Les 10 exemples philosophiques les plus célèbres
Pour montrer leur thèse en action, Platon, Locke ou Kant n’hésitent pas à décrire des scènes imaginaires, qui sont restées célèbres dans l’histoire de la pensée. Voici dix exemples parmi les plus incontournables de toute la philosophie (et de la littérature).
Sur la justice : l’anneau de Gygès, par Platon
Dans La République, Platon raconte l’histoire du berger Gygès qui, ayant trouvé un anneau magique capable de le rendre invisible, en abuse pour séduire la reine de Lydie et tuer le roi afin de rendre sa place. Beaucoup agiraient comme Gygès s’ils possédaient cet anneau. Cela signifierait alors que la justice n’est définie qu’à partir du regard (ou de la cécité) des autres. Nous la respecterions par peur d’être blâmés, mais n’hésiterions pas à la violer si l’impunité nous était garantie… C’est plus que problématique, pour Platon, car la justice doit d’abord venir de moi et de l’idée que je m’en fais, quelles que soient les circonstances.
Sur la vérité : le paradoxe d’Épiménide le Crétois
Existe-t-il des propositions qui ne soient ni vraies ni fausses ? Épiménide (qui venait de Crète) le suggère lorsqu’il dit que « tous les Crétois sont des menteurs ». En effet, soit il dit vrai, et alors il ment (puisque c’est un Crétois), donc son affirmation est fausse (puisque tous les Crétois mentent). Soit, au contraire, il ment en disant cela, alors son affirmation reste vraie. On dit que le logicien Philétas se suicida parce qu’il ne parvenait pas à résoudre ce paradoxe.
Sur la liberté : l’âne de Buridan
Que se passe-t-il si l’on place un âne affamé et assoiffé à égale distance d’un seau d’eau et d’un sac d’avoine ? Le philosophe médiéval Buridan répond que l’âne ne bougera pas et mourra de faim et de soif. Pourquoi ? Parce que les motifs de son action possible s’annulent mutuellement. Ce n’est pas le cas de l’homme qui, sans motif décisif, peut toutefois se décider à agir grâce à une force qui n’a pas besoin d’autre cause qu’elle-même : le libre arbitre. Seul l’homme possède le libre arbitre : il échappe ainsi au règne animal.
Sur le désir : les hésitations d’Hamlet, par William Shakespeare
Dans Hamlet (1603), Shakespeare brosse le portrait d’un héros aboulique, c’est-à-dire maladivement indécis. Le prince Hamlet est tiraillé entre deux désirs : venger son père, lâchement assassiné par son oncle Claudius, ou ne rien faire. En effet, celui qui lui commande cette vengeance est le spectre de son père. Comment croire un spectre ? Mais s’il a raison, comment laisser régner un lâche usurpateur ? Incapable de choisir, Hamlet est tenté par le suicide. Là encore, entre « être ou ne pas être », quel est le bon choix ? Difficile existence confrontée à des désirs contraires…
Sur la conscience et l’identité : le prince et le savetier, par John Locke
Le philosophe anglais John Locke pose l’énigme suivante : si l’on transplante la mémoire d’un prince dans le corps d’un savetier, reste-t-il le prince qu’il se souvient d’avoir été, ou devient-il le savetier observé par d’autres ? Il s’agit là de la première formulation du problème de l’identité. Pour Locke, « la conscience fait l’identité personnelle. » Autrement dit, l’identité s’étend jusqu’aux limites de ma mémoire. Même dans le corps du savetier, le prince est donc toujours bien le même.
Sur la vie en société : l’arbre et la forêt, par Emmanuel Kant
D’où vient qu’en forêt, les arbres poussent hauts et droits alors qu’isolés, ils jettent leurs branches en désordre et ne s’élèvent guère ? De ce qu’en forêt, ils cherchent la lumière, luttent pour ne pas mourir étouffés sous l’ombre des autres arbres. Kant utilise cette image pour montrer qu’en dehors de la société, aucun progrès n’est possible. C’est « l’insociable sociabilité des hommes », leur penchant à vivre en société tout en y rechignant (l’homme veut à la fois être intégré au groupe et reconnu par son prochain dont il a besoin pour s’épanouir, et en même temps, il a un penchant naturel à se singulariser du groupe, à tenter de dominer autrui ou à le fuir). Dynamique qui, selon un « plan caché de la nature », conduit l’espèce à progresser.
Sur la morale : le mensonge par humanité, par Emmanuel Kant
L’un de mes amis, poursuivi par des malfaiteurs, se réfugie chez moi. Les malfaiteurs frappent à ma porte et me demandent si j’ai accueilli cet ami. Est-il juste de leur mentir ? On a tendance à dire oui, car nécessité, parfois, fait loi. Kant, au risque de choquer, soutient le contraire : on ne doit jamais mentir, car le devoir de véracité prévaut et ne peut pas entrer en concurrence avec un autre devoir – ici, celui de l’amitié. Admettre un droit de mentir équivaudrait à chercher un critère introuvable pour savoir qui n’a pas droit à la vérité, et reviendrait à détruire la confiance qui fonde le pacte social.
Sur la religion : le forcené qui annonce la mort de Dieu, par Friedrich Nietzsche
Dans Ainsi parlait Zarathoustra (1883-85), Nietzsche invente l’histoire d’un forcené qui se promène en plein jour avec une lanterne allumée, en s’écriant : « Je cherche Dieu ». À ceux qui lui demandent par moquerie « s’il l’a égaré », il explique alors que nous sommes tous les assassins de Dieu. Incompris, le forcené jette sa lanterne par dépit : il est arrivé trop tôt ; les hommes ne sont pas prêts à assumer la mort de Dieu, c’est-à-dire à créer leurs propres valeurs et à devenir des surhommes. Ce qui compte pour Nietzsche, ce n’est pas tant d’abattre des idoles que de « briser l’idolâtre qui est nous » : il faut du courage pour surmonter le désir de Dieu.
Sur l’existence : le mythe de Sisyphe, par Albert Camus
Parce qu’il a offensé les dieux, le personnage de la mythologie grecque Sisyphe est condamné à rouler un rocher jusqu’au sommet d’une montagne, d’où la pierre retombe de son propre poids. Ce châtiment rend le travail de Sisyphe nécessairement inachevé, éternellement recommencé, vain. Mais c’est justement cette absence de sens qui intéresse Camus : Sisyphe est le « héros absurde » par excellence. Car, au moment où il redescend la montagne, Sisyphe pense : il contemple son tourment et, par là, surmonte son destin. L’existence est absurde mais le savoir est un gage de bonheur : « Il faut imaginer Sisyphe heureux », écrit Camus.
Sur autrui : le mythe de Robinson, par Michel Tournier
Robinson Crusoé est la figure-type de l’homme condamné à la solitude. Dans Vendredi ou les limbes du Pacifique (1967), Michel Tournier propose une relecture de ce personnage mythique. Il y décrit la déchéance de Robinson qui, d’abord, s’impose un code de loi, comme s’il vivait en société, puis se conduit comme un animal, et même se végétalise en fusionnant avec l’île (il fait l’amour à une fleur !), pour finalement se pétrifier : son dernier plaisir sera le moment où le soleil le « baigne de ses rayons ». L’homme, durablement privé de son semblable, finit par n’être plus un homme. Heureusement qu’il finit par rencontrer Vendredi !
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