Congelé 24 000 ans dans le permafrost sibérien, un animal microscopique revient à la vie

A : Rotifère Bdelloïde vivant isolé à partir du permafrost (également dénommé pergélisol) . B : vue latérale de la tête. C : trophi (mâchoires). Curr Biol. 2021 Jun 7;31 :R697–R713.

Des chercheurs russes rapportent avoir isolé du permafrost un organisme microscopique datant d’environ 24 000 ans qu’ils ont réussi à observer et faire se reproduire en laboratoire. Ils rapportent leurs travaux dans un article publié le 7 juin 2021 dans la revue Current Biology.

L’animal en question a une taille comprise entre 0,1 et 2 millimètres, mais il représente véritablement un modèle réduit d’animaux complexes. En effet, il possède, de la naissance à la mort, un nombre constant de cellules, environ un millier. Il est doté d’un cerveau composé de 150 à 200 neurones, d’organes sensoriels multiples, de muscles striés, d’un estomac, et même de mâchoires (trophi) logées dans un pharynx appelé mastax.

Cet organisme multicellulaire microscopique a donc tout d’un grand, car il contient, dans un volume extrêmement limité, l’ensemble des appareils dont est habituellement doté n’importe quel animal pluricellulaire. Leur nom : rotifères Bdelloïdes (fère : porte, roti : roues). Pourquoi cette dénomination ? Tout simplement du fait que le mouvement du battement ciliaire de leur appareil rotateur antérieur ressemble à deux roues.

Absence de tout mâle chez les Bdelloïdes

Ces organismes sont capables de survivre en vie ralentie (cryptobiose) pendant des mois ou même des années, pour revivre dans l’eau. Leur durée de vie habituelle n’est que de trois à six semaines. Plus de 460 espèces de Bdelloïdes ont été identifiées à ce jour.

Chose étonnante, aucun mâle n’a jamais été observé. Et pour cause : ces rotifères se reproduisent exclusivement par un processus appelé parthénogénèse obligatoire. Leurs descendants sont des clones naturels. En d’autres termes, il n’y a donc que des femelles, capables de se reproduire toutes seules. Nul besoin d’un mâle pour la reproduction.

La plupart des rotifères Bdelloïdes vivent dans les mousses ou lichens, parfois dans le plancton ou l’humus des forêts, c’est-à-dire dans des milieux qui se dessèchent souvent. Les Bdelloïdes en font autant et parviennent à survivre en cryptobiose. Ces minuscules animaux peuvent alors résister à des températures extrêmement basses. On a déjà décrit la survie de rotifères Bdelloïdes six à dix ans après congélation entre -20°C et 0°C. Cette fois, Lyubov Shmakova, Stas Malavin et leurs collègues de l’Institut des problèmes physico-chimiques et biologiques des sciences du sol (Pouchtchino, à 120 km au sud de Moscou), rapportent la survie d’un rotifère Bdelloïde découvert dans le permafrost du nord-est de la Sibérie.

La datation radiocarbone par spectrométrie de masse par accélérateur a permis de dater cet échantillon prélevé à une profondeur de 3,5 mètres sous la surface dans les couches moyennes du lit de la rivière Alazeïa. Ce matériel congelé dans le permafrost (également dénommé pergélisol) date d’une époque comprise entre 23 960 ans et 24 485 ans. « Ceci constitue la survie la plus longue observée de rotifères à l’état congelé », déclarent les scientifiques russes. Et d’ajouter que le minuscule organisme découvert dans le permafrost est bien un rotifère comme l’attestent le séquençage de gènes d’actine (molécule du muscle) et la comparaison avec le génome d’isolats contemporains de rotifères.

Les chercheurs russes indiquent que ce rotifère a supporté d’être congelé à une température d’environ – 15°C pendant une semaine. Après quoi, les biologistes ont observé qu’il a pu se reproduire de façon continue en laboratoire par parthénogénèse obligatoire. Un mois plus tard, ils ont obtenu plusieurs rotifères vivants. Plusieurs cultures secondaires ont ainsi été obtenues, ces animaux se reproduisant, comme on l’a dit, selon un mode n’impliquant aucun mâle.

Des analyses ont alors été entreprises sur cette descendance. L’analyse du gène COX1 de trois rotifères présents dans les cultures secondaires a également permis de confirmer qu’ils étaient phylogénétiquement apparentés aux isolats actuels d’Adineta. Il ressort que ces organismes sont apparentés à un isolat contemporain de Bdelloïde collecté en Belgique : Adineta vaga.

