Vaccin contre la malaria : après des années de recherches, des essais cliniques prometteurs

Les premiers résultats sont prometteurs et suggèrent que l'on pourrait disposer d’un nouvel outil pour faire face à ce parasite transmis par les moustiques.

De Michael Greshko
Publication 12 mai 2021, 14:57 CEST

Une mère réconforte son fils, atteint de malaria, dans un hôpital de Zambie.

PHOTOGRAPHIE DE John Stanmeyer, Nat Geo Image Collection

Chaque seconde, sept personnes dans le monde se retrouvent confrontées à l’un des meurtriers les plus prolifiques de l’humanité : un parasite qui mute, transporté dans la salive des moustiques. Il est capable d’échapper à notre système immunitaire et s’installe dans le foie et les cellules sanguines. Toutes les deux minutes, le parasite emporte une victime de moins de cinq ans, brisant des cœurs et des familles. Ce cycle se répète toutes les heures, tous les jours, toutes les semaines, tous les ans.

Pendant plus de dix ans, Halidou Tinto s’est préparé à combattre cet assassin. M. Tinto, épidémiologiste, spécialiste de la malaria (ou paludisme) et directeur régional de l’Institut de Recherche en Sciences de la santé du Burkina Faso, travaille pour le département de Nanoro, à 80 kilomètres au nord-est de la capitale Ouagadougou. Avec l’arrivée de la mousson africaine chaque été, les cas de malaria grimpent en flèche à Nanoro et au sein des communautés du pays. Le Burkina Faso, qui compte vingt millions d’habitants, enregistre environ 11 millions de cas de malaria chaque année et 4 000 décès.

Après des mois de discussions avec familles locales pour participer à de nouveaux essais cliniques, des années d’essais médicaux dans la région et des décennies de recherches, le centre de M. Tinto abrite aujourd’hui quelque chose de nouveau : l’espoir.

Dans une étude publiée le 5 mai dans la revue The Lancet, une équipe de chercheurs internationale a partagé de nouvelles données prometteuses sur un potentiel vaccin. Son essai clinique en est déjà à sa deuxième phase. Il a été mené sur quatre-cent-cinquante enfants à Nanoro et consistait à évaluer le vaccin R21. Ce nouveau candidat à la lutte contre la malaria a été développé au Royaume-Uni depuis plus de dix ans. Les résultats montrent qu’après avoir reçu trois doses sur une période de huit semaines et un rappel douze mois après, le vaccin R21 atteint un taux d’efficacité contre la malaria de 77 % chez les enfants. Le vaccin témoin pour cette expérience était un vaccin contre la rage, plutôt qu’un placebo classique.

R21 est le premier candidat vaccin contre la malaria qui dépasse le seuil des 75 % d’efficacité. Cet objectif avait été fixé par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en 2013. S’il s’avère efficace lors d’essais plus importants, R21 pourrait devenir un nouvel outil efficace dans la lutte contre la malaria.

« Nous sommes enthousiastes mais nous avons encore besoin de la troisième phase pour prouver l’efficacité et la sûreté du vaccin avant de passer à la prochaine étape », explique M. Tinto, l’un des auteurs principaux de l’étude.

 

UN PARASITE PLUS QUE COMPLEXE

Les enjeux sont nombreux. En 2019, le monde a enregistré près de 229 millions de cas de malaria, une maladie qui a tué 409 000 personnes, dont deux tiers étaient de jeunes enfants.

Ces vingt dernières années, d’énormes progrès ont été faits pour enrayer la malaria, grâce à la généralisation des moustiquaires, un diagnostic rapide et l’utilisation saisonnière de médicaments antipaludiques préventifs. De 2000 à 2015, grâce à toutes ces mesures, l’incidence des cas de malaria au sein des populations à risque a chuté de 27 %. Toutefois ces dernières années, les progrès ont ralenti. De 2015 à 2020, le nombre de cas a reculé de moins de 2 %.

