LES PLUS LUS
Publicité
Publicité

Exclusif - Lula : "Je serai candidat contre Bolsonaro"

Luiz Inacio Lula da Silva,  le 10 mai à Sao Paulo.
Luiz Inacio Lula da Silva, le 10 mai à Sao Paulo. © Baptiste Giroudon
Manon Querouil-Brunneel , Mis à jour le

Pour déclarer sa candidature à la présidentielle, Lula choisit Paris Match. Dix-neuf mois de prison et une longue bataille judiciaire n’auront pas eu raison de son engagement et de sa pugnacité. Alors qu’au Brésil la pandémie a fait plus de 400 000 morts et que la valeur du real a chuté de 40% en 2020, Lula veut sortir son pays de l’impasse. Voici l'entretien intégral.

Paris Match. La situation sanitaire semble hors de contrôle au Brésil, avec un bilan officiel de plus de 400 000 morts. En quoi la gestion de la pandémie par Jair Bolsonaro est-elle, selon vous, révélatrice de sa vision de la société ?
Lula da Silva . Dès l’apparition du Covid en Chine, le Brésil aurait dû s’organiser en créant un comité de crise rassemblant le ministre de la Santé, les autorités fédérales, nos principaux laboratoires et nos scientifiques. Or la première réaction de notre président a été d’en nier la gravité. Il a prétendu que ce n’était rien, juste une “petite grippe” qui ne tuerait que des personnes âgées, osant même affirmer que, étant sportif, lui-même ne craignait rien ! Ensuite, il a recommandé l’usage de la chloroquine, dont il est désormais scientifiquement prouvé qu’elle n’a aucun effet . À de nombreuses reprises, devant les caméras, Bolsonaro a encouragé les gens à en prendre, forçant les ministres de la Santé qui se sont succédé à l’imiter. Il a également exhorté ses sympathisants à ne pas porter de masque lors des manifestations publiques et s’est prononcé contre le confinement. Rester à la maison, disait-il, c’était pour les poules mouillées, précisant qu’un homme, un vrai, se devait de sortir dans la rue. Pour résumer, il a fait preuve d’une irresponsabilité totale. Et il est, selon moi, directement responsable d’au moins la moitié des décès qui auraient pu être évités. Encore aujourd’hui, Bolsonaro continue à ne pas prendre le Covid au sérieux, à agresser la Chine, à sous-estimer l’importance des vaccins et à croire en l’immunité collective. Il rame à contre-courant, défiant la communauté scientifique et les directives de l’Organisation mondiale de la santé.

Publicité

Devra-t-il, selon vous, rendre des comptes à la justice pour ces morts ?
Il faut attendre les conclusions de la commission parlementaire d’investigation chargée d’examiner les mesures prises par le gouvernement et le ministère de la Santé. Mais dans n’importe quel pays où la démocratie fonctionne normalement, Bolsonaro, qui fait l’objet d’une centaine de demandes de destitution, aurait déjà cessé d’être président de la République. Hélas, le président de la Chambre des députés n’en a soumis aucune au vote.

La suite après cette publicité

Vous avez déclaré vouloir vous impliquer dans la gestion de la crise sanitaire. Comment comptez-vous faire ?
Cette pandémie me semble aussi grave qu’une guerre, à cette différence près que l’ennemi est invisible. Je vois, dans l’apparition de ce virus en perpétuelle mutation, une attaque de la nature contre l’humanité. Nous payons le prix de notre manque de respect envers elle. Tant qu’il n’y aura pas assez de vaccins, nous ne pourrons pas vaincre. J’alerte en permanence sur la nécessité de lever les brevets afin que les 7,8 milliards d’êtres humains puissent bénéficier du vaccin. Tant que seuls les pays riches pourront l’acheter pour leurs populations et que les habitants des pays pauvres mourront, nul ne sera tranquille. Lors de la crise économique de 2008-2009, plus d’une dizaine de réunions se sont tenues au sein du G20 autour de la faillite de Lehman Brothers. Aucune, à ce jour, pour coordonner la bataille contre le Covid. Je trouve absurde que chacun, dans un tel moment, ne se préoccupe que de ses propres intérêts. Le monde est rond, la terre tourne ; alors, forcément, le virus se répand. Il est urgent de mettre en place une politique de lutte globale contre lui.

La suite après cette publicité
"

Je suis un soldat dans cette lutte pour la démocratie, et je ne connaîtrai pas une minute de répit tant que Bolsonaro ne sera pas vaincu.

