Art : Cinq raisons de se précipiter à la Bourse de Commerce

- Urs Fischer Courtesy Galerie Eva Presenhuber, Zurich. Photo : Stefan Altenburger Bourse de Commerce — Pinault Collection © Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, Agence Pierre-Antoine Gatier
L’œuvre-phare de l’ouverture de la bourse de commerce – parce qu’elle en occupe le centre – est un ensemble de bougie géantes (moulage d’une sculpture du XVIe siècle, mobilier de diverses époques et origines) conçues par le plasticien allemand Urs Fisher, qui dialogue avec le panorama peint qui encercle la coupole depuis la fin du XIXe. Amenée à fondre en silence pendant les six prochains mois, comme une matérialisation de l’écoulement d’un temps semble-t-il destiné à se figer en un magma grisâtre, l’installation géante est sublimée par les variations de lumière qui éclairent la rotonde et chutent en douceur sur le béton brut cher à l’architecte Tadao Ando.
- Michel Journiac / ADAGP, Paris 2020 Courtesy Galerie Christophe Gaillard Photo : Aurélien Mole Bourse de Commerce — Pinault Collection
Consacrée à la photographe, la galerie 3 de la Bourse de Commerce n’est pas la plus aventureuse en terme d’accrochage – les artistes qui y sont présentés sont bien identifiés (mention spéciale à Cindy Sherman et Richard Prince) –, mais s’y déploie une belle unité thématique, sous la forme d’un manifeste féministe au croisement des luttes pour l’égalité des sexes et pour les droits LGBT. Des romans photo travestis de Michel Journiac dans les années 1970, aux clichés d’artistes masculins photographiés par Sherrie Levine, c’est toute la société patriarcale qui est prise d’assaut. Et que dire de la série « Helms Amendment » de Louise Lawler ? Conçue en 1989, elle répertorie, dans une logique très actuelle de name and shame, tous les sénateurs américains qui ont voté en 1987 en faveur d’un amendement du budget interdisant le financement de la prévention contre le SIDA, au motif qu’elle encouragerait la toxicomanie et l’homosexualité. Parmi eux, un certain Joe Biden.
- David Hammons Vue d'exposition "Ouverture", Bourse de Commerce - Pinault Collection, Paris 2021 Courtesy de l'artiste et de Bourse de Commerce - Pinault Collection. Photo Aurélien Mole
Dans le monde très blanc de l’art contemporain, comment ne pas se réjouir de la mise en avant de plusieurs figures de l’art contemporain afro-américain (entre autres signes d’une large ouverture à la diversité) ? Aux relectures panafricanistes de toiles classiques de Kerry James Marshall (L’Olympia de Manet, exemplairement), s’ajoute notamment l’œuvre radicale (et rarement exposée) de David Hammons : un drapeau américain lacéré aux couleurs malades, une série de sculptures qui joue avec les stéréotypes associés à la communauté noire, ou encore une cage de métal de la taille d’une cellule de prison, plantée au pied d’une carte des routes du commerce pendant l’expansion coloniale à la fin du XIXe siècle, héritage d’un bâtiment au passé encombré.
- Patrick Tourneboeuf
Le deuxième étage de la Bourse de Commerce fait la part belle à la peinture figurative en mettant l’accent sur de jeunes artistes comme la Française Claire Tabouret, dont on découvre ici des autoportraits à capuche, où l’Allemand Florian Krewer, qui peint des scènes urbaines aux contours flous. Ses chorégraphies frénétiques cachent-elles des scènes de danse rageuse ou des tentatives d’agression ? Quelque chose dans l’ambigüité de ces toiles est en tout cas raccord avec le climat émotionnel ambiant : une inquiétude infinie et de l’énergie à revendre.
- Marc Domage
Les pigeons de Maurizio Cattelan perchés sur les balcons de la rotonde fonctionnent-ils comme un reflet cruel du visiteur des lieux, éternel touriste (ou pigeon) de l’art contemporain ? Ou sont-ils là pour créer l’illusion d’un art donné à voir sur la place publique ? Chacun se fera son idée. Enfin, on recommande la souris mécanique de l’artiste anglais Ryan Gander. Sa blancheur de laboratoire rappelle peut-être que l’art contemporain est nécessairement expérimental.