Afin d’enregistrer de nouveaux progrès significatifs, l’OMS attend avec impatience l’introduction d’un vaccin. Plus de cent-quarante candidats vaccins contre la malaria sont en cours de développement. Pour l’heure, aucun d’entre eux n’a encore été adopté officiellement.

Élaborer un vaccin contre la malaria s’avère extrêmement difficile, en partie car cette maladie est complexe. La plupart des cas de malaria sont engendrés par le parasite Plasmodium falciparum. Son génome est composé de plus de 5 000 gènes, bien plus que les 12 du coronavirus responsable de la COVID-19. « Les vaccins suscitent beaucoup d’intérêt et d’excitation en ce moment, notamment avec la COVID-19... mais évidemment, nous visons quelque chose de très différent », explique Mehreen Datoo, auteure principale de l’étude, médecin et candidate au doctorat à l’institut Jenner, à l’Université d’Oxford. Elle aide actuellement au développement clinique de R21.

Contrairement aux bactéries et aux virus, les parasites tels que Plasmodium passent par plusieurs stades de développement au sein du corps humain. De fait, le développement de vaccins dirigés contre ces organismes est d’autant plus compliqué. Lorsqu’un moustique femelle plante son proboscis dans la peau d’un humain en quête de sang pour se nourrir, les parasites du genre Plasmodium contenus dans la salive du moustique sont transférés dans le système sanguin de l’hôte. En une demi-heure, les parasites quittent le système sanguin et s’installent dans le foie, où ils se multiplient par milliers.

Ensuite, les parasites retournent dans le système sanguin, où ils se multiplient frénétiquement et forment ainsi un cercle vicieux : ils pénètrent dans un globule rouge, se répliquent en son sein puis font éclater la cellule infectée. Certains de ces parasites poursuivent leur maturation et une fois qu’un moustique revient boire le sang d’une personne infectée, les Plasmodium traversent la paroi intestinale de l’insecte et regagnent ses glandes salivaires. Ainsi, un nouveau cycle commence.

Le Plasmodium se multiplie dans toutes les régions du corps humain. La meilleure manière d’enrayer une infection est donc d’y mettre fin le plus rapidement possible, de préférence avant qu’il n’infecte les globules rouges. La question, c’est comment ?

 

LE DÉVELOPPEMENT D’UN NOUVEAU VACCIN

Pendant des années, les chercheurs se sont concentrés sur le stade de développement du Plasmodium lorsqu’il pénètre pour la première fois dans le système sanguin humain, une forme appelée sporozoïte. En 1983, les chercheurs ont découvert que les sporozoïtes sont recouverts d’une protéine qui engendre une forte réponse immunitaire. En 1987, des chercheurs du laboratoire pharmaceutique américain GlaxoSmithKline ont développé un vaccin test contre la malaria à partir de cette protéine, appelée circumsporozoïte ou CSP.

L’idée de GlaxoSmithKline était de concevoir des protéines porteuses qui contiendraient des fragments de CSP. Elles s’assembleraient elles-mêmes afin de former des gouttes microscopiques, que l’on appelle des pseudo-particules virales. Elles pourraient être injectées dans l’organisme pour déclencher une réponse immunitaire. Si des agents pathogènes recouverts de la même protéine venaient à pénétrer dans l’organisme plus tard, le système immunitaire serait prêt à combattre l’infection. Il s’agit d’une technique déjà utilisée pour élaborer certains vaccins aujourd’hui. Si vous avez été vacciné contre le papillomavirus humain ou l’hépatite B, vous avez reçu un vaccin élaboré à partir de pseudo-particules virales.

Dans le cas de la malaria, les chercheurs ont lié un fragment de CSP à une protéine prélevée à la surface du virus de l’hépatite B. Ils savaient déjà que cette dernière s’agglutinait sous forme de particules sphériques. Lorsque ces protéines sont fabriquées en masse par une levure génétiquement modifiée, elles s’agglutinent et forment des particules recouvertes de fragments de protéines de Plasmodium, lesquelles poussent l’organisme à produire des anticorps dirigés contre les CSP.

