cette question du deuxième sexe avant d'écrire ses mémoires", ajoute Geneviève Fraisse, philosophe de la pensée féministe.

Simone de Beauvoir se précipite alors à la bibliothèque. Elle relit de nombreux textes d'écrivains et de philosophes comme Stendhal, Breton, Tolstoï, Claudel, Hegel pour déconstruire les mythes qu'ils véhiculent sur les femmes. 

Elle s’attelle à comprendre, point par point, en se basant sur des études de médecine, de biologie, d'histoire, de sociologue, qu'est-ce qu'une femme ? Et comment la société conditionne ce rôle depuis l’enfance.  

Cette méthode de recherche accouche d’une méthode d’écriture : celle du “je”. Par ce "je", fil rouge du livre, elle expose sa propre réflexion philosophique existentialiste tout en englobant ce qu'elle a lu et observé chez les autres femmes. 

Elle pensait en faire un court essai mais ne cesse de noircir des pages de brouillon.  

De nombreuses inspirations

"Elle écrit très vite, à peu près en deux ans et sur ces deux ans, il faut carrément enlever une dizaine de mois durant lesquels elle a non seulement voyagé aux Etats-Unis, mais elle a aussi écrit d'autres choses, comme des articles, notamment autour du sujet du 'Deuxième Sexe'. Tous ces voyages, les rencontres qu'elle fait notamment aux États-Unis, montrent bien qu'elle ne se met pas complètement à part et qu'elle s'inspire finalement de ses expériences et de ses rencontres", développe Marine Rouch.  

Une rencontre la marque particulièrement : celle avec Richard Wright. Cet essayiste afro-américain lui ouvre les yeux sur la discrimination et les mécanismes du racisme. Elle fait un lien avec sa condition de femme et alimente ainsi le cadre théorique du Deuxième Sexe

Richard Wright
Richard Wright
© Getty

Cette réflexion est aussi nourrie de sa situation amoureuse de l’époque : Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, en couple libre, tombent amoureux d'autres partenaires.

"Cette situation-là, a sans doute beaucoup joué dans son écriture exploratoire de l'intime féminin, des contradictions qui y sont liées, mais a aussi servi à alimenter, à partir de sa propre expérience, ses réflexions sur les femmes", complète Marine Rouch, historienne. 

Beauvoir s'interroge sur son acceptation de la polygamie défendue par Sartre et sur l'objectification de sa place de femme dans ses relations. 

Pensées révolutionnaires

C'est ainsi qu'elle questionne le rôle de mère, d’amante, de la liberté d'être femme et analyse comment la quête de viralité des hommes nuit à l'égalité. 

Le tout dans une période très particulière : l'après-guerre. La France est dans une campagne de repeuplement et les femmes sont poussées à la procréation.  

"Dans 'Le Deuxième sexe', effectivement, elle parle de sexualité et véhicule des idées assez radicales et en totale contradiction avec les idéologies qui sont à l'œuvre au début de la guerre froide. Beauvoir, elle, propose ce qu'on pourrait appeler une nouvelle politique de la sexualité, précisément en ce qu'elle s'oppose à l'ordre établi. C'est-à-dire que Beauvoir, elle, utilise des termes crus, des termes scientifiques qu'on n'a pas l'habitude de lire dans la presse", analyse Marine Rouch

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Elle utilise les termes de “sensibilité vaginale”, “spasme clitoridien”, “orgasme mâle". La sortie du texte en 1949 est retentissante. Elle subit une vague de critiques d’intellectuels masculins. 

“Dans 'Liberté de l'Esprit', Boisdeffre et Nimier rivalisèrent de dédain. J'étais une 'pauvre fille' névrosée, une refoulée, une frustrée, une déshéritée, une virago, une mal baisée”, Simone de Beauvoir, 1963.

"Elle a effectivement été toute seule, même si elle a eu des soutiens féminins, mais je ne pense pas qu'elle ait réfléchi à l'impact de son livre en écrivant. C'était une sorte de nécessité, c'était une nécessité intellectuelle, c'était une nécessité philosophique", précise Geneviève Fraisse, philosophe.  

Le Deuxième Sexe est redécouvert, lu, commenté par le grand public en 1958 avec la sortie des mémoires de Simone de Beauvoir. 

Les lettres de femmes affluent et la posture de l’autrice évolue à ce moment-là, elle commence à se dire féministe et prend davantage conscience de la portée féministe de son livre.  

“Être femme ce n’est pas une donnée naturelle, c’est le résultat d’une histoire. Il n’y a pas un destin biologique, psychologique qui définisse la femme en tant que telle, c’est une histoire qui l’a faite", Simone de Beauvoir.