"

Vous avez appelé le président Macron à convoquer une réunion du G20 à ce sujet. Lors de son élection, vous estimiez qu’il n’était pas le “gars idéal”… Où en sont vos relations ?
Nous n’avons aucune relation puisque je ne suis pas son homologue. À l’époque de ma présidence, j’ai eu de nombreux échanges avec ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et le camarade François Hollande. J’aime aussi beaucoup Anne Hidalgo, et j’espère qu’un jour elle sera la première femme présidente de la France. L’interlocuteur de Macron, c’est Bolsonaro. Le fait que ce dernier se soit montré irrespectueux envers lui [en critiquant le physique de son épouse sur les réseaux sociaux] ne doit pas être un obstacle à la relation bilatérale. Les chefs d’État ne sont pas obligés de s’apprécier, ils doivent garder en tête les intérêts stratégiques communs. La relation entre nos deux pays a toujours été exceptionnelle. Il faut que cela continue, malgré des divergences occasionnelles.

Parallèlement à la crise sanitaire, le Brésil est entré dans une phase d’instabilité politique. Beaucoup craignent que Bolsonaro utilise l’armée pour se maintenir au pouvoir. Redoutez-vous un coup d’État militaire, comme en 1964 ?
Les fascistes ne sont qu’une minorité. Bolsonaro n’est pas démocrate, mais la majorité du peuple brésilien l’est. C’est pourquoi je pense qu’indépendamment de sa volonté il y aura des élections en 2022 et qu’il les perdra.

La suite après cette publicité
La suite après cette publicité

Vous êtes donc optimiste ?
Pas seulement : je me bats pour ça. Je suis un soldat dans cette lutte pour la démocratie, et je ne connaîtrai pas une minute de répit tant que Bolsonaro ne sera pas vaincu. Je me sens comme ces résistants français qui se sont battus contre le nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale…

"

Avant d’abattre un être humain, il existe d’autres options : l’interpeller, le juger, le condamner. Mais Bolsonaro ne veut pas arrêter : il veut tuer. 

"

Est-ce une façon d’annoncer officiellement votre candidature à l’élection présidentielle de 2022 ?
Si je suis le mieux placé pour la remporter et que je suis en bonne santé, oui, je n’hésiterai pas. Je pense avoir été un bon président. J’ai tissé des liens solides avec l’Europe, l’Amérique du Sud, l’Afrique, les États-Unis, la Chine, la Russie. Sous mon mandat, le Brésil est devenu un acteur important sur la scène mondiale, créant notamment des ponts entre l’Amérique du Sud, l’Afrique et les pays arabes, dans le but d’établir et renforcer une relation Sud-Sud et de démontrer que la prédominance géopolitique du Nord n’était pas inexorable.

Bolsonaro a été élu sur la promesse de remettre de l’ordre dans les favelas. La police est-elle la solution dans ces zones difficiles ?
Bolsonaro prêche la violence et cherche à régner par la terreur. Il ne s’est jamais caché de ne pas aimer les mouvements sociaux, les syndicats, les partis de gauche, les mouvements féministes, noirs, indigènes… En gros, tous ceux qui protègent la démocratie. Il a toujours pensé qu’un bon criminel était un criminel mort. Sa priorité en tant que président n’a pas été d’améliorer l’accès à l’éducation, mais de libéraliser le port des armes à feu ! [Il tape du poing sur la table.] Il a fait en sorte que chaque citoyen puisse s’acheter quatre pistolets !

La police doit-elle continuer d’intervenir dans ces quartiers ?
La police doit remplir son rôle sans se muer en assassin. Avant d’abattre un être humain, il existe d’autres options : l’interpeller, le juger, le condamner. Mais Bolsonaro ne veut pas arrêter : il veut tuer. Le discours affirmant qu’il faut éliminer les criminels pour protéger les honnêtes gens est banal au sein de la droite brésilienne. Nous devons protéger la population en punissant les criminels conformément à la loi. C’est tout. [Il tape de nouveau sur la table.]

"

J’ai tenu, parce que j’étais convaincu de mon innocence.

