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Alexandra Henrion-Caude, la généticienne devenue égérie des covido-sceptiques
Rassemblement du groupe "Paris pour la liberté" (mélangeant des Gilets Jaunes (Force Jaune), de ReinfoCovid , ou des membres du parti des Patriotes) autour de Francis LALANNE (chanteur et activiste) et de la "scientifique" controversée Alexandra HENRION-CAUDE, Fontaine des Innocents, à Paris, le 27 Mars 2021.
Hans Lucas via AFP

Alexandra Henrion-Caude, la généticienne devenue égérie des covido-sceptiques

À la dérive

Par Jean-Loup Adenor et

Publié le

La généticienne anciennement membre de l’Inserm s’est affichée le 22 mai comme une nouvelle égérie des anti-pass sanitaire et autres vaccino-sceptiques. Son parcours, de disciple surdouée du généticien et président de la ligue contre le cancer Axel Kahn à la première ligne des manifestations anti mesures sanitaires, embarrasse et interroge.

De quoi Alexandra Henrion-Caude est-elle le nom ? Aujourd’hui, vraisemblablement d’un mouvement de défiance contre les mesures sanitaires prises depuis l’irruption du coronavirus. La scientifique s’est affichée à la manifestation du Trocadéro, le 22 mai, en compagnie de l’humoriste Jean-Marie Bigard. Il faut prendre le temps de lire les centaines de commentaires laissés sous chacune des vidéos de ses interventions et diffusées sur les réseaux sociaux pour constater qu'elle dispose d'un important capital sympathie auprès d'une partie des Français vaccino-sceptiques. Une « femme courageuse », « brillante », qui n'a pas peur de « sacrifier sa carrière » pour donner sa vérité, peut-on notamment lire sous son dernier débat, face à Jean-Michel Cohen sur le plateau de Morandini Live sur CNews. « Je n’ai été invitée qu’une seule fois chez vous, j’ai été invitée une seule fois ailleurs, je pense que j’ai une appréciation sur les thérapies géniques à ARN qui mérite que les Français soient au courant », s'y plaint-elle notamment.

Son expérience est incontestable : Alexandra Henrion-Caude, née en 1969 à Warwick (Grande-Bretagne), a obtenu son doctorat en génétique à Paris VII en 1997 avant de fréquenter les bancs de la Harvard Medical School à Boston en 1999. Elle décroche plusieurs prix, celui de la Fondation Nestlé en 1998 et le prix Enseignhower Fellowship en 2013. Dans le milieu scientifique, elle est connue pour être derrière la découverte de l'implication d'ARN non-codants dans certaines maladies génétiques. Elle a travaillé sous la direction du généticien Axel Kahn et pour l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Aujourd'hui, Alexandra Henrion-Caude joue de son aura pour dénoncer régulièrement « l'incroyable expérimentation » qui se cacherait derrière la campagne vaccinale. « Un mort toutes les 30 000 injections de vaccin » et desrisques sur « la fertilité », peut-on notamment lire sur ses réseaux sociaux. Des prises de position qui embarrassent le milieu scientifique et tout particulièrement l'Inserm, où la chercheuse a longtemps travaillé. « Mme Henrion-Caude est une chercheuse à la retraite depuis août 2019. Elle n'est pas chercheuse émérite de l'Inserm et nous n'avons plus de liens "employeur-employée" avec cette ancienne collaboratrice. En conséquence, elle ne peut aujourd'hui que s'exprimer en son nom propre ou au nom de l'éventuelle structure qui l'emploierait si elle devait être l'employée de quelqu'un », répond l'institut à Marianne.

Une scientifique chrétienne

Depuis le rassemblement du Trocadéro et les images de TMC montrant une foule en colère invectivant des journalistes, la presse s'est emparée du sujet et les portraits fleurissent. Pourtant, la dérive anti scientifique d'Henrion-Caude ne date pas de la crise sanitaire. En 2017, la généticienne assumait déjà son identité catholique tendance conservatrice en participant à un colloque organisé par une association de « scientifiques chrétiens » au collège des Bernardins. Elle y défendait une position fondamentalement religieuse sur la question de la procréation, selon laquelle le fœtus serait doté d'une âme dès sa conception. Une position qu'elle réitérera en 2019 pour le média catholique en ligne suisse Cath.ch, allant jusqu'à exhorter l'Église catholique à reconnaître « l'existence de l'âme dès la conception ». Pour appuyer sa démonstration, elle produisait le raisonnement suivant : « Comment imaginer que Marie ait d’abord reçu un embryon puis l’Esprit du Christ ? Non ! Elle a porté tout le Christ en elle après la visite de l’ange. Un Christ fait chair sans intervalle de temps dans l’assomption des constitutifs de sa condition humaine. » Imparable.

