Les pendus de Tulle : "Les soldats allemands ont été des bourreaux. Ce n'était pas des hommes"

2e division SS Das Reich passé par Tulle le 9 juin 1944 puis le 10 juin par Oradour-sur-Glane. - Wikipédia
2e division SS Das Reich passé par Tulle le 9 juin 1944 puis le 10 juin par Oradour-sur-Glane. - Wikipédia
2e division SS Das Reich passé par Tulle le 9 juin 1944 puis le 10 juin par Oradour-sur-Glane. - Wikipédia
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Le 9 juin 1944, la division allemande SS "Das Reich" entre dans Tulle, pend 99 hommes aux balcons de la ville, en déporte 149 autres dont 101 ne reviendront pas des camps de concentration. Le 10 juin au matin, la même division prend le chemin d’Oradour-sur-Glane. Témoignages des habitants de Tulle.

Depuis le 7 juin, les soldats de la Wehrmacht stationnés à Tulle, ainsi que les miliciens, sont harcelés et attaqués par la Résistance. C’est une véritable guérilla urbaine qui va opposer les FTP (Francs tireurs partisans) aux soldats allemands avant que la ville ne tombe le 8 juin. Les Résistants prennent alors possession de la ville et une quarantaine d’Allemands en uniformes et en civils se rendent les mains sur la tête.

Mais les combats ont laissé des traces, et la fumée alerte la division blindée SS Das Reich stationnée non loin de là. Très vite elle va reprendre possession de Tulle.

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Le 9 juin au matin, en guise de représailles pour les nombreuses pertes subies dans les rangs allemands, tous les hommes valides de la ville entre 16 et 60 ans sont arrêtés. Environ 2 000 hommes sont ainsi rassemblés dans la manufacture d'armes de Tulle. Certains seront relâchés rapidement pour ne pas paralyser l'activité économique de la ville. À la fin d'un tri aussi absurde que sinistre, 99 hommes suspectés d'être maquisards sont choisis pour être pendus en fin d'après-midi, dans les rues de la ville, sous les yeux des autres hommes que l'on a sortis à cet effet de la manufacture.

"Les Allemands ont demandé aux gens s'ils avaient des cordes et des échelles"

Cette habitante de Tulle avait 19 ans et demi quand son mari de 25 ans a été arrêté et conduit avec les autres hommes. Au départ, elle n'a pas compris ce qui se tramait. "Les Allemands ont demandé aux gens s'ils avaient des cordes et des échelles", explique-t-elle. Personne ne se doute de ce qui est en train de se mettre en place. Les Allemands accrochent les cordes aux balcons et aux lampadaires. "Jamais de la vie ça ne nous est venu à l'idée qu'ils allaient pendre des hommes !" Lorsque les hommes ont été sortis de la manufacture, c'est alors que les habitants ont compris...

J'étais au balcon de mes parents. Il y avait les Allemands et tout le long de la rue, le pont et tout, il y avait les pendus. Il y a eu 99 personnes qui ont été pendues et 149 sont parties en déportation. Et il en est revenu 48 ou 49. Je ne sais pas exactement. On les voyait de loin (soupir). On a dit "ils sont en train de pendre les hommes !". Qu'est-ce que vous voulez qu'on ressente ? On était effrayés. Ça a duré toute la journée et le lendemain, on ne pouvait même pas sortir... 

Le tri avait été purement arbitraire : les SS mettaient de côté les jeunes, les mal rasés, tous ceux dont l’aspect semblait négligé dans la colonne des pendus. Entre 16 heures et 19 heures, 99 hommes sont pendus. Les hommes ont été décrochés le soir vers 20 heures. "Les pompiers sont venus aider. Dans les camions, on entendait les corps qui tombaient. Ça faisait un bruit. Un bruit sourd. Ça nous faisait peur."

Face à cette mémoire bien fragile, qui semble s'effacer trop vite, la Tulliste prévient : "Les jeunes pensent que tout marche comme sur des roulettes, ils imaginent que ça ne ne se refera jamais, seulement, nous non plus on n'avait pas calculé que ça pouvait arriver."

Voici quelques membres de la 2e division SS Das Reich qui ont participé au massacre d'Oradour sur Glane le 10 juin 1944. Division composée de Waffen SS volontaires et de "Volksdeutsche".•
Voici quelques membres de la 2e division SS Das Reich qui ont participé au massacre d'Oradour sur Glane le 10 juin 1944. Division composée de Waffen SS volontaires et de "Volksdeutsche".•
© AFP - PHOTOSVINTAGES

"Votre mari est là ? C'est pour une vérification des papiers"

Jeannine Picard avait 6 ans lorsque le matin du 9 juin, aux alentours de 8 heures, des coups ont retenti à la porte du petit appartement dans lequel elle habitait avec ses parents et sa petite sœur de 2 ans. Sa mère s'est levée précipitamment pour aller ouvrir. Face à elle, deux SS : "Votre mari est là ? C'est pour une vérification des papiers." S'habillant rapidement, il n'aura que le temps d'embrasser sa femme et ses deux filles. Il ne remettra plus jamais les pieds dans l'appartement. Echappant aux pendaisons, il sera conduit le 10 juin aux camions pour être acheminé vers le camp de concentration de Natzweiler-Struthof. Apprenant la nouvelle, sa mère se précipite avec elle jusqu'au convoi pour ce qui sera leur ultime rencontre. 

Ma mère m'a attrapée par la main et on a couru en direction de la manu (manufacture) et elle me disait : "Regarde pas, regarde pas!" J'avais très, très peur et je m'en rappelle très bien avoir vu encore des morceaux de corde. C'est resté intact dans ma mémoire : une foule de gens criait, pleurait. Il y avait des files de camions qui étaient prêts à partir. Il y avait ces hommes qui n'avaient pas été pendus, qui n'avaient pas été relâchés et qu'on allait emmener. Et ma mère s'est mise à crier son nom. À un moment donné, peut-être au début du troisième ou quatrième camion, une voix a crié : "Je suis là !" Il s'est approché de la ridelle du camion et nous a embrassées. Et ma mère a posé des questions. Elle donnait des noms. "Léon", c'était mon oncle, et mon père hochait la tête de gauche à droite. Ça voulait dire non. "Et Guy ?" C'était le parrain de ma sœur, un jeune homme de 20 ans. La tête de gauche à droite. "Et Jeannot ?" c'était son cousin de 18 ans. Toujours non... J'ai compris plus tard que tous ces hommes avaient été pendus la veille. Après nous avoir embrassées, il nous a dit : "Après ce que j'ai vu, je suis content de m'en aller". Le pauvre ne savait pas ce qui l'attendait. Sa vie s'arrêtera le 16 janvier 1945.

La 2e division SS Das Reich se remet en route le 9 juin. Le 10 juin 1944, c’est le village d’Oradour-sur-Glane qui subira à son tour cette folie meurtrière et préméditée, avec 642 victimes innocentes en moins de trois heures.

Reportage : Elise Andrieu

Réalisation : Marie-Laure Ciboulet (et Vincent Abouchar)

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