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Bure : des militants anti-nucléaire jugés pour "association de malfaiteurs"
Des militants anti-nucléaires sont jugés à Bar-le-Duc, suspectés de dégradations, sont jugés à Bar-le-Duc (Photo d'illustration)
Jérémie Lusseau / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Bure : des militants anti-nucléaire jugés pour "association de malfaiteurs"

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Du 1er au 3 juin, sept opposants au projet d’enfouissement de déchets radioactifs à Bure, dans le Meuse, sont jugés à Bar-le-Duc pour des dégradations et l’organisation de manifestation non-déclarées. L’enquête avait été marquée par des opérations de surveillance massives.

Cela fait trois ans qu'ils n'ont pas pu se voir, se parler, ni même se trouver dans la même pièce. Sept opposants au projet de centre industriel de stockage géologique de déchets radioactifs (Cigéo) à Bure (Meuse), sont de nouveau côte à côte au tribunal correctionnel de Bar-le-Duc, où ils sont jugés, du 1er au 3 juin, pour « association de malfaiteurs ». À ces anciens occupants de la zone à défendre (ZAD) de Bois-Lejuc, la justice reproche des « destructions, dégradations ou détériorations de bien par substance explosive » mais aussi l'organisation d’une manifestation non-déclarée, le 15 août 2017. Ces trois hommes et quatre femmes, âgés de 28 à 48 ans, avaient été placés sous contrôle judiciaire strict leur interdisant de se voir. Presque tous encourent dix ans de réclusion.

Déchets radioactifs pour plus de 1 000 ans

Pendant les « journées anti-nucléaires », en 2017, les choses avaient tourné au vinaigre dans les environs de Bois-Lejuc, foyer de la protestation antinucléaire en France. Car c’est là, à 500 mètres sous terre, que l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) entend enfouir d’ici 2035 plus de 85.000 mètres cubes des rebuts les plus dangereux de l'industrie atomique. Dont certains produiront un rayonnement radioactif pendant plus de 1 000 ans.

C'est aussi là que la contestation a bouillonné. Le tribunal doit ainsi se pencher sur une série de débordements survenus au cours de l'année. Dans la nuit du 16 au 17 février 2017, une quarantaine de personnes, visage dissimulé, attaquent le site de l’« écothèque » de l’Andra. Des projectiles sont ensuite tirés sur une voiture de gendarmerie. Puis, le 12 juin au matin, une trentaine de personnes font intrusion dans l’hôtel-restaurant Le Blindeuil, situé près du laboratoire d’enfouissement, et tentent d’y mettre le feu. Enfin, le 15 août, une manifestation baptisée « Bure’s Zombie Walk », rassemblant plus de 150 personnes encagoulées et masquées, vire à la bataille rangée avec les gendarmes. Dans un champ de la commune voisine de Saudron (Haute-Marne), les pandores sont cibles « de jets de pierres, de bouteilles incendiaires et de feux de Bengale », selon un commandant du peloton d’intervention entendu par le juge d’instruction. Il y a eu deux blessés dans leurs rangs. Quatre côté manifestants.

Surveillance massive

Un mois plus tard, le 20 septembre 2017, la base arrière du mouvement, la « Maison de la résistance », composée d'un bâtiment et de six caravanes, est perquisitionnée. Les enquêteurs y découvrent « des pétards artisanaux, des tubes mortiers (...) 25 casques noirs, des boucliers rectangulaires artisanaux », entre autres masses et bouteilles incendiaires. Des documents d’identité sont également saisis. L’expulsion du Bois-Lejuc, le 22 février 2018, occasionne enfin la saisie d’autres engins incendiaires.

Pour tenter d'identifier les opposants cagoulés, mais aussi d'établir leur organigramme, les gendarmes dégainent de gros moyens. Plus de 85.000 interceptions téléphoniques, prises de vues en hélicoptères, utilisation de la technologie de la cellule criminelle Anacrym, leur permettant d’accéder à des techniques d’analyse ordinairement réservées à l’élucidation des crimes les plus graves... Des écoutes retranscrivent, entre autres, des échanges téléphoniques entre différentes personnes situées sur la « barricade nord » et la « barricade sud » à Bois-Lejuc, alors que des affrontements avaient lieu avec les forces de l'ordre. Mais, malgré le déploiement de tels moyens de surveillance, aucun des responsables des dégradations à l'hôtel-restaurant, ni aucun des émeutiers de la manifestation d'août 2017, n’a pu être formellement identifié. La plupart des prévenus nient les faits dont on les accuse et ont gardé le silence en garde à vue.

Des "sabotages occultes"

Dans son ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, le juge d’instruction Kévin Le Fur pointe toutefois l’« influence significative » de trois prévenus sur le groupe antinucléaire de Bure. Parmi eux : Joël D., 38 ans, co-président de l’association Bure Zone Libre et gérant de la « Maison de la résistance », désigné comme une personnalité « incontournable ». Ce dernier a déploré dans une lettre la « cruelle impréparation » de la manifestation du 15 août. « Ces difficultés ne sauraient à elles seules mettre à néant l’organisation, certes incomplète mais existante, intervenue en amont de cette manifestation », fait valoir le magistrat. À ses yeux, ce rassemblement avait pour but de commettre des violences et notamment des « sabotages occultes ».

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