"

Quelle a été votre réaction lorsque le juge de la Cour suprême, Edson Fachin, a annulé votre condamnation à plus de vingt ans de prison pour des faits de corruption ?
Dès 2016, quand nous avons fait appel, ma défense a dénoncé tout ce que révélait l’enquête publiée par “The Intercept” [un magazine international d’investigation]. Malheureusement, il a fallu cinq ans à la Cour suprême pour se prononcer. Je continue à défier quiconque – juge, procureur, policier – d’apporter la moindre preuve d’un seul délit que j’aurais commis. Mon seul crime a été d’accéder à la présidence du Brésil, moi le tourneur-mécanicien sans diplôme, et de mener la plus grande politique d’inclusion sociale que ce pays ait jamais connue. J’ai commis le crime d’être le président qui a construit le plus d’universités dans l’histoire du Brésil ; j’ai commis le crime de permettre aux fils de maçons de devenir ingénieurs, aux fils de femmes de chambre de devenir médecins. Sous ma présidence, le salaire minimum garanti a connu sa plus forte augmentation. Nous avons sorti 36 millions de personnes de la misère absolue et avons permis à 40 millions d’autres d’accéder à la classe moyenne. C’est pour ça que j’ai été arrêté, inculpé et que l’on m’a empêché de me présenter en 2018.

Considérez-vous que le juge Sergio Moro, qui vous a condamné et vient d’être reconnu coupable de partialité, a œuvré pour Bolsonaro, dont il a ensuite été le ministre de la Justice ?
Lors de ma première déposition, j’ai dit au juge Moro : “Tu es condamné à me condamner parce que le mensonge est allé trop loin et que tu n’as aucun moyen de faire machine arrière.” Ce mensonge a en effet impliqué un juge, des procureurs et les principaux médias du pays, qui m’ont tous condamné avant même que je sois jugé. Ce qu’ils ignoraient, c’est que je suis prêt à me battre jusqu’à mon dernier souffle pour prouver qu’ils se sont ligués pour m’empêcher d’aller aux élections.

Vous avez été élu leader le plus influent de la planète par le magazine “Time” en 2010, et encensé par Obama, avant d’être envoyé en prison. Comment avez-vous vécu cette chute vertigineuse ?
J’ai tenu, parce que j’étais convaincu de mon innocence. C’est pourquoi j’ai refusé d’échanger ma dignité contre ma liberté. Quand on m’a proposé d’être assigné à résidence à condition de porter un bracelet électronique, j’ai dit non. Je ne suis pas un pigeon voyageur et ma maison n’est pas une geôle.

"

Je suis très reconnaissant de cet élan de solidarité, y compris de la part de mes amis du monde entier. Même le camarade Mélenchon est venu me rendre visite.

"

Ce séjour en prison vous a-t-il changé ?
Si je disais que non, je mentirais. J’ai appris à être plus généreux, à ne pas accumuler de haine, car la personne qui en souffre n’est pas celle que vous détestez, mais vous-même. J’ai beaucoup lu. Les gens qui venaient me visiter arrivaient tristes et déprimés ; c’est moi qui devais leur remonter le moral. Grâce à Dieu, j’ai eu la chance que les travailleurs de ce pays veillent sur moi pendant ces 580 jours de détention. Des femmes, des enfants, des personnes âgées... Le Brésil entier est resté à mes côtés ! Chaque matin, ils criaient “bonjour, président Lula !” pour me donner de la force. Je n’avais ni le temps ni le droit de m’apitoyer sur mon sort. Je suis très reconnaissant de cet élan de solidarité, y compris de la part de mes amis du monde entier. Même le camarade Mélenchon est venu me rendre visite .

Les médias vous ont accusé d’être millionnaire, vous, le “père des pauvres”. De quoi vivez-vous aujourd’hui ?
Je vis grâce au salaire que me verse le PT. Tous mes biens ont été saisis et mes avoir gelés, depuis cinq ans maintenant. Même ceux de ma femme, décédée, dont mes enfants ont hérité, sont toujours bloqués. Mais je reste patient. Mes problèmes personnels sont peu de chose au regard du peuple brésilien, qui meurt de faim et du Covid. Je ne demande pas grand-chose, je ne suis pas ambitieux. Je ne cherche pas à dépouiller les riches, je veux juste aider les Brésiliens à reconquérir leurs droits de citoyens. Que tous puissent prendre un café et déjeuner chaque jour, avoir accès à une éducation de qualité, à la culture, à la santé, au logement...

Que reste-t-il de vos grands programmes emblématiques comme “faim zéro” ou la bourse familiale, dont le Brésil était si fier ?
Lorsque j’étais président de la République, plusieurs enquêtes d’opinion ont montré que le peuple brésilien était le plus heureux du monde. Le Brésil était devenu une sorte de coqueluche. Nous avions éradiqué la faim, créé 22 millions d’emplois. La vie des gens s’améliorait enfin. Malheureusement, tout ça est terminé. À la place de l’amour a surgi la haine.

"

Je n’ai jamais accepté que quelque pays que ce soit, notamment européen, donne des leçons à Cuba ou au Venezuela au nom du droit des peuples à s’autodéterminer.

