LES TRÉSORS DU PALAIS DES BEAUX-ARTS DE LILLE

En partenariat avec Palais des Beaux-Arts de Lille

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“Le Concert dans l’œuf” : un mystère de main de maître

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Publié le , mis à jour le
Installé dans un magnifique bâtiment du XIXe siècle doté d’un lumineux atrium, le Palais des Beaux-Arts de Lille n’est pas seulement un bijou architectural. C’est aussi, en dehors de Paris, le musée des Beaux-Arts qui expose le plus grand nombre d’œuvres en France ! Soit environ 2 000 peintures, sculptures et objets dont beaucoup témoignent de l’histoire du Nord, de Lille aux Pays-Bas. Pour ce quatrième épisode consacré à ces trésors des Flandres, arrêtons-nous devant le cocasse Concert dans l’œuf (après 1549). Longtemps pris pour un original de Jérôme Bosch, ce tableau étrange serait-il la copie d’une toile perdue ? Ou l’œuvre d’un admirateur doué ? Récit d’une enquête à la loupe !
D’après Jérôme Bosch, Le Concert dans l’œuf
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D’après Jérôme Bosch, Le Concert dans l’œuf, après 1549

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Palais des Beaux-Arts de Lille, © RMN-Grand Palais / Jacques Quecq d'Henripret

Bizarre, bizarre… Entassés dans un œuf géant craquelé de toutes parts, des personnages grimaçants chantent à tue-tête autour d’une partition. Une vieille femme joue de la harpe, accompagnée à la flûte par un homme en rouge qui ne semble pas avoir remarqué le héron perché sur son turban ! Plusieurs portent de drôles de couvre-chefs : l’un est coiffé d’un entonnoir fumant, l’autre d’un moulin miniature, et la nonne d’un hibou ! Le moine, lui, est en train de se faire voler sa bourse par un diablotin. Suspendue à gauche, une amphore à vin suggère un taux d’alcoolémie élevé…

La toile foisonne d’animaux et de créatures étranges : une tortue, une pie, deux merles chapardeurs en plein gueuleton dans le panier à pique-nique, un serpent, une chauve-souris, un singe flûtiste, un drôle d’âne affublé d’un luth et d’un chapeau à plumes, un chat en train de faire frire un poisson sur une grille… Sans oublier, en bas à droite, de curieux personnages miniatures festoyant dans une pantoufle !

Si l’entonnoir inversé symbolise la folie (associée à l’époque à Satan), le singe, le serpent et le hibou représentent le mal et le Diable. Tout comme le feu qui brûle en bas à gauche, et la pomme de la tentation suspendue au panier de victuailles. Avec humour, le peintre nous met en garde contre la folie, la bêtise et le péché…

D’après Jérôme Bosch, Le Concert dans l’œuf [détails]
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D’après Jérôme Bosch, Le Concert dans l’œuf [détails], après 1549

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Palais des Beaux-Arts de Lille, © RMN-Grand Palais / Jacques Quecq d'Henripret

On jurerait que cette toile est l’œuvre du peintre néerlandais Jérôme Bosch, génial créateur de bestioles surréalistes, connu pour avoir fustigé les travers de ses contemporains avec ce type de visions délirantes. C’est d’ailleurs ce que tout le monde pense lorsque le Palais des Beaux-Arts de Lille achète le tableau à un marchand parisien en 1890 : dès 1893, il est inscrit au catalogue comme un original du maître.

Un beau jour, en examinant à la loupe la partition musicale, on s’aperçoit que le morceau est une chanson légère publiée qu’en 1549.

Mais un détail cloche : un beau jour, en examinant à la loupe la partition musicale, on s’aperçoit que le morceau est une chanson légère (Toutes les nuits du compositeur Thomas Créquillon) qui n’a été publiée qu’en 1549, soit 33 ans après la mort du peintre ! Dès l’entre-deux-guerres, l’historien d’art allemand Max Jakob Friedländer, puis son homologue autrichien Ludwig von Baldass, affirment que l’œuvre n’est pas du maître de Bois-le-Duc, mais une copie de l’un de ses tableaux perdus. À Berlin, un dessin préparatoire intrigue. Mais rien n’est sûr…

Jérôme Bosch, La Nef des fous
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Jérôme Bosch, La Nef des fous, vers 1500–1510

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Huile sur bois • 58 × 32,5 cm • Coll. musée du Louvre, Paris