Ce vaccin, dénommé RTS,S, est le vaccin candidat le plus testé contre la malaria. Il est commercialisé par le laboratoire GlaxoSmithKline sous le nom Mosquirix. Depuis près de trente ans, des chercheurs, des organisations caritatives telles que la fondation Bill Gates et GlaxoSmithKline tentent de faire aboutir le vaccin RTS,S. Les essais ont prouvé qu’il était sûr. En 2015, l’Agence européenne des médicaments a rendu un avis favorable mais n’a pas approuvé sa diffusion, principalement parce qu’il n’est pas commercialisé dans l’Union Européenne. Depuis 2019, RTS,S a été administré à plus de 650 000 enfants au Ghana, au Kenya et au Malawi dans le cadre de programmes pilotes appuyés par l’OMS.

Les essais menés sur RTS,S ont prouvé que le vaccin a permis d’éviter près de 4 500 cas de malaria pour 1 000 enfants vaccinés dans les régions où la transmission circule activement et où les enfants peuvent contracter la malaria près de six fois par an. Les modélisations suggèrent que pour 200 enfants vaccinés avec RTS,S, la vie de l’un d’entre eux sera sauvée.

« Pour mettre les choses en perspective, [RTS,S] possède à peu près la même efficacité qu’une moustiquaire et nous avons constaté une baisse significative de la morbidité et la mortalité de la malaria grâce aux moustiquaires », déclare Mary Hamel, épidémiologiste pour l’OMS. Elle dirige le programme de mise en œuvre de la vaccination antipaludique de l’organisation. « C’est quelque chose que l’on pourrait ajouter [pour lutter contre la maladie]. »

Néanmoins, comparé à d’autres vaccins, par exemple ceux contre la COVID-19 dont l’efficacité est a priori impressionnante, les résultats de RTS,S sont plutôt modestes. Les essais ont démontré qu’après la première année de vaccination, pour neuf personnes ayant contracté la malaria sans être vaccinées, quatre l’ont attrapé tout en étant vaccinées. Son taux d’efficacité se situe ainsi aux alentours de 55 %. Quatre ans après la vaccination, son efficacité chute à environ 36 %.

L’OMS a reconnu qu’un vaccin plus efficace pourrait sauver davantage de vies. Ainsi en 2013, l’organisation a établi un objectif audacieux. Selon ses déclarations, d’ici à 2030, l'objectif est qu’un vaccin contre la malaria efficace à 75 % soit mis en place.

C’est là que R21, le candidat vaccin de l’essai du Burkina Faso, fait son entrée. R21 possède un mode de fonctionnement similaire à RTS,S : un fragment de protéine Plasmodium est associé à une protéine de l’hépatite B, forme une particule sphérique et stimule le système immunitaire.

Dans ce cas toutefois, les progrès des techniques de fabrication des vaccins rendent les particules de R21 plus efficaces. En réalité, il se trouve que la quantité de protéines de Plasmodium à la surface des particules du RTS,S n’est pas aussi grande que ce qu’elle pourrait être en théorie. Pour chaque protéine de l’hépatite B possédant un fragment de CSP de Plasmodium, quatre n’en ont pas. En revanche, dans le cas de R21, chaque protéine possède un fragment de Plasmodium. Par conséquent, la surface de ses pseudo-particules virales dispose de bien plus de récepteurs sur lesquels les anticorps peuvent se fixer.

Les études en laboratoire sur R21 ont débuté à Oxford de 2010 à 2012. Les premiers essais cliniques ont commencé quelques années plus tard et ont été menés sur des volontaires en bonne santé à Oxford, Londres et Southampton. Tous ont accepté de se faire infecter par la malaria afin de tester la sûreté du vaccin. Ces premiers résultats étaient déjà assez prometteurs pour susciter l’implication du Serum Institute of India, l’un des plus grands fabricants de vaccins du monde. En 2018, l’institut a homologué le vaccin d’Oxford. Il a accepté de produire 200 à 300 millions de doses de R21 par an si le vaccin était officiellement approuvé.

