En Russie, l'organisme de surveillance d'Internet réduit la vitesse de chargement sur Twitter

Roskomnadzor, l'organisme d'État en charge de la surveillance d'Internet en Russie, a annoncé limiter la vitesse de chargement sur Twitter, qui n'aurait pas retiré des contenus illégaux. Capture d'écran du propre compte Twitter de Roskomnadzor.

Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages web en russe.

Roskomnadzor, l'organisme de régulation des médias et d'Internet en Russie, a annoncé le 1o mars dernier qu'il commencera à réduire la vitesse de chargement sur Twitter afin de sanctionner la plateforme de microblogging pour le maintien de contenus jugés illégaux par les censeurs russes.

Dans son communiqué, Roskomnadzor explique que cette décision fait suite à de multiples demandes de retrait de contenus insultants et à des menaces d'amendes que Twitter aurait ignorées.

В период с 2017 года по настоящее время не удаляется контент, склоняющий несовершеннолетних к совершению самоубийств, содержащий детскую порнографию, а также информацию об использовании наркотических средств, Роскомнадзором было направлено свыше 28 тысяч первоначальных и повторных требований об удалении противоправных ссылок и публикаций.

Entre 2017 et aujourd'hui, des contenus incluant des incitations au suicide adressées à des mineurs, de la pornographie infantile ainsi que des informations sur la consommation de drogues n'ont pas été retirés. Roskomnadzor a envoyé plus de 28 000 demandes, parfois à plusieurs reprises, de retrait de liens et de posts illégaux.

Étrangement, le communiqué de Roskomnadzor ne mentionne pas une autre catégorie de « contenus bannis » : l'organisation de manifestations et regroupements de masse non autorisés. Durant les récents mouvements anti-gouvernement [fr] en soutien à Alexeï Navalny, de nombreux réseaux sociaux ont été priés par Roskomnadzor de supprimer les contenus relatifs aux manifestations. Certains ont même été lourdement amendés pour ne pas avoir obtempéré.

L'organisme de censure d'Internet affirme qu'au 10 mars, environ 3 168 tweets contenant des informations illégales demeuraient en ligne. En réponse, Roskomnadzor a annoncé réduire la vitesse de chargement pour les utilisateurs accédant à Twitter depuis la Russie sur « 100 pourcent des appareils mobiles et 50 pourcent des ordinateurs ». Cette mesure serait conforme à la législation en matière de « souveraineté de l'Internet » [fr] entrée en vigueur en novembre 2019 en Russie. De plus, des amendements plus récents à des lois régulant l'Internet russe, passés en février 2021, autorisent la mise en place de ralentissements informatiques.

Si Twitter continue d'ignorer les demandes de Roskomnadzor, le régulateur dit être prêt à bloquer la plateforme et a laissé entendre avoir les moyens légaux de le faire.

Comment les ralentissements fonctionnent-ils concrètement ?

Selon le groupe de droits numériques Roskomsvoboda, certains utilisateurs en Russie ont d'ores et déjà constaté une nette réduction de la vitesse de chargement de Twitter. Les experts sont d'avis qu'un tel ralentissement est techniquement possible en utilisant la technologie IPP [Inspection profonde de paquets ou, en anglais, Deep Packet Inspection, DPI]. Roskomnadzor a obligé tous les fournisseurs russes d'accès Internet à s'en équiper dans le cadre de l'implémentation de la législation en matière de « souveraineté de l'Internet ». Le système étant autonome, Roskomnadzor a le contrôle complet, sans passer par les FAI.

Artyom Kozlyuk, directeur de Roskomsvoboda, et Mikhail Klimarev, un expert de la Société de protection de l'Internet, expliquent dans un commentaire relayé par le site d'informations technologiques vc.ru que Roskomnadzor utilise la technologie IPP comme un « moyen technique de contrer les menaces ». Les dispositifs de filtrage installés sur les réseaux des FAI vérifient plusieurs paramètres dans chaque paquet de données pour identifier ceux provenant d'un site web spécifique (ici, Twitter), puis décider s'il est nécessaire de les bloquer, de limiter la vitesse de chargement ou s'ils peuvent passer tels quels.

