Armé d’un filet rond fixé au bout d’un bâton, Antoine s’avance au milieu du champ de colza et balance en rythme sa grande épuisette de gauche à droite, au ras des plants encore verts. Contrairement aux apparences, le technicien de recherche de 25 ans ne part pas à la chasse aux papillons, mais tente d’attraper des méligèthes pour les compter. Ces insectes ravageurs mangent les boutons de colza avant qu’ils n’éclosent. Lors de notre visite sur place, fin mars, leurs fleurs jaunes n’avaient pas encore recouvert le paysage bourguignon, mais la menace planait déjà sur la parcelle, non traitée à l’insecticide.
La scène serait inhabituelle dans une exploitation agricole classique, mais fait partie du quotidien du domaine d’Epoisses, situé au sud de Dijon. Cette ferme expérimentale appartenant à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) est la première du genre à n’utiliser aucun pesticide. Sur ses 132 hectares, une vingtaine de scientifiques y analysent en continu une variété de systèmes agroécologiques, avec de multiples combinaisons de rotations de cultures, de cohabitation d’espèces animales et végétales, et mesurent leurs résultats en termes de rendements, de rentabilité économique et de biodiversité.
Défi écologique et enjeu politique
Lancée en 2018, cette plate-forme de recherche a pour nom « CA-SYS ». Une référence au cassis, spécialité locale, mais surtout l’acronyme anglais de « système agroécologique coconstruit ». L’expérience, menée sur dix ans, a pour but d’éprouver le remplacement de produits phytosanitaires par une amélioration de la biodiversité animale et végétale en même temps que la préservation de la rentabilité. Un défi écologique et un enjeu politique, alors qu’Emmanuel Macron a renoncé à sa promesse de sortir du glyphosate avant 2021 et que les plans Ecophyto successifs n’ont pas rempli leur objectif de réduction des pesticides.
« L’idée n’est pas de démontrer qu’on doit se passer de phytos, mais d’anticiper ce qu’on pourrait faire si les phytos sont interdits », précise Stéphane Cordeau, l’un des animateurs de la plate-forme. Avec d’autres scientifiques et agriculteurs, l’ingénieur agronome a imaginé dès 2013 cette expérience qui se veut participative. Ce jour de printemps, le chercheur accueille à deux pas du domaine, dans les locaux de la chambre d’agriculture de Côte-d’Or, une demi-douzaine d’agriculteurs de la région venus se former et échanger sur leurs bonnes pratiques. Chardon, datura ou vulpin des champs sont au cœur des discussions. Ces adventices, ou « mauvaises herbes », peuvent pulluler en l’absence de traitement par herbicide et empêcher le développement des cultures en leur faisant de l’ombre ou en captant l’eau et l’azote contenus dans le sol.
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