France / Politique

1974, le succès de la campagne familiale de Giscard [INTERACTIF]

Pour son affiche, le plus jeune président de la Ve République avait choisi une photo prise avec sa fille Jacinte dans le jardin des Tuileries. Une spontanéité et une modernité qui ont contribué à sa victoire

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Une photo spontanée d’un père et sa fille discutant dans un jardin sourire aux lèvres, saisis dans l’instant. L’image est belle mais n’a rien d’une affiche de campagne classique. Elle a pourtant fait en partie le succès de Valéry Giscard d’Estaing en 1974.

«J’ai voulu que ma fille soit présente sur les affiches, car je trouve qu’une photographie de moi tout seul aurait fait triste», déclare-t-il à France Soir le 12 mai 1974, entre les deux tours de l’élection présidentielle. A 48 ans, le futur plus jeune président de la Vème République est aussi le premier à s’afficher avec un membre de sa famille pour sa campagne.

«Pas du tout posé, très naturel»

L’élection de 1974 est inattendue et précipitée. La mort du président en exercice Georges Pompidou laisse peu de temps aux candidats pour se mettre en campagne. La gauche, unie sur un programme commun depuis 1972, se rassemble naturellement derrière François Mitterrand, premier secrétaire du Parti socialiste depuis 1971.

La droite, au contraire, est divisée. Les gaullistes de l’UDR soutiennent Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre sous Pompidou de 1969 à 1972. Jacques Chirac, pourtant gaulliste, s’allie aux militants d’une droite plus centriste et plus libérale qui soutient Valéry Giscard d’Estaing, ministre des Finances et chef des Républicains indépendants.

Un dimanche d’avril 1974, Valéry Giscard d’Estaing et sa fille cadette Jacinte descendent dans le jardin des Tuileries, sous les fenêtres du ministère des Finances, avec un photographe de Paris Match qui réalise un reportage sur celui qui s'est officiellement déclaré candidat le 8 avril.

«Ce n’était pas du tout posé, c’était très naturel», explique Jacinte, aujourd’hui âgée de 52 ans. Vétérinaire de formation, elle dirige aujourd'hui une société de poney-clubs de la région parisienne et se souvient de sa participation à la campagne de son père:

«Je l’accompagnais souvent à des meetings et j’allais coller des timbres à la permanence avec mes frères et sœurs, non seulement parce que ça nous permettait de passer du temps avec notre père, mais aussi parce que ça nous amusait.»

S'inspirer de l'image de Kennedy

Le candidat Giscard d’Estaing, très impliqué dans l’élaboration de sa stratégie de communication, décide d’utiliser le cliché pour son affiche de campagne. Personne ne sait exactement à quel moment ce choix a été fait [1]. En tout cas, le reportage photo paraîtra dans Paris Match le 30 avril 1974, une semaine avant le premier tour de la présidentielle.

Fortement marqué par sa rencontre avec John Kennedy en juillet 1962, le ministre des Finances veut s’inspirer de l’image moderne et jeune du président américain. Au départ, l’équipe de publicitaires, composée de Jacques Hintzy, Jacques Fort et Michel Grandjean, n’est pas convaincue. «C’était une photo très sympathique, dit Jacques Hintzy, aujourd’hui président de l’Unicef France, mais on prenait le risque que les gens n’associent pas Jacinte à la fille de Giscard et qu’ils passent à côté de la signification.»

Persuadé que le cliché lui permettra de conquérir les familles et les jeunes générations, Valéry Giscard d’Estaing insiste et obtient gain de cause. «Quand il voulait quelque chose, il l’obtenait toujours», déclare amusée son assistante de cabinet Florence de Bollardière.

Le pari est gagnant. «C’est une véritable rupture d’image», assure le chercheur en sciences politiques Christian Delporte. Le ministre des Finances rigide devient soudainement chaleureux et proche des gens. Il incarne la jeunesse, l’avenir et le changement.

«Il fallait sortir Giscard d’Estaing de sa tour d’ivoire technocratique du ministère des Finances, explique Alain Gesgon, historien pour le Centre international des recherches sur l’imagerie politique (CIRIP). Même s’il est impossible de mesurer l’impact d’une affiche sur une élection, cette décision a beaucoup à voir avec sa victoire à l’élection présidentielle.»

Une intuition qui n'aura qu'un temps

Pour le premier tour de l’élection, une deuxième affiche est placardée dans les rues. Elle représente le portrait de Valéry Giscard d’Estaing souriant, en costume et cravate sombre avec une chemise blanche. En haut, on peut lire ces mots: «Un vrai Président». Mais personne ne retient cette image en noir et blanc, même si les deux affiches sont souvent placées côte à côte sur les panneaux publicitaires.

Au second tour, le slogan «Le Président de tous les Français» est apposé sur les mêmes clichés et des militants reprennent la photo de Valéry Giscard d’Estaing avec sa fille pour y inscrire le slogan «La paix et la sécurité». Deux mots qui collent à l’image à la fois rassurante et apaisante d’un père qui parle à sa fille.

Valéry Giscard d’Estaing remporte l’élection présidentielle le 19 mai 1974 avec 50,81% des voix, contre 49,19% pour François Mitterrand. En visant la jeunesse, dont il faisait déjà une priorité aux élections législatives de juin 1968, le «candidat du changement» a visé juste.

Mais sa bonne intuition ne durera qu’un temps. Lors de l’élection présidentielle de 1981, le Président en exercice utilise à nouveau une photo prise dans le cadre d’un reportage pour en faire son affiche de campagne. Il y apparaît sérieux et rigide.

Le slogan «Il faut un président à la France» sonne faux, comme si la France n’avait pas eu de véritable chef de l’Etat pendant sept ans. Cet aveu d’échec signe l’autodestruction du candidat, battu au second tour par François Mitterrand.

Amandine Briand

[1] Nous avons contacté l’ancien président de la République mais nous n’avons finalement pas pu nous entretenir avec lui. Son assistante de cabinet n’a pas su dater avec précision le début de la campagne publicitaire. Revenir à l'article

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