L’ivresse réjouissante d’un pays en terrasse, avec une levée de masques imminente portée au crédit de l’exécutif, n’a pas suffi. Confinés ou déconfinés, près de la moitié des Français confirment dans notre sondage exclusif Harris Interactive pour Challenges*, pour le second tour, leur intention de voter en faveur de Marine Le Pen (+1% en une semaine, à 47%). Emmanuel Macron, en recul d’un point, sauve la mise, sans panache. Le barrage républicain se meurt: 58% des électeurs de Xavier Bertrand se reporteraient sur Le Pen ou ne prendraient pas part au vote (blanc, nul, abstention). 68% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon feraient de même, ainsi que 53% des électeurs d’Anne Hidalgo et 41% des électeurs de Yannick Jadot, Si le phénomène d’acceptation de l’extrême-droite a déjà été observé entre les deux tours du scrutin présidentiel de 2017, sur tout le spectre de l’électorat, il s’apparente de plus en plus à l’attitude des Italiens vis-à-vis des héritiers du fascisme, en passe de conquérir la municipalité de Rome.
Au terme de son mandat, le chef de l’Etat pourra se flatter d’avoir pulvérisé la gauche -toujours plus faible et plus divisée- et atomisé la droite -sans chef, ni pensée, donc sans base électorale. Même l’aspiration écologique, dont Emmanuel Macron a renoncé à faire un marqueur de son quinquennat, n’est pas incarnée par les puissants édiles de Bordeaux, Lyon ou Grenoble. Mais sur ce champ de ruines à 360°, l’"enmarchisme" n’a pour l’heure construit aucune dynamique. "Même si les Français approuvent globalement la gestion de la crise sanitaire, y compris la restriction de liberté que constitue le Pass sanitaire, ils déconnectent ce jugement de leur choix politique", observe Jean-Daniel Lévy, directeur délégué d’Harris Interactive. Puissant, mais vulnérable; vulnérable, mais imbattable: tel est le mystère Macron.
Face à cette équation inédite, ses adversaires naviguent à vue: la petite dynamique de Mélenchon l’insoumis s’inverse cette semaine (-1%, 11%), tandis que la maire de Paris se hisse d’un point symbolique au-dessus de Yannick Jadot (7% pour l’un, 6% pour l’autre). Faut-il interpréter ces micro-mouvements comme une prime à l’unité de la gauche, en cohérence avec la bonne tenue de la seule candidate unitaire de la gauche dans les élections régionales, Karima Delli dans les Hauts-de-France? Trop tôt pour le dire: la faible part des anciens électeurs de Benoît Hamon qui se porteraient sur Anne Hidalgo (29% seulement, contre 21% pour Mélenchon, 20% pour Jadot et 11% pour Macron) indique que le stade de la cristallisation du vote de gauche n’est pas encore survenu.
François Baroin surclassé par Xavier Bertrand
A droite, Xavier Bertrand pourrait se réjouir de voir, les uns après les autres, ses concurrents potentiels exploser comme autant de satellites lors de leur rentrée atmosphérique. Après Michel Barnier, testé à 6%, puis Valérie Pécresse (10%), François Baroin est distancé cette semaine (10%). Le Monsieur X des chiraco-sarkozystes rassemble tout juste la moitié des électeurs de François Fillon en 2017.
Le maire de Troyes, ses lunettes rondes et son œcuménisme séduisent les petits comités et les corps intermédiaires, mais l’opinion, elle, n’exprime aucune passion. Toutefois, avant même que Baroin se métamorphose en candidat officiel des Républicains, exhaussant ainsi les vœux de Christian Jacob, 73% des électeurs LR estiment, selon notre sondage, qu’il "incarne très bien ou plutôt bien la droite républicaine". Un score qui le situe au-dessus de la présidente de la région Ile-de-France (62% des électeurs LR), mais derrière Xavier Bertrand (82%) et l’irremplaçable … Nicolas Sarkozy (87%). Autrement dit, le président des Hauts-de-France, en rupture avec son parti, et l’ancien président, mobilisé par sa reconversion dans les affaires et ses audiences judiciaires, incarnent pour l’instant, mieux que d’autres, la droite "canal officiel"!
Comme on le voit, l’effacement progressif des repères partisans n’aide pas les électeurs à se situer. L’illisibilité de la plupart des candidats, tentés de "faire bouger les lignes" plutôt que de creuser leur sillon, ajoute à cette confusion. Plus que jamais sans doute, les règles de la sociologie électorale volent en éclat. "D’une présidentielle à l’autre, Bertrand ferait perdre 17 points à la droite sur les 65 ans et plus, tandis que Mélenchon cède 10 points sur les 18-24 ans. Dans le même temps, Le Pen perce dans l’électorat aisé", analyse Jean-Daniel Lévy. Marine Le Pen, qui n’a fait qu’évoluer le nom du parti fondé par son père et martèle sans se lasser le thème unique de l’insécurité, semble mieux identifiée. Son électorat, en tout cas, affiche une discipline supérieure à celle de ses adversaires.
*Méthodologie: Enquête réalisée du 4 au 7 juin auprès d’un échantillon de 1295 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
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