SÉRIE – ENFANTS MODÈLES

Ep. 1 Claude et Paloma, chérubins solaires de Picasso

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Qu’ils soient sages ou turbulents, réservés ou joueurs, les enfants peuplent l’histoire de la peinture moderne. Dans cette série, Beaux Arts met à l’honneur ceux qui ont posé, volontairement ou à contrecœur, pour les plus grands artistes. Pour ce premier épisode, partons à la rencontre de Claude et Paloma Picasso, incarnations du bonheur sous le soleil de Vallauris, au centre de tableaux de Pablo et de Françoise Gilot.
Pablo Picasso, Claude et Paloma dessinant, Vallauris, avril 1954
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Pablo Picasso, Claude et Paloma dessinant, Vallauris, avril 1954

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Huile sur toile • 92 x 73 cm • Coll. particulière • © akg-images © Succession Picasso, Paris 2021

Moment d’intimité volé dans la famille Picasso… Le petit Claude dessine d’un trait assuré. Sur les pas de ses deux parents ? Derrière, sa jeune sœur Paloma et sa maman Françoise le regardent. Telle une arche, les épaules voluptueuses de cette dernière enveloppent ses chérubins d’un geste protecteur. Tout inspire le calme et la volupté, du bleu profond dominant à la clarté de la ligne. Des yeux mi-clos des modèles transparaît pourtant déjà la nostalgie d’une innocence perdue : ce tableau, réalisé au printemps 1954, représente la courte trêve des relations de Pablo et Françoise après leur rupture l’année précédente.

Pablo Picasso, Claude dessinant, Françoise et Paloma
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Pablo Picasso, Claude dessinant, Françoise et Paloma, 17 Mai 1954

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Huile sur toile • 116 × 89 cm • Coll. musée national Picasso – Paris • © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) /Adrien Didierjean © Succession Picasso, Paris 2021

En 1943, alors que Pablo vit officiellement avec Marie-Thérèse Walter et fréquente Dora Maar, il rencontre à Paris Françoise Gilot, jeune peintre de quarante ans sa cadette. L’attirance réciproque est immédiate : Picasso met frein à ses deux histoires pour vivre pleinement ce nouvel amour. À soixante ans passés, l’artiste veut se fixer dans le Sud et en même temps qu’il installe son atelier à Antibes, en 1946, il convainc Françoise de partager le même toit. Ce sera finalement Vallauris que le couple élira deux ans plus tard pour installer foyer et ateliers. Entretemps, naît un garçon, Claude, en 1947. En 1949, Françoise met au monde la dernière enfant de Picasso : Paloma, comme « colombe » en espagnol.

Discret sur ses précédentes joies paternelles, Picasso veut vivre cette nouvelle aventure familiale au grand jour. De Robert Capa à Edward Quinn, les photographes jeunes et moins jeunes sont accueillis à bras ouverts pour immortaliser la famille d’artistes au jardin comme à la plage. Les portraits des Picasso s’exposent dans Paris-Match comme ils s’exportent pour Life. Certes, on peut voir une forme de représentation de la part d’un artiste septuagénaire qui, affichant sa paternité, témoigne de sa vitalité et de sa virilité. Son bonheur n’en est pas moins sincère et Pablo se plaît à jouer avec ses enfants, à sculpter des camions de bois pour Claude et des poupées pour Paloma. Mais c’est en peinture que cet amour se traduit le mieux.

Pablo Picasso, Maya à la poupée
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Pablo Picasso, Maya à la poupée, 16 Janvier 1938

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Huile sur toile • 73,5 × 60 cm • Coll. musée national Picasso – Paris • © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / / Adrien Didierjean © Succession Picasso, Paris 2021

Claude et Paloma ont des aînés. Bien connu dans son costume d’Arlequin, Paulo est né en 1921 du mariage de Picasso avec Olga Khokhlova. Du peintre espagnol, Marie-Thérèse engendre Maya en 1935. Pourtant, le regard a changé avec les deux cadets : l’enfant n’est plus un sujet comme un autre, simple témoin des tournants stylistiques du maître. Il suffit de comparer Maya et Paloma portraiturées au même âge pour en avoir le cœur net. Toutes deux sont âgées de trois ans et jouent à la poupée. Mais la fille de Marie-Thérèse est figée, porte cet air grave, stigmate de la mélancolie singulière de Picasso. Au contraire, Paloma est rayonnante, souriante, sa joie se transcrit en courbes libres : le pinceau du père se laisse guider par sa tendresse.

