Média indépendant à but non lucratif, en accès libre, sans pub, financé par les dons de ses lecteurs

Le département des Deux-Sèvres veut retrouver sa souveraineté alimentaire

En quelques décennies, la libéralisation des échanges commerciaux a détruit l’autonomie agricole de nos territoires. Le département des Deux-Sèvres a décidé d’enrayer ce processus en tentant de reconstruire sa souveraineté alimentaire. Mais rebâtir des filières agricoles n’est pas chose aisée.


Dans les Deux-Sèvres un quart de la population agricole a disparu des écrans de contrôle en dix ans. En France, ce sont 60 % des exploitations agricoles qui ont mis la clé sous la porte en moins de trente ans.

« Aujourd’hui, il est impossible d’alimenter les populations de nos régions sans passer par une stratégie de flux tendus de produits alimentaires de première nécessité. 90 % des régions françaises et européennes vivent sous perfusion par l’intermédiaire des supermarchés et autres structures de ventes », dit Emmanuel Bailly.

En 2005, cet ingénieur de l’environnement avait mis le doigt sur ce problème dans une étude intitulée « Vers une démarche écorégionale. Ou comment restaurer le système immunitaire des régions. »

Que faire, à l’échelle locale, pour tenter de remédier à ces incohérences ? Emmanuel Bailly propose de considérer chaque région comme un écosystème à part entière et de tâcher de reconstruire son immunité. Recruté par Eric Gautier, le président du conseil général des Deux-Sèvres, il y est depuis deux ans et demi responsable du projet Resalis.

Le but : dix millions de repas en produits locaux

Environ vingt millions de repas sont servis chaque année par les services de restauration collective des Deux-Sèvres. Mais, seuls 7 % d’entre eux sont conçus à partir de produits locaux. RésALIS vise à favoriser les circuits courts et à approvisionner la restauration collective en produits locaux.

« Notre objectif est de rapprocher l’offre de la demande de façon à nous approvisionner au plus près du lieu de consommation. Nous pouvons parvenir à servir dix millions de repas à partir de produits locaux dans les cinq à six prochaines années » explique M. Bailly.

Un portail internet permet aux responsables de restaurants collectifs de passer leurs commandes en ligne en privilégiant le périmètre d’approvisionnement immédiat. Si celles-ci ne trouvent pas satisfaction, le logiciel informatique sollicite le périmètre d’approvisionnement de proximité.

Puis, un périmètre d’alimentation éloigné, au niveau régional, national ou international si l’offre locale s’avère indisponible. Tous les produits sont ensuite centralisés en un lieu avant d’être acheminés dans les cantines collectives du département, à l’aide de petits camions réfrigérés.

Résalis réunit désormais plusieurs centaines de producteurs qui ont été sélectionnés par une commission d’habilitation. Tous les produits livrés doivent être bons, propres, et justes - rétributions et conditions de travail équitables. Un concept emprunté à Slow Food, qui sert de ligne directrice. L’utilisation de semences OGM est interdite. Et du côté des fruits et légumes, les produits doivent tous être bio.

« Sur le papier, Résalis ouvre de formidables perspectives pour le développement de l’agriculture biologique dans notre département », dit Yann Liaigre, le président du Groupement des agriculteurs biologiques des Deux-Sèvres.

Remailler le territoire

Rétablir l’immunité alimentaire du département suppose de remailler le territoire, de façon à faire renaître les structures agricoles qui ont disparu.

Du côté de la filière légumes, seize maraîchers se sont regroupés, à ce jour, dans l’association Biogâtine. Ces effectifs seraient évidemment insuffisants si toutes les cantines publiques faisaient appel à eux. Mais, c’est encore loin d’être le cas. Les responsables des cuisines, dont les habitudes de travail se trouvent bousculées, freinent des quatre fers. Et l’accès au foncier demeure problématique pour les jeunes agriculteurs.

« C’est un super projet, note Geoffrey Trouvé, jeune maraîcher et référent de Biogâtine. Mais, les quantités de légumes que l’on nous demande de livrer progressent très lentement. Il aurait peut-être fallu tester le système sur une gamme plus restreinte de produits et sur quelques collèges avant de l’étendre à tout le département ? » s’interroge-t-il, tout en restant confiant sur la réussite de l’entreprise.

Au menu de Résalis pour les prochaines années : préemptions et achats de terres, aides à l’installation de jeunes agriculteurs, mise en place d’une formation diplômante en maraîchage, création de cursus spécialisés destinés aux cuisiniers. Il s’agira aussi de puiser dans des techniques agricoles qui ont fait leur preuve comme la permaculture et le bois raméal fragmenté et de réfléchir aux moyens d’adapter l’agriculture au changement climatique. A terme, plusieurs centaines d’hectares de terres devront avoir été remis en culture agro-écologique, et plusieurs centaines d’emplois être créés.

A terme ! Car aujourd’hui les pesanteurs qui freinent la montée en puissance du dispositif montrent qu’il n’est pas aisé de se libérer de longues décennies d’agriculture industrielle et d’hyperspécialisation. Ce qui n’empêche pas les départements voisins d’observer de très près la métamorphose du système alimentaire qui se dessine dans les Deux-Sèvres.

Fermer Précedent Suivant

legende