À partir de 1967, les historiens Josua Bruyn et Gerd Unverfehrt émettent une nouvelle hypothèse : et si cette toile était en fait une libre variation de La Nef des fous (1500–1510), exécutée à la fin du XVIe siècle par un brillant admirateur ? Conservé au Louvre, ce tableau de Bosch fait référence à un texte de 1494 où des fous, parmi lesquels des membres du bas clergé, s’entassent dans une « nef » (un bateau) pour se laisser aller à tous les vices ! On y retrouve de nombreux éléments similaires : la barque (changée en œuf dans la version lilloise), les musiciens ripailleurs, le moine, la bonne sœur, le voleur, la mandoline…

À gauche : Jérôme Bosch, “Le Jardin des délices” (1503-1515) ; à droite : Jérôme Bosch, “Le Jugement dernier” (après 1482)
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À gauche : Jérôme Bosch, “Le Jardin des délices” (1503-1515) ; à droite : Jérôme Bosch, “Le Jugement dernier” (après 1482)

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Coll. musée du Prado, Madrid. Coll. Akademie der Bibldenden Künst, Vienne / © Bridgeman Images

Jacques Foucart (ex-conservateur en chef au Louvre) suggère un auteur prestigieux : le célèbre Pieter Brueghel le Jeune !

Le suiveur aurait également emprunté à d’autres tableaux du maître. À commencer par le motif de l’œuf brisé, déjà présent sur le panneau central et le volet droit du Jardin des délices (1503–1515) où il représente la folie, la gourmandise et le péché stérile, mais aussi dans Le Jugement dernier (après 1482). Quant à la petite scène de beuverie miniature en bas à droite, elle se retrouve également dans le premier triptyque conservé à Madrid.

Mais Le Concert dans l’œuf est loin d’être un copier-coller de faussaire. Il est d’ailleurs si réussi et inventif que Jacques Foucart (ex-conservateur en chef au Louvre) suggère un auteur prestigieux : le célèbre Pieter Brueghel le Jeune ! Créatif et connu pour ses copies talentueuses, le peintre se serait intéressé à Bosch. L’idée est alléchante, mais le mystère demeure…

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Palais des Beaux-Arts de Lille

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Et aussi… 10 merveilles du Palais des Beaux-Arts de Lille :

Les lustres de Gaetano Pesce, 1997. Dès l’entrée, admirez l’œuvre du designer italien, deux gigantesques bulles multicolores composées de centaines de tuiles de verre !

L’atrium. Bordée d’arcades, cette ancienne cour intérieure a été décorée de colonnes blanches et surmontée d’une verrière pour devenir le cœur du musée : un superbe hall baigné de lumière.

La Descente de croix de Pierre Paul Rubens, 1616-1617Peint par Rubens pour la chapelle du couvent des Capucins de Lille, ce tableau monumental trône au cœur d’une riche collection de peintures flamandes des XVIe et XVIIe siècles.

Le Parlement de Londres de Claude Monet, 1887Cette vue impressionniste est issue d’une série de 11 toiles de Claude Monet. Saisi dans diverses conditions, le Parlement de Londres se dilue dans de délicats papillotements de lumière. Magique !

Portrait de militaire romain (Fayoum), IIe siècle av. J-C. Peint en Égypte, ce portrait sur bois d’un soldat romain couronné de lauriers d’or est l’un des trésors de la collection d’antiquités du musée.

L’Ascension des élus et La Chute des damnés de Dirk Bouts, 1470. Ces deux panneaux extraordinaires du primitif flamand dépeignent un ange aux ailes noires guidant les élus au Paradis, puis les damnés torturés en Enfer par des monstres surréalistes…

Les Vieilles et Les Jeunes de Francisco de Goya, 1808-1812. Exposées côte à côte pour un effet saisissant, ces deux vanités grinçantes de Goya révèlent tout le talent de satiriste du peintre espagnol.

L’Ombre d’Auguste Rodin, 1880. Emblématique du style de Rodin, ce corps d’homme désarticulé fait partie des 180 figures que le sculpteur destinait à son chef-d’œuvre inachevé : la Porte de l’Enfer.

La Madone d’Albe de Raphaël, XVIe sièclePour dessiner cette exquise madone à la sanguine, Raphaël, maître de la Renaissance italienne, a été contraint de faire poser un homme !

Médée d’Eugène Delacroix, 1838. Répudiée par Jason, Médée s’apprête à égorger ses deux fils… Fruit de 20 ans de recherches, cette composition est emblématique du style romantique et ténébreux de l’artiste.

Retrouvez dans l’Encyclo : Jérôme Bosch

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