Celui qui peint « comme d’autres écrivent leur autobiographie » scrute les moindres joies de ses petits pour les capturer. Claude et Paloma ne posent pas : ils vaquent à leurs occupations, jouent ici avec un camion et là avec un cheval de bois. Frère et sœur sont côte-à-côte, dans la complicité que Picasso veut saisir. D’une petite voiture offerte à Claude par Daniel-Henry Kahnweiler, Picasso tire une sculpture, la Mère guenon, l’une des plus belles illustrations de la maternité. À Vallauris, l’artiste s’approche enfin de son rêve secret : peindre comme un enfant. Rattraperait-il Matisse dans sa quête effrénée du bonheur de vivre ?

Anonyme, Paloma faisant goûter de la crème au caramel à Picasso, à La Galloise, Vallauris
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Anonyme, Paloma faisant goûter de la crème au caramel à Picasso, à La Galloise, Vallauris, 1952–1953

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Photographie • 17,9 × 23,7 cm • Coll. musée national Picasso – Paris • © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / image RMN-GP © Succession Picasso, Paris 2021

Pablo n’est pas le seul peintre au foyer : Françoise Gilot s’affirme et dépeint elle aussi ses enfants, tel Claude inscrivant le mot « Liberté » sur un tableau noir pendant que Paloma tient la flamme. Dans son livre de souvenirs Vivre avec Picasso en 1964, Françoise se souvient de cette période où les enfants s’ennuyaient parfois, quand le père était souvent absent et la mère affairée à l’atelier. Claude, malicieux, l’encourage à la porte : « Maman, ce que tu fais est très joli. Tu as de la fantaisie, mais ce n’est pas fantasque. […] C’est mieux que ce que fait papa. »

L’histoire a pourtant sa part d’ombre. Maya est las de cette famille recomposée « de bric et de broc ». Aimant avec ses jeunes enfants, Pablo est distant avec les aînés, surtout Paulo, qu’il emploie comme chauffeur. Directrice du musée Magnelli à Vallauris, Céline Graziani analyse ainsi le rapport de Picasso à l’enfance : « Cet intérêt pour l’enfance […] souligne la volonté de l’artiste de figer dans sa création ce moment si particulier porteur de joie et d’innocence. » Après la séparation avec Françoise, Pablo reçoit ses enfants aux vacances scolaires, mais ils ne lui inspirent guère de nouvelles œuvres : sa dernière femme Jacqueline Roque est sa seule muse, désormais.

Pablo Picasso, Françoise Gilot et ses enfants, Paloma et Claude
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Pablo Picasso, Françoise Gilot et ses enfants, Paloma et Claude, 25 janvier 1951

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Huile sur carton • 116 × 89 cm • Coll. particulière • © akg-images © Succession Picasso, Paris 2021

Françoise Gilot obtient que Claude et Paloma portent le patronyme Ruiz-Picasso en 1960. Après un feuilleton judiciaire à la suite du décès du peintre en 1973, les droits des enfants naturels sont reconnus. Claude et Paloma héritent de la fibre artistique. L’aîné est assistant de Richard Avedon à New York entre 1967 et 1974, hésitant entre une carrière de photojournaliste et de réalisateur avant de se consacrer à la succession de son père. Il fonde dans cette optique la Société Picasso Administration en 1995, seule habilitée à délivrer des certificats d’authenticité aux œuvres arrivant sur le marché. Quant à Paloma, elle trouve sa voie dans la mode, encouragée par Yves Saint Laurent qui remarque les bijoux de sa création à la fin des années 1960. C’est finalement dans la parfumerie qu’elle s’illustre, lançant sa propre marque en 1984. Quant à Françoise Gilot, elle s’apprête à souffler sa centième bougie en novembre.

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Françoise Gilot, l’insoumise 100 ans !

Du 18 juillet 2021 au 31 décembre 2021

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Françoise Gilot, Pablo Picasso dans l'œil de Michel Sima

Du 26 juin 2021 au 26 septembre 2021

www.rencontres-arles.com

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Picasso, les années Vallauris

Par Anne Dopffer et Johanne Lindskog (dir.)

Éd. Flammarion • 2018 • 39 €

Retrouvez dans l’Encyclo : Pablo Picasso

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