L’ampleur des violences subies par les femmes n'est plus à démontrer. En réaction à celles-ci, Police et Justice font l’objet de vives critiques. Récemment, l’enquête du collectif #NousToutes sous le hashtag #prendsmaplainte sur les réseaux sociaux, démontrait à nouveau les failles du système français dans l'écoute et l'accompagnement des victimes.

Parmi les 3500 témoignages anonymes, 66% parlent d'une "mauvaise prise en charge par les forces de l’ordre lorsqu’elles ont voulu porter plainte pour des faits de violences sexuelles". Dans son roman De mon plein gré sorti en 2021, Mathilde Forget raconte comment sa plainte pour viol lui a paru digne du procès de Kafka. "Je me suis livrée à la police moi-même", écrit-elle dès les premières lignes.

Vidéo du jour

D’après Marilyn Baldeck, déléguée générale de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), pour qu’un dépôt de plainte se passe bien, trois conditions doivent être réunies : qu’il y ait de la motivation à prendre cette plainte du côté des receveurs, que le personnel soit formé, et que ce personnel travaille dans de bonnes conditions. "Si on pense que ces paramètres ne sont pas réunis, alors mieux vaut se préparer." Voici quelques recommandations.

Prendre son temps, écouter ses besoins

Déposer plainte est un choix. Un choix qui n'appartient qu'à soi, mais qui, il faut le savoir, peut nous échapper. En effet, en cas de danger ou de flagrance, des poursuites peuvent être engagées, que l’on ait d'ailleurs déposé plainte ou non. L’article 40 du Code de procédure pénale indique que "Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l'article 40-1. Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs." Même si l'on se rétracte, le procureur peut donc décider de l’opportunité des poursuites. 

Aussi, savoir si l'on se sent prête à affronter une telle procédure et ses aléas est crucial. Et la réponse à cette question, le cheminement pour y parvenir, n'appartient qu'à soi. Au sein de l’AVFT, l’adage est d'ailleurs : "N’allez jamais plus loin ni moins loin que les femmes veulent aller", nous dit Marilyn Baldeck. Dans cette association, comme pour d’autres lieux dédiés à l’accompagnement des femmes victimes de violences, il s'agit d’"entendre leurs intentions et leur capacité à affronter les procédures".

Pour Anne-Claire Garros, psychologue du pôle psychosocial du commissariat de Nantes, il est mieux de pouvoir être partie prenante de la procédure : "Si la personne n’est pas active dès le départ et convaincue, la suite peut être compliquée et fatigante", prévient-elle.

Remettre en ordre ses souvenirs, voire les écrire

Lors de l’audition, il est conseillé de tout dire de manière honnête et chronologique, surtout ce qui a l’air préjudiciable. "L’idéal est de se présenter avec son récit écrit, ça permet de s’y raccrocher, explique Marilyn Baldeck. Dans le meilleur des cas il sera ajouté en annexe à sa plainte et pourra faire partie de la procédure." On peut aussi travailler sur la terminologie : "caresser une cuisse" devient "il a procédé à un attouchement sur la cuisse" ; ou non pas "relation sexuelle imposée" mais "pénétration sexuelle imposée". 

L’idéal est de se présenter avec son récit écrit, ça permet de s’y raccrocher.

"Parfois les femmes sont tellement embrouillées par la violence, il y a une telle dissonance cognitive, qu’il est difficile de les envisager et de les intégrer et donc de tout mettre dans le bon sens", souligne Anne-Claire Garros. Or, en France, la constance du récit mesure encore trop souvent la crédibilité. Les variations peuvent être utilisées par la défense.

"Même si c’est normal que le récit soit évolutif, ce n’est pas pour autant contradictoire, poursuit Marilyn Baldeck. Tant que la culture judiciaire n’a pas changé, il faut garder cette étape confidentielle", conseille-t-elle. Et la psychologue Anne-Clair Gros d'abonder sur la nécessité de "traduire les émotions en infractions pénales" avant le dépôt de la plainte.