Autres organismes capables de survivre dans des sols gelés

Le retour à la vie d’un rotifère maintenu congelé pendant environ 24 000 ans n’est pas le seul exemple d’organismes capables de survivre dans des habitats gelés durant de nombreuses années.

En 2018, des chercheurs russes (Pouchtchino) ont indiqué que des nématodes contenus dans le pergélisol de deux localités du nord-est de la Sibérie étaient revenus à la vie. Ces vers ont survécu dans des sols gelés pendant 30 000 ans.

Les bryophytes (mousses) sont également capables de survivre durant de nombreuses années en état de latence. En 2013, des chercheurs canadiens de l’université d’Alberta (Edmonton) ont rapporté avoir ramené à la vie des bryophytes prisonnières de la glace pendant 400 ans.

Enfin, en 2012, une équipe russe (Pouchtchino) a rapporté la régénération d’une petite plante herbacée du genre silène et de la famille des Caryophyllacées (Silene stenophylla) à partir de fruits conservés dans une couche de pergélisol sibérien, située à 38 mètres sous la surface et datée de 30 000 ans. Les plantes ont été testées pour leur fertilité sexuelle. Il faut savoir que S. stenophylla nécessite une fécondation croisée pour que la reproduction sexuelle ait lieu. Le plus incroyable est que des fleurs issues de ces plantes anciennes ont pu être fécondées artificiellement avec du pollen, également issu du pergélisol et provenant d’autres plantes anciennes. Il s’est écoulé huit à neuf semaines entre la pollinisation artificielle des fleurs et la maturation des premières graines. La germination en laboratoire des graines prélevées sur les plantes anciennes revenues à la vie a été de 100 % !

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn)

Pour en savoir plus :

Shmakova L, Malavin S, Iakovenko N, et al. A living bdelloid rotifer from 24,000-year-old Arctic permafrost. Curr Biol. 2021 Jun 7;31 :R697–R713. doi: 10.1016/j.cub.2021.04.077

Shatilovich AV, Tchesunov AV, Neretina TV, Grabarnik IP, Gubin SV, Vishnivetskaya TA, Onstott TC, Rivkina EM. Viable Nematodes from Late Pleistocene Permafrost of the Kolyma River Lowland. Dokl Biol Sci. 2018 May;480(1):100-102. doi: 10.1134/S0012496618030079

Shain DH, Halldórsdóttir K, Pálsson F, et al. Colonization of maritime glacier ice by bdelloid Rotifera. Mol Phylogenet Evol. 2016 May;98:280-7. doi: 10.1016/j.ympev.2016.02.020

Iakovenko NS, Smykla J, Convey P, et al. Antarctic bdelloid rotifers: diversity, endemism and evolution. Hydrobiologia. 2015;761,5–43.

La Farge C, Williams KH, England JH. Regeneration of Little Ice Age bryophytes emerging from a polar glacier with implications of totipotency in extreme environments. Proc Natl Acad Sci U S A. 2013 Jun 11;110(24):9839-44. doi: 10.1073/pnas.1304199110

Yashina S, Gubin S, Maksimovich S, et al. Regeneration of whole fertile plants from 30,000-y-old fruit tissue buried in Siberian permafrost. Proc Natl Acad Sci U S A. 2012 Mar 6;109(10):4008-13. doi: 10.1073/pnas.1118386109

Newsham KK, Maslen NR, McInnes SJ. Survival of antarctic soil metazoans at -80 degree C for six years. Cryo Letters. 2006 Sep-Oct;27(5):291-4. PMID: 17256060

Sur le web :

Les Rotifères (Université catholique de Louvain, 2017)

Pierre Clément. Rotifères, Épigénétique et Évolution. Bulletin de la société zoologique de France. 2009;134(3- 4):203-24.

Pourriot R, Francez AJ. Introduction pratique à la systématique des organismes des eaux continentales françaises.- 8 : Rotifères. Publications de la Société Linnéenne de Lyon. 1986;55-5:148-76.

3 réponses sur “Congelé 24 000 ans dans le permafrost sibérien, un animal microscopique revient à la vie”

  1. Cool
    Le réchauffement va réactualiser tout ça….. Nous reculons de trois cases, comme au jeu de l’oie, et nous voilà à Jurassique parc….
    Tout est à recommencer !!! Il faut remettre le métier sur la table… une table qui n’a rien de numérique….

  2. Franchement extraordinaire, digne de la meilleure science-fiction !

    Reste à savoir comment des cellules peuvent survivre aux cycles de congélation-décongélation sans éclater ou se dégrader.

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