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Du bois pour construire toujours plus haut

Les évolutions technologiques et les assouplissements des normes de construction permettent de construire des immeubles de grande taille en bois. En Suisse et dans le monde, les projets se multiplient

Malley Phare, la future tour de bois à Lausanne — © cche Architecture
Malley Phare, la future tour de bois à Lausanne — © cche Architecture

Au pays des vieux chalets, il n’y a pas que les cimes des sapins qui s’élèvent vers le ciel. Il y a aussi des gratte-ciel en bois. A Berne, Zurich, Winterthour, Regensdorf (ZH) ou Lausanne, une tendance se dessine: on remplace le béton et l’acier par du hêtre, de l’épicéa ou du sapin, même à la verticale. Pendant longtemps, le bois a servi avant tout à des constructions de petite taille. Or, depuis plusieurs années, les évolutions technologiques et les assouplissements des normes en matière de construction permettent d’utiliser cette ressource pour des immeubles toujours plus hauts.

Les exemples se multiplient, plus ambitieux les uns que les autres. En Suisse, le premier immeuble élevé construit avec une structure hybride bois et béton est le Suurstoffi 22: un complexe de bureaux de 36 mètres sur dix étages à Risch-Rotkreuz (ZG), achevé en 2018. Quant au plus élevé à ce jour, il provient de la même société, Zug Estates SA: le Suurstoffi BF1, un bâtiment de 60 mètres sur 15 niveaux, sur le campus de la Haute école spécialisée de Lucerne.

C’est dans la ville de Zoug que se déroule actuellement une nouvelle étape de l’avancée du bois dans l’immobilier, avec un projet très suivi, le «Pi», accompagné par des scientifiques de l’EPFZ. D’une hauteur prévue de 80 mètres, ce building, dont la construction devrait s’étendre entre 2023 et 2024, surplombera un nouveau quartier derrière la gare. Conçu dans un souci de mixité sociale, il abritera aussi bien des appartements à vendre que des logements à loyers modérés destinés à la location.

Nouveauté: une ossature intérieure en hêtre

Alors que la plupart des immeubles en bois conservent une structure centrale en béton, celui-ci se distingue par son squelette, en bois également. Andrea Frangi, professeur à l’institut de génie des structures à l’EPFZ, suit ce projet pour l’entreprise Urban Assets Zug AG: «Nous aurons une structure porteuse classique pour un building de grande taille, que l’on appelle tube in tube: à l’extérieur, un cadre composé de colonnes verticales reliées à des poutres horizontales. Et au centre du bâtiment, un second cadre composé de la même manière. D’ordinaire, cette construction est fabriquée en acier ou en béton. Pour ce projet, ce sera du bois de hêtre. C’est une première mondiale.»

© WaltGalmarini AG
© WaltGalmarini AG

A l’origine de cette nouveauté: les progrès dans les matériaux de construction, avec en particulier le perfectionnement de la technique de lamellé-collé, et la possibilité d’utiliser des poutres performantes composées de placage stratifié (LVL) en hêtre. En vue du projet Pi, les ingénieurs de l’EPFZ ont aussi conçu un nouveau type de dalle pour constituer les étages du bâtiment, composées d’un mélange de placage de bois et béton. «C’est beau de pouvoir appliquer directement le fruit de nos recherches», souligne Andrea Frangi. C’est l’autre objectif de cette construction: «Montrer ce que nous sommes capables de faire avec le bois.»

Réduction des émissions de CO2

L’élan est mondial: du Canada au Japon, en passant par la Scandinavie, les projets cumulent les superlatifs. C’est à qui construira le plus haut et avec le plus de bois. Le record de taille est détenu actuellement par la tour Mjøstårnet: un immeuble de 18 étages et 85,4 mètres de haut achevé en 2019 à Brumunddal, en Norvège, venu détrôner de peu l’immeuble Hoho et ses 85 mètres sortis de terre à Vienne la même année. A Tokyo, la société de production de bois Sumitomo Forestry Group veut construire une tour de 350 mètres composée à 90% de bois et 10% d’acier, rapporte le Guardian.

Ingénieurs et architectes mettent en avant les nets avantages écologiques du bois: au lieu d’en émettre en masse comme le béton, le bois stocke le carbone. «Un mètre cube de bois peut contenir jusqu’à 1 tonne de CO2, tant qu’il n’est pas brûlé. L’employer pour la construction permet de prolonger sa fonction de stockage du CO2. Dans une logique d’économie circulaire, lorsque la construction aura atteint la fin de sa durée de vie – environ 50 ans – on continuera d’utiliser les éléments de bois, jusqu’à ce qu’ils servent de matériau de combustion à la fin de leur cycle de vie», souligne Andrea Frangi.

Plus léger, plus rapide, plus sûr que le béton

L’atout écologique est l’une des raisons invoquées par le bureau d’architecture CCHE Lausanne SA pour Malley Phare, une tour en bois de 60 mètres à Lausanne. «Au départ, nous avions prévu une ossature en acier, explique Fabio Leo, architecte chef de projet. Puis nous avons décidé d’utiliser du bois également pour la structure porteuse, afin de répondre entre autres aux critères énergétiques posés par le label société à 2000 watts du quartier, dans lequel s’inscrit l’ensemble de ce projet. Les gains en légèreté et en rapidité d’exécution – les éléments sont fabriqués en usine, puis assemblés sur place – ont achevé de nous convaincre: pour construire la structure, il faut compter quatre mois de chantier avec le bois, contre environ sept mois avec le métal et douze pour le béton. Le bois était donc la meilleure solution.»

L’immeuble sera constitué d’un socle en béton constitué de trois murs périphériques de 15 mètres de haut (45%), sur lequel reposera une structure mixte composée de bois (50%) et d’acier (5%). La matière première – du hêtre, du frêne et de l’épicéa – est locale: elle provient du Nord vaudois et des forêts jurassiennes, contrairement à l’acier qui vient d’Europe et de Chine. Elle est transformée par la société JPF Ducret, spécialisée dans la fabrication d’éléments préfabriqués en bois, notamment la réalisation de poutres jusqu’à 45 mètres de longueur à partir de planches de bois. L’architecte Fabio Leo relève enfin l’avantage sécuritaire du bois: «Comme nous ne bétonnons pas, nous n’avons pas besoin d’acheminer de l’eau sur place. Or un chantier sec comporte moins de risques de dégâts d’eau.»

Un changement de normes

Pendant longtemps, les normes de construction ne permettaient pas de réaliser de hauts immeubles en bois. Tout a changé en 2015, avec la révision des prescriptions en matière de protection incendie, qui ne prévoit plus de limite de taille. Avant, pour les immeubles de plus de 30 mètres de haut, il était interdit d’employer cette ressource, considérée comme un matériau inflammable.

Le changement de loi a aussi été rendu possible par l’amélioration des connaissances sur la manière dont brûlent les constructions de bois, souligne Andreas Frangi: «Les éléments en bois que nous utilisons brûlent à une vitesse de 0,7 mm par minute, pour des poutres très grandes ce n’est pas un problème.»

Si le bois s’avère plus écologique, plus rapide, plus léger ou encore plus sûr, pourquoi n’emploie-t-on pas davantage cette matière première dans la construction? «On a l’impression que l’industrie du béton prend peur face à l’essor du bois. Pourtant cela reste encore une niche. On aura toujours besoin de béton», relève Andreas Frangi. Si demain, l’usage du bois s’étendait massivement, cela soulèverait de nouveaux défis écologiques: la gestion durable des forêts, ou encore l’impact des colles employées dans l’assemblage de matériaux.