Cette étape peut se faire auprès d’une personne de confiance, d’une association, d’un ou une avocate ou même dans certains commissariats dotés d’un bureau d’aide aux victimes comme à Nantes. L’association France Victime a par ailleurs développé l’outil gratuit "Mémo vie" pour retracer les infractions sur la durée. 

Conserver les preuves dans un lieu sécurisé

Pour les captures d’écran (mails, sms, photos) ou les documents (attestations, certificats), il existe des coffre-forts sécurisés en ligne, ou on peut les imprimer et les confier à des personnes de confiance. "Mais ce n’est pas que à la victime d’amener les éléments de preuve. C’est tout le travail du service enquêteur", insiste Camille Dormegnies, directrice de France Victimes 44 Nantes.

L’AVFT recommande de faire une cartographie des éléments susceptibles d’être recueillis par la victime et par les enquêteurs auprès de potentiels témoins. Ces faisceaux d’indice pourront devenir des preuves, mais il n’y a aucune obligation à les amener soi-même lors du dépôt de plainte.

Pour les certificats d’incapacité totale de travail (ITT), unité de mesure utilisée en droit pénal pour qualifier le niveau de gravité de l’infraction, une réquisition doit être délivrée par la police après la plainte. Si la priorité reste le soin, le médecin légiste ne pourra pas faire d’examen médico-légal sans ce document. Ce qui peut paraître paradoxal mais qui explique des situations incompréhensibles d’allers-retours entre hôpital et commissariat… 

Connaître ses droits 

Le dépôt de plainte est encadré par la loi. Une plainte peut être déposée dans n’importe quel commissariat ou gendarmerie. Depuis 2018, le portail en ligne de signalement des violences sexuelles et sexistes propose d’accompagner vers le dépôt de plainte. 

Ce n’est pas que à la victime d’amener les éléments de preuve. C’est tout le travail du service enquêteur.

Des points d’accès aux droits gratuits existent dans la plupart des mairies, dans certaines associations mais aussi au sein des Barreaux. À Paris, le Bus des Solidarités propose mercredi sur deux, de 12h à 15h, une permanence dédiée dans le 20e arrondissement.

Se préparer à la procédure et à ses longueurs

Une audition de plainte peut durer plusieurs heures. Des questions intrusives seront posées. Pour les violences conjugales, une trame commune existe, qui n’est pas publique mais que nombre d’associations connaissent.

Par la suite, les choses vous échappent, du fait du secret d’enquête. En fonction des faits la comparution peut être immédiate ou la procédure durer des années. "Ça n’appartient plus aux victimes, ça devient l’affaire des institutions chargées de la sanction", précise Marilyn Baldeck. "On explique alors la différence entre ce qu’on espère, ses besoins, son envie, sa réalité", détaille Anne-Claire Garros.

S’organiser le jour J (sauf danger, urgence ou flagrance)

Lors du dépôt de plainte, il est conseillé de venir sans ses enfants. Si vous n’avez pas de rendez-vous, préparez-vous à faire la queue.

"Si on sent de la difficulté pour la personne, qu’elle se sent mal, on peut appeler le pôle psychosocial, explique Anne-Sophie Rouland, capitaine de police à Nantes. Il n’y a pas de bon horaire pour se présenter. Parfois le commissariat est plus calme le matin. Le vendredi soir c’est plus compliqué pour le relogement."

Vous pouvez venir accompagnée. Il n’est pas interdit de venir avec son avocat.e.

Demander à relire le PV et vérifier ses propos avant de signer

À la fin de l’audition, si on a oublié quelque chose, il sera possible de faire un complément plus tard. Il est préconisé de vérifier que les questions de la police sont bien retranscrites, "sinon ça donne l’impression que c’est une audition libre ou d’être incohérente" précise Marilyn Baldeck. Les nuances auront leur importance.

Plus d'infos et de ressources : 3919, Droitdirect.fr, Noustoutes.org, Avft.org, nantescitadelles.fr, La Maison des femmes