Leïla Mustapha, la maire-courage de Raqqa

Leïla Mustapha, kurde de 33 ans, est l'actuelle coprésidente du conseil civil de Raqqa, l'ex capitale de Daech. Ici à la maison de la Radio le 8 juin 2021. ©Radio France - Valérie Crova
Leïla Mustapha, kurde de 33 ans, est l'actuelle coprésidente du conseil civil de Raqqa, l'ex capitale de Daech. Ici à la maison de la Radio le 8 juin 2021. ©Radio France - Valérie Crova
Leïla Mustapha, kurde de 33 ans, est l'actuelle coprésidente du conseil civil de Raqqa, l'ex capitale de Daech. Ici à la maison de la Radio le 8 juin 2021. ©Radio France - Valérie Crova
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De Raqqa, on se souvient du pire : les exactions commises par Daech, qui en avait fait la capitale de son ancien califat. Ce que l'on sait moins, c'est que la ville martyre est co-dirigée aujourd'hui par une jeune femme kurde. Quand la modernité succède au Moyen Âge obscurantiste.

C’est un petit bout de femme, pudique et réservée. Leïla Mustapha arrive de Raqqa, après un long voyage. Pour venir en France, elle a dû passer par le Kurdistan irakien et l’Égypte. Pendant son court séjour, elle enchaîne les interviews et les rencontres. C’est pour parler du documentaire "9 jours à Raqqa" qu’elle a été invitée à Paris. Un film qui retrace son parcours et son quotidien comme co-présidente du conseil civil de Raqqa. 

"On ne peut pas oublier ce que l'on a vécu sous Daech"

Rien ne la destinait à devenir maire de l’ancienne capitale de Daech. Née en 1988 à Raqqa, Leïla Mustapha se lance dans des études. Elle choisit la Faculté de génie civil et sort major de sa promotion à l’université de l’Euphrate. "Comme tous les jeunes de mon âge, je voulais faire des études supérieures. Je voulais devenir ingénieur". Ses projets seront contrariés par l’arrivée de Daech en 2014. Le groupe État islamique choisit Raqqa comme capitale de son califat autoproclamé. Ce sera le début de trois ans d’horreurs. Les images des exactions qui y sont commises feront le tour du monde : lapidations, décapitations, crucifixions, amputations, ventes d’esclaves. La peur gagne Leïla et sa famille qui décident de quitter Raqqa pour aller se réfugier à Qamishli, dans le nord-est de la Syrie. Elle assiste à distance à la descente aux enfers de sa ville natale : 

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On n’imaginait pas que l’on pouvait vivre une telle situation. C’était horrible. On ne peut pas décrire ce que l’on a ressenti à l’époque. Encore aujourd’hui, les habitants de Raqqa sont traumatisés. On ne peut pas oublier ce qu’on a vécu sous Daech. C’est inscrit dans notre mémoire collective. 

En juin 2017, la coalition internationale aidée par les forces démocratiques syriennes à majorité kurde lance une offensive contre le groupe État islamique. La bataille de Raqqa commence. La ville est encerclée et bombardé sans relâche pour faire plier les djihadistes qui finiront par évacuer la ville à la mi-octobre avec leurs familles en échange de la libération des civils retenus comme boucliers humains. L’ancienne capitale de Daech est détruite à 80%. 

28 février 2021. Aujourd'hui encore, les rues de Raqqa restent marqués par les combats et l'occupation de Daech.
28 février 2021. Aujourd'hui encore, les rues de Raqqa restent marqués par les combats et l'occupation de Daech.
© Radio France - Omar Ouahmane

Le rond-point de la mort devenu place de la Liberté

Dans les semaines qui précèdent la libération de la ville, les notables et les chefs tribaux de Raqqa décident de mettre en place un conseil civil. Ils choisissent un homme arabe et une femme kurde pour le co-présider. Ce sera Leïla. La jeune femme va se consacrer dès lors entièrement à la reconstruction de sa ville pour tenter d’en effacer les traces du sang versé. L’une des premières actions du Conseil Civil sera de rebaptiser la Place Naïm, où furent suppliciés 1 200 civils. Aux pires heures du Califat, les habitants de Raqqa l’avaient baptisée le rond-point de la mort. Elle s’appelle aujourd’hui la place de la Liberté. "Maintenant, cette place est devenue une place où se réunissent tous les habitants de Raqqa pour manger une glace (NDLR : la place Naïm tire son nom du glacier qui s’y était installé dans les années 80). Les gens peuvent s’y rencontrer, parler et échanger. La place a retrouvé sa vie d’avant. Il y a aussi le stade de Raqqa où ont été commis des crimes contre l’humanité. On a voulu reconstruire tout de suite ces sites." 

Aujourd’hui, la plupart des 350 000 habitants que comptait Raqqa avant l’arrivée de Daech sont revenus. Des écoles ont rouvert, des hôpitaux aussi. Il a fallu reconstruire les infrastructures notamment les routes et les ponts détruits par les bombardements de la coalition. 

Leïla Mustapha : "Bien sûr, le niveau de destruction de la ville est très grand, mais on essaie de réaliser les projets essentiels pour subvenir aux besoins de la population. On peut dire que 40% des projets ont été réalisés."

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Notre travail au quotidien est de poursuivre les travaux et de voir les besoins essentiels que l’on peut offrir  aux habitants de Raqqa. Nous les écoutons beaucoup. On fait aussi beaucoup de réunions pour évaluer l’évolution des travaux. 

Leïla Mustapha dans son bureau en février 2021 dans son bureau à Raqqa.
Leïla Mustapha dans son bureau en février 2021 dans son bureau à Raqqa.
© Radio France - Omar Ouahmane
Grand Reportage
55 min

"J'espère que je resterai toute ma vie au service de mon peuple"

Leïla Mustapha n’est pas du genre à se mettre en avant. Pourtant, son parcours est exceptionnel à plus d’un titre. Quand on lui pose la question de savoir si elle mesure le chemin parcouru, elle répond sobrement : 

En tant que jeune femme kurde syrienne, je suis très fière de cette expérience qui est très profonde car elle est née de la douleur que l’on a subie. C’est une expérience très importante pour moi. J’espère que je resterai toute ma vie au service de mon peuple.  

Celle qui parle le mieux de Leïla est Marine de Tilly. Grand reporter, elle s’est rendue à Raqqa à plusieurs reprises entre 2019 et 2020. De leurs rencontres est né un livre : La femme, la vie, la liberté, paru l’an dernier. Le documentaire 9 jours à Raqqa qui sera en salles le 8 septembre prochain suit la journaliste lors de l’un de ses déplacements. Leïla Mustapha en est le fil conducteur.

Marine de Tilly : "Je suis revenue avec un livre de 300 pages mais il m'en faudrait encore quelques unes. Et je n'ai aucune fascination, ni pour Leïla et encore moins pour la figure du héros."

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Entre les deux femmes que tout oppose en apparence, des liens forts se sont noués : "Je suis chrétienne, catholique, et mère de 4 enfants. Leïla est kurde, musulmane et célibataire. On n’a rien en commun mais tout en commun aussi !" conclut Marine de Tilly. 

Avec la collaboration d'Eric Chaverou

L'équipe