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Violences faites aux femmes

Cinq féminicides en une semaine, l’Espagne s’alarme face à «un fléau machiste»

Violences conjugalesdossier
Le gouvernement espagnol a lancé ce lundi un cri d’alarme après la mort la semaine dernière de cinq femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint.
par Marlène Thomas et AFP
publié le 24 mai 2021 à 20h04
(mis à jour le 24 mai 2021 à 20h05)

Cinq femmes ont été tuées la semaine dernière par leur conjoint ou ex-conjoint en Espagne. Ces meurtres, auquel s’ajoute celui d’un enfant, portent à 14 le total des féminicides perpétrés depuis le début de l’année dans ce pays. «C’est une réalité dure et une réalité insupportable. […] L’Espagne est en proie à un fléau machiste qui fait que des hommes tuent des femmes car elles sont des femmes et tuent leurs enfants parce qu’elles sont leurs mères», s’est alarmé ce lundi le Premier ministre socialiste, Pedro Sánchez, lors d’une visite à Tolède. Depuis 2003, date à laquelle l’Espagne s’est mise à comptabiliser officiellement les féminicides, 1 092 femmes ont été tuées par leur conjoint, a-t-il rappelé.

«Nous ne pouvons pas détourner le regard tant que ces assassinats se produiront chaque jour. Nous ne devons pas nous sentir étranger à la douleur ou à la peur ressenties par des milliers de femmes juste parce qu’elles sont femmes dans notre pays», a-t-il ajouté. Avant de lancer «un appel à toute la société, aux institutions et à l’ensemble des partis politiques pour que ne soit pas banalisée la violence de genre et pour que nous combattions ensemble le fléau machiste qui nous fait tant honte».

La vice-présidente du gouvernement, Carmen Calvo, a également évoqué dans un tweet «une semaine noire», ajoutant dans un autre post qu’«en finir avec la violence machiste est une obligation démocratique qui n’admet pas la tiédeur». La présidente de l’Observatoire contre la violence domestique et de genre, Ángeles Carmona, a émis l’hypothèse que cette recrudescence des féminicides puisse être liée à la récente levée de l’état d’urgence sanitaire, en vigueur depuis fin octobre pour lutter contre la pandémie de Covid-19. «Le retour à la normalité peut augmenter la peur de l’agresseur de perdre le contrôle sur ses victimes», a-t-elle expliqué dimanche soir à la télévision nationale.

Une analyse partagée par l’avocate Altamira Gonzalo, de l’association féministe Themis, qui a déclaré sur la même chaîne que «le moment de prise de décision, de séparation, de divorce [représentait] un danger majeur». L’Espagne fait pourtant figure de «modèle» dans la lutte contre les violences conjugales, comme le rappelait un rapport du centre francilien pour l’égalité femmes-hommes Hubertine-Auclert, publié en novembre.

Une priorité politique

La protection des femmes a été placée en tête des priorités dès 1997. Le meurtre d’Ana Orantes, cette même année, avait tragiquement participé à une prise de conscience massive de la société. Victime de violences conjugales, elle avait témoigné en direct à la télévision des violences infligées depuis quarante ans par son mari alors même qu’elle l’avait dénoncé à quinze reprises aux autorités. Il la tuera treize jours plus tard en la brûlant vive.

Ce sursaut politique et sociétal a mené à l’adoption à l’unanimité d’une loi-cadre contre les violences conjugales en 2004, considérée comme l’une des lois les plus protectrices pour les victimes dans le monde. La mobilisation importante des féministes espagnoles ces dernières années a aussi mené à l’adoption en 2017 par tous les partis politiques d’un «Pacte d’Etat contre la violence conjugale», doté d’un milliard d’euros sur cinq ans (2018-2022). L’objectif ? Garantir la pérennité de cette politique de lutte et du budget alloué quel que soit le parti au pouvoir.

Unités de police spécialisées, tribunaux dédiés aux violences de genre, ordonnances de protections, bracelets antirapprochement, recensement de tous les cas de violences conjugales avec réévaluation du danger… l’addition de ces diverses mesures avait permis de faire chuter le nombre de féminicides de 71 en 2003 à 55 en 2019. Un taux, rapporté à la population, «deux fois moins élevé» qu’en France, où 146 femmes ont été tuées la même année par leur conjoint ou ex-conjoint. A noter toutefois qu’en 2020, 90 féminicides ont été comptabilisés en France, un chiffre au plus bas depuis quinze ans.

Depuis la pandémie de Covid-19, la violence contre les femmes s’est intensifiée dans le monde entier, comme l’ont remarqué plusieurs instances internationales à l’instar de l’ONU Femmes. Un triste constat appelant à un renforcement de la lutte, y compris dans le cas de politique volontariste, comme le montre l’exemple espagnol.

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