En mai 2019, le plus grand essai clinique, réunissant 450 participants, a débuté au Burkina Faso. M. Tinto et ses collègues étaient extrêmement bien préparés puisqu’ils avaient été les administrateurs d’un centre d’essais cliniques pour le vaccin RTS,S.

 

COMBATTRE UNE MALADIE TROP PEU CONSIDÉRÉE

Mme Hamel, épidémiologiste pour l’OMS, s'est réjouie des résultats obtenus avec le vaccin R21. Toutefois, à l’instar des coauteurs de l’étude, elle appelle à la prudence avant la fin de la troisième phase de l’essai, qui implique cette fois quatre-mille-huit-cents personnes. Elle débutera dans cinq régions au Burkina Faso, au Kenya, au Mali et en Tanzanie. Selon M. Tinto, les résultats sont attendus pour 2023 ou début 2024. Mme Datoo ajoute que l’équipe qui s’occupe de R21 pourrait lancer les processus de validation dès la fin 2022 si les législateurs africains envisagent de délivrer des autorisations d’urgence au vaccin, comme il a été le cas avec ceux pour la COVID-19.

Une question principale demeure : dans quelles mesures le vaccin R21 protège-t-il de la malaria dans différents contextes de transmission ? Au Burkina Faso, les cas de malaria flambent à l’arrivée de la saison des pluies, à savoir de juin à novembre. Dans d’autres régions d’Afrique, les transmissions se poursuivent toute l’année. Dans l’essai clinique de R21, les chercheurs ont intentionnellement programmé les trois doses pour être administrées juste avant le début de la saison des pluies au Burkina Faso. Espacées de quatre semaines, elles permettront de synchroniser les taux élevés d’anticorps provoqués par le vaccin avec le pic des contaminations de la malaria.

Pour Mme Hamel, ces deux dernières années ont prouvé que les vaccins pouvaient s’avérer très efficaces pour combattre la malaria. Les programmes pilotes soutenus par l’OMS sont toujours en cours malgré les perturbations des systèmes de santé locaux à cause de la pandémie. En outre, des études plus vastes sur les programmes de vaccination des enfants en Afrique ont démontré que 70 % des enfants étaient vaccinés s’ils vivaient dans des foyers où ils ne pouvaient pas dormir régulièrement sous des moustiquaires. Si le vaccin contre la malaria était déployé à grande échelle et administré en même temps que d’autres vaccins infantiles, de nombreux enfants n’ayant pas accès à d’autres traitements contre la malaria bénéficieraient au moins de la protection du vaccin.

La COVID-19 a également prouvé que d’immenses progrès pouvaient être réalisés lorsque la communauté internationale répondait rapidement à une crise sanitaire. Mary Hamel aimerait que ce même sens de l’urgence, et en conséquence, les fonds et le soutien logistique qui en découlent, soient accordés à la malaria. « Je pense que le plus grand obstacle, c’est la complaisance », assure-t-elle. « Si [2021] était la première année qui comptait 265 000 morts d’enfants de moins de cinq ans à cause de la malaria, nous estimerions qu’il s’agit d’une urgence et nous nous activerions. Mais nous nous sommes habitués à cette situation. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

les plus populaires

    voir plus
    loading

    Découvrez National Geographic

    • Animaux
    • Environnement
    • Histoire
    • Sciences
    • Voyage® & Adventure
    • Photographie
    • Espace
    • Vidéos

    À propos de National Geographic

    S'Abonner

    • Magazines
    • Livres
    • Disney+

    Nous suivre

    Copyright © 1996-2015 National Geographic Society. Copyright © 2015-2024 National Geographic Partners, LLC. Tous droits réservés.