"

Vos objectifs sociaux vous ont conduit à négliger d’autres batailles, comme l’écologie ou la lutte contre la corruption. Reconnaissez-vous des erreurs ?
Beaucoup de choses n’ont pas été faites. Mais il est important de se souvenir que de mon temps, à Copenhague, lors de la Cop15, notre pays s’est engagé à réduire la déforestation de 80 %, et que nous l’avons fait. Tout comme nous avons accéléré la recherche dans le domaine des énergies propres. J’ai été le président qui, avec l’Allemagne et la Norvège, a mis en place le fonds de protection de l’Amazonie, sans pour autant que le Brésil abandonne sa souveraineté territoriale.

Certains estiment qu’une de vos plus grandes erreurs a été de choisir Dilma Rousseff pour vous succéder. Êtes-vous d’accord ?
Si je me trouvais aujourd’hui dans la même situation qu’en 2010 je referais ce choix. Dilma est une femme exceptionnelle, très compétente et loyale, dévouée à 100 % à son pays. J’imaginais qu’elle apprendrait plus facilement à faire de la politique, mais ce n’a pas été évident. Peut-être à cause de sa formation, ou de l’équipe qu’elle a constituée. Sans doute a-t-elle commis des erreurs qui ont mené à sa destitution, mais elle a surtout été victime d’une machination visant à la faire tomber.

Le Parti des travailleurs a eu 40 ans l’année dernière. Dans un contexte de corruption et de crise économique, nombre de ses électeurs se sont tournés vers Jair Bolsonaro... Comment rétablir la confiance avec cet électorat déçu ?
Le PT a probablement commis des erreurs, mais on ne peut pas lui imputer la victoire de Bolsonaro. Les coupables, ce sont la droite, les médias et les élites qui ont passé une décennie à rejeter en bloc notre politique, créant un climat propice au pire. Depuis que les élections ont été rétablies au Brésil, en 1989, le PT a toujours été présent au second tour. Quand on demande dans les sondages au peuple brésilien quel est son parti préféré, plus de 20 % répondent le PT. Hormis en Chine et à Cuba, il est le plus grand parti de gauche au monde.

"

La meilleure réponse à opposer à la violence de Bolsonaro, c’est de mener une campagne pacifique et de ne pas entrer dans son jeu

"

Vous avez été proche de Fidel Castro et de Hugo Chavez. Cuba et le Venezuela demeurent-ils des modèles depuis leur disparition ?
Cuba et le Venezuela n’ont jamais été des modèles pour moi. On ne peut résumer mes liens amicaux à Fidel ou Chavez : j’entretenais aussi d’excellents rapports avec Chirac, Sarkozy, Angela Merkel, Poutine, Hu Jintao, Bush, Obama et tous les présidents d’Amérique latine. Cela dit, je reste un fervent admirateur de la révolution cubaine, la seule véritable. Fidel Castro, d’une dignité sans pareille, était un mythe vivant. Je n’ai jamais accepté que quelque pays que ce soit, notamment européen, donne des leçons à Cuba ou au Venezuela au nom du droit des peuples à s’autodéterminer. Pour maintenir la paix sur notre chère planète, chacun devrait le respecter.

Au Brésil, la corruption semble endémique. Y a-t-il une fatalité à vouloir s’enrichir par tous les moyens quand on accède au pouvoir ?
Pouvez-vous me citer un pays épargné par la corruption ? S’il y a eu beaucoup de scandales dénoncés au Brésil, c’est justement parce que le PT a fait en sorte qu’ils puissent éclater au grand jour et que rien ne fasse obstacle aux enquêtes judiciaires. Le PT a créé les outils pour lutter contre la corruption, contrairement au gouvernement actuel. Rien n’a été balayé sous le tapis !

Redoutez-vous une campagne présidentielle violente face à Bolsonaro ?
La pandémie m’empêche de tenir des meetings : je suis vacciné, par chance, mais la majorité des Brésiliens ne l’est pas. Dès que j’en aurai l’occasion, je sillonnerai le pays. La meilleure réponse à opposer à la violence de Bolsonaro, c’est de mener une campagne pacifique et de ne pas entrer dans son jeu.

Lula président en 2022, c’est possible ?
Oui, c’est possible. Il suffit de poser la question au peuple brésilien. 

Pourquoi Lula a choisi Paris Match

Retrouvez l’intégralité de l’interview dans le numéro 3759 de Paris Match, en vente dans les kiosques.

 

Contenus sponsorisés

Publicité