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Au-delà de la question de l'embryon chère à la chercheuse, Alexandra Henrion-Caude s'est très clairement positionnée contre le texte de loi de bioéthique porté par Emmanuel Macron. « Promoteur d'un programme de procréation sans sexe, pour tous, (sans indication médicale et remboursé), l'État s'octroie le nouveau rôle de géniteur », fustige-t-elle notamment dans une tribune publiée dans les colonnes de Valeurs actuelles fin 2020. Dans d'autres prises de parole, elle assure redouter l'accélération de la recherche génétique permise par le texte de loi, particulièrement lorsqu'il concerne l'embryon.

Ces prises de position n'ont pas manqué de la faire remarquer de la frange la plus conservatrice du catholicisme français. C'est donc tout naturellement qu'Alexandra Henrion-Caude s'est retrouvée invitée en tant qu'experte sur TV Libertés, un média qui prétend « apporter une information exemplaire, vérifiée et sans le filtre du politiquement correct » tout en assurant être « indépendant des partis ». C'est là que la généticienne fera ses premières déclarations sur le Covid-19 et la réalité de la crise sanitaire, dès 2020. Loin d'être réellement indépendant, TV Libertés est présidé par le catholique ultra-conservateur, ancien du Front national et fondateur du Parti de la France, Martial Bild. La chaîne relaie tous les combats de la droite catholique française : de la marche pour la vie à l'opposition au mariage homosexuel et aux lois de bioéthique.

Les regrets d'Axel Kahn

La consécration de la chercheuse comme égérie de la frange covidosceptique viendra de sa participation au pseudo-documentaire Hold-Up, qui compile toutes les théories conspirationnistes sur la nature réelle de la crise sanitaire. Dans le film, elle accrédite la thèse selon laquelle le virus a été créé en laboratoire. Une piste qui n'est certes plus exclue aujourd'hui mais qui demeure à prouver. Elle s'oppose aussi très farouchement au port obligatoire du masque, s'appuyant sur une orientation de l’OMS de juin 2020 : « risque potentiellement accru d’autocontamination (...) mal de tête et/ou difficultés respiratoires possibles selon le type de masque utilisé, lésions cutanées faciales », déroule-t-elle. Elle omet néanmoins de préciser que le document de l’organisation, s’il mentionne bien ces éléments dans un passage sur les « effets indésirables/inconvénients potentiels » des masques, encourage le grand public à les porter. « L’OMS conseille désormais aux autorités, pour prévenir efficacement la transmission de la COVID-19 dans les zones de transmission communautaire, d’encourager le port du masque par le grand public dans des situations et lieux particuliers », précise l'organisation.

Ces prises de position semblent avoir profondément blessé le généticien et chercheur Axel Kahn. Dès octobre dernier sur le plateau de LCI, il décrivait son ancienne étudiante comme une scientifique « de très grande qualité, très travailleuse » mais regrettait ses déclarations « pas tellement différentes des pires positions complotistes ». À nos confrères du Parisien, le président de la Ligue contre le cancer s'émeut de la dérive dans laquelle s'est enfoncée son ancienne disciple. Soupçonnant un « phénomène sectaire » à l'œuvre, Axel Kahn a été visé par une plainte pour diffamation d'Alexandra Henrion-Caude. « Nous allons nous désister » a corrigé dans les colonnes du Parisien son avocat Maître Henri de Beauregard. Une déclaration étayée par les déclarations de la généticienne sur le plateau de CNews : « J'espère que nous pourrons nous rencontrer avant son départ », confie-t-elle, ouverte à la réconciliation. Axel Kahn, qui souffre d'un cancer en phase terminale, a récemment publié un texte annonçant qu'il n'y survivrait pas.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne