Témoignage​ Violences conjugales : « Il faut être morte pour qu’il se passe quelque chose », dénonce une Haut-Saônoise

Mathilde se dit victime de menaces, violences, harcèlement de la part de son ex-compagnon. En 16 mois, elle a déposé neuf plaintes, dont la majorité ont été classées sans suite. S’estimant en danger, ainsi que son fils, elle remue désormais ciel et terre pour se faire entendre. Jusqu’aux ministères.
Éléonore TOURNIER - 10 juin 2021 à 20:00 | mis à jour le 10 juin 2021 à 20:41 - Temps de lecture :
« On ne bouge que lorsqu’il est trop tard », estime Mathilde, persuadée de faire partie des femmes victimes de violences conjugales qui ne sont « pas écoutées ».  Photo ER /Pierre HECKLER
« On ne bouge que lorsqu’il est trop tard », estime Mathilde, persuadée de faire partie des femmes victimes de violences conjugales qui ne sont « pas écoutées ». Photo ER /Pierre HECKLER

Elle toque à toutes les portes, multiplie les courriers : au procureur, aux ministères et même à Brigitte Macron. Lorsque Mathilde* nous reçoit pour évoquer sa situation personnelle, un féminicide a eu lieu quelques jours plus tôt, à Hayange. Une mère de famille s’est fait poignarder à mort. Son compagnon, principal suspect, a été mis en examen pour « homicide par conjoint ». « On ne bouge que lorsqu’il est trop tard », lâche la Haut-Saônoise de 36 ans, persuadée de faire partie des femmes victimes de violences conjugales qui ne sont « pas écoutées ».

Entre janvier et septembre 2020, Mathilde a déposé plainte cinq fois contre son ex-compagnon pour des faits de violences, harcèlement, menaces de mort… Toutes ont été classées sans suite, avant qu’en novembre 2020, un juge aux affaires familiales ne prononce en urgence une ordonnance de protection. Dans un débit très rapide, enchaînant les cigarettes, Mathilde déroule le fil de ces dix dernières années. En désordre, elle raconte comment son idylle -de laquelle est né un enfant en 2013- s’est transformée en cauchemar.

« Pour lui, il n’y a pas d’autre solution que d’être ensemble »

Comment son compagnon, « jaloux », « possessif », l’a isolée de ses proches et s’est mis à scruter ses moindres faits et gestes. Elle le soupçonne d’avoir placé un dictaphone dans ses affaires et un tracker GPS dans son véhicule pour la suivre. « Il me disait “tu n’es rien sans moi, tu ne peux rien faire sans moi”. Je ne pouvais pas parler ou dire bonjour à quelqu’un sans que cela prenne des proportions pas possibles. À peine j’avais du retard, c’était forcément pour aller voir quelqu’un d’autre. » Mathilde le quitte plusieurs fois, puis revient. « Il s’excusait. Il disait à chaque fois que c’était la dernière fois. Qu’il allait se faire soigner. C’était chaud, froid, chaud, froid ».

En 2018, elle dit avoir été victime d’un premier épisode de violence. « Il s’est mis dans une colère noire, a mis un coup de pied dans la porte. Je l’ai prise dans le bras. » Mathilde se voit prescrire un jour d’ITT. Puis trois jours d’ITT en avril, suite à une nouvelle dispute qui dégénère. En novembre 2019, lassée de sa jalousie maladive, elle décide de partir, pour de bon. « À ce moment-là, il réagit très mal », explique-t-elle. « Pour lui, il n’y a pas d’autre solution que d’être ensemble, c’est comme ça et pas autrement ».

« Je ne suis plus en sécurité. Je veux qu’il parte »

L’homme lui aurait alors volé les clés de sa caravane dans laquelle il s’installe. Le véhicule est stationné juste en face de la maison que la jeune femme est en train de construire. « Il ne voulait pas partir. Il me disait qu’il allait faire les travaux pour se faire pardonner ». Mathilde dépose une main courante à Marnay en janvier 2020. « Je ne suis plus en sécurité. Je ne suis plus en couple avec lui. Je veux qu’il parte », déclare-t-elle aux gendarmes. Mais rien ne se passe. En février, elle se rend au commissariat de Besançon pour déposer plainte. Deux journées d’audition et sept pages seront nécessaires pour recueillir la totalité de son témoignage où elle fait état de menaces, violences, harcèlement, certificats médicaux à l’appui. Nouvelles plaintes en juin, puis en septembre à Marnay.

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« Tu vas tout perdre et pleurer. Je vais t’arracher le cœur »

Le 21 septembre, elle se rend à la gendarmerie après avoir reçu, de son ex-compagnon, chasseur, une photo de cerf mort, tête explosée, accompagnée de ces mots : « Tu ne devrais pas faire ça après tout ce qu’on a vécu ». Au téléphone, il lui promet, en présence de leur enfant, « de lui arracher le cœur ». « Tu vas tout perdre et pleurer », menace-t-il, évoquant « l’irréparable », tout en continuant de l’appeler frénétiquement « ma chérie » (50 fois en sept minutes), un an après leur rupture. La jeune femme a fait retranscrire la conversation, enregistrée, par un huissier.

C’est à ce moment-là qu’ une ordonnance de protection est prononcée en urgence par le juge aux affaires familiales , contre l’avis du parquet, lequel considère que l’ordonnance est un moyen « de contourner l’enquête pénale ». L’ordonnance sera confirmée en appel, avec un avis favorable du parquet général de Besançon.

Malgré l’interdiction d’entrer en contact prononcée par le juge, « les menaces et le harcèlement ne se sont jamais arrêtés », dénonce Mathilde. Le 5 avril dernier, il se présente à son domicile et lui balance des meubles qu’il ne lui avait pas encore rendus par-dessus son portail, l’appelant toujours « ma chérie » et menaçant son nouveau compagnon. La scène a été enregistrée par les caméras de vidéosurveillance que la jeune femme, « terrorisée », a fait installer en octobre dernier sur sa propriété. Après cinq nouvelles plaintes et une main courante, son ex est finalement placé en garde à vue mi-mai et condamné à une amende de 500 euros avec sursis, par ordonnance pénale.

Il ne lui arrive rien, donc à chaque fois, il passe à une étape supérieure

Une peine « dérisoire », estime Mathilde, qui aurait aimé « une somme suffisamment conséquente ou une mesure d’éloignement ». « Ce que fait la justice, c’est lui donner du poids. Il ne lui arrive rien, donc à chaque fois, il passe à une étape supérieure. Ça va crescendo. Il a le permis de chasse. Il a dit à un témoin que “le 12 de son père allait tirer ses deux dernières cartouches”. Ils lui ont donné le pouvoir d’avoir de l’emprise sur moi et mon fils », s’indigne-t-elle. « Dès qu’il ouvre la bouche, on le croit. Moi je dois apporter les preuves et on ne les lit pas », désespère la jeune femme qui a fait de sa colère, un moteur. « J’en ai besoin pour avancer, sinon je me laisserais sombrer. »

Pensant son enfant en danger, elle se bat désormais pour exercer seule l’autorité parentale. Elle aimerait que son ex se voit attribuer un droit de visite médiatisé, en présence de travailleurs sociaux, dans un centre de rencontre. « Aujourd’hui, il utilise mon fils pour m’atteindre », estime Mathilde, déterminée à faire entendre sa voix, coûte que coûte. « Ça en dit long sur la réalité de sa peur. C’est sa manière à elle d’exprimer son sentiment de ne pas être entendue, voire crue », réagit son avocate, Me Baudry.

*Prénom d’emprunt

Photo ER /ER-NANCY

« Une femme manipulatrice, procédurière », selon l'avocate de l'ex-conjoint

L’ancien compagnon de Mathilde, qui n’a pas revu son fils depuis l’ordonnance de protection en novembre, a déposé trois plaintes pour non-présentation d’enfant, informe son avocate, Me Bresson. À propos de Mathilde, elle évoque « une femme manipulatrice, procédurière, qui a décidé d’éradiquer le père de la vie de son fils et de le priver de ses droits ».

Via son avocate, la Rédaction a proposé de donner la parole à l'ex-conjoint qui ne s'est pas manifesté.

Le cabinet du ministre de la Justice a répondu le 25 mai à Mathilde.  Photo ER /Alexandre MARCHI

Les cabinets de Marlène Schiappa et Eric Dupond-Moretti répondent

« Particulièrement sensible à la situation éprouvante à laquelle vous êtes confrontée, la ministre tient à vous assurer tout son soutien » écrit, dans un courrier daté du 20 mai, la cheffe de cabinet de Marlène Schiappa. Le 2 mai, Mathilde a écrit à la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté ainsi qu’à Brigitte Macron et Eric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, pour leur faire part de ses inquiétudes. Elle a reçu des réponses en deux semaines.

S’« il n’appartient pas au ministère de la justice de donner quelque instruction que ce soit dans le cadre de dossiers individuels ni d’interférer dans les procédures judiciaires […] votre courrier est signalé à la direction compétente du ministère de la Justice », écrit le chef de cabinet du ministre de la Justice.

Le cabinet de Marlène Schiappa indique avoir transmis la correspondance de Mathilde à la préfète de Haute-Saône et au secrétaire d’État auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, chargé de l’enfance et des familles. « La situation signalée fait l’objet d’une attention particulière de la part des services de l’État », indique la préfecture.

Le parquet de Haute-Saône dispose de 7 bracelets anti-rapprochement.  Photo ER /Cedric JACQUOT

Bracelets anti-rapprochement : « Il faut avoir l’adhésion des victimes »

Ce jeudi, alors que s’ouvre le procès du féminicide de Julie Douib , survenu en Corse en 2019, le gouvernement a annoncé la mise à disposition des juridictions de 3 000 « téléphones grave danger » d’ici début 2022 contre 1 324 actuellement. La Haute-Saône en a actuellement quatre, « dont trois sont attribués », indique le procureur Emmanuel Dupic.

Depuis le mois de janvier, le parquet dispose également de sept bracelets anti-rapprochement, mais souligne « la difficulté rencontrée » dans leur mise en place. « Nous avons essayé à deux reprises. Mais les deux victimes ont refusé : l’une par rapport au port du boîtier. L’autre s’estimait elle-même responsable des violences. Il faut avoir leur adhésion », relate le procureur.

« De plus en plus de femmes ne se taisent plus mais meurent quand même »

Ce dernier a cosigné, ce lundi, une tribune pour réclamer davantage de moyens dans la lutte contre les violences conjugales. « Nous sommes engagés comme jamais, mais montrés du doigt », regrettait-il mardi dans nos colonnes. Mathilde, elle, déplore « un décalage entre les discours et la réalité ». « De plus en plus de femmes ne se taisent plus. Elles parlent. Mais elles meurent quand même », s’indigne-t-elle.