La technologie IPP coûte cher, et les experts supposent que seuls les principaux fournisseurs russes l'ont installée, ce qui expliquerait pourquoi la limitation du haut-débit des ordinateurs n'est que partiellement possible, les petits FAI régionaux ne disposant probablement pas de l'équipement adéquat. De plus, seule la vitesse de chargement des images et vidéos des posts Twitter est réduite, celle des textes n'a pas changé.

Effets secondaires involontaires

Peu de temps après l'annonce de Roskomnadzor, les utilisateurs ont constaté que nombre de sites RuNet sont devenus indisponibles ou lents à charger, y compris le site principal du gouvernement, kremlin.ru, et celui même de Roskomnadzor, rkn.gov.ru. Des sources officielles ont relié l'incident à une erreur technique chez le principal fournisseur d'accès Internet de l'État, Rostelekom, mais les commentateurs n'ont pu s'empêcher de suspecter un lien avec les sanctions contre Twitter.

Voilà… ça recommence. Le ministère de la censure en Russie a tenté de juguler Twitter, mais ce sont plutôt la plupart des sites gouvernementaux russes qui sont maintenant hors ligne, à commencer par https://t.co/hWmhtqnWrO. Leur incompétence est trop hilarante pour une satire.

La situation ressemble également fortement aux pannes généralisées du RuNet [en], qui avaient été causées par la tentative de l'État de bloquer l'application de messagerie Telegram en 2018.

Et maintenant ?

Il s'agit du premier cas en Russie où le ralentissement du trafic est utilisé comme censure d'ordre technique. La Turquie avait déjà adopté la même stratégie pour contrôler des plateformes de réseaux sociaux, signale le site d'informations technologiques Digital Russia.

L'avis des experts du RuNet diffère quant à savoir quelle plateforme de réseaux sociaux sera la prochaine à subir une réduction de la vitesse de chargement ou d'autres formes de censure. Sergey Smirnov, rédacteur en chef du site de presse indépendant Mediazona, estime que cela pourrait bien être YouTube, étant donné le rôle que le site a joué dans la publication des enquêtes anti-corruption de Navalny. Mikhail Kolezev, rédacteur en chef d'un autre organe de presse indépendant, It's My City, n'est pas d'accord :

Сергей Смирнов считает, что следующим будут блокировать YouTube, но я так не думаю — слишком много пользователей в России, слишком серьезные социальные последствия блокировки или замедления. Да и пропагандисты неплохо себя чувствуют на YouTube, много сил уже туда вложено. Поэтому следующим, думаю, будет Facebook — площадка вечно недовольной либерально настроенной интеллигенции, которой, по опросам, пользуется 9% россиян (твиттером — 3%).

Sergey Smirnov considère que YouTube sera le prochain site à être bloqué, mais je ne pense pas : il a trop d'utilisateurs en Russie et les conséquences sociales d'un blocage ou d'un ralentissement seraient graves. En plus, les propagandistes se sentent sur YouTube comme chez eux et y ont investi énormément d'efforts. À mon avis, ce sera plutôt Facebook : c'est la plateforme des intellectuels libéraux éternels insatisfaits et, selon les sondages, elle est utilisée par 9 % des Russes (contre seulement 3 % pour Twitter).

Apparemment, le Kremlin donne raison à Kolezev : l'agence de presse Interfax indique que les législateurs russes ont laissé entendre que Facebook pourrait bien être la prochaine cible du ralentissement de trafic.

En attendant la réaction de Twitter, les experts tech recommandent aux utilisateurs de se procurer un VPN (Virtual Private Networks ou Réseau privé virtuel), une mesure provisoire qui avait également été utilisée durant les précédentes tentatives de blocage de Telegram.

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