LR : David Lisnard, l’espoir que la droite d’en haut ne prenait pas la peine de voir ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le maire de Cannes, David Lisnard, posant lors d'une séance photo en novembre 2019. David Lisnard a annoncé le 9 juin 2021, le lancement de son mouvement "Nouvelle Energie".
Le maire de Cannes, David Lisnard, posant lors d'une séance photo en novembre 2019. David Lisnard a annoncé le 9 juin 2021, le lancement de son mouvement "Nouvelle Energie".
©JOEL SAGET / AFP

"Nouvelle Energie"

Le maire LR de Cannes, David Lisnard, a officiellement lancé son mouvement politique, Nouvelle Energie. L'alternative incarnée par David Lisnard peut-elle être un pari gagnant pour la droite ?

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : David Lisnard a annoncé la création de son mouvement politique, ce qui peut être interprété comme un grand pas vers une candidature à la présidentielle. Selon vous, quelle famille de la droite incarne-t-il ?

Christophe de Voogd : La réponse est extrêmement simple : la droite tout court. David Lisnard se positionne exactement au centre de gravité de l'héritage historique et philosophique de la droite française, qui tient dans le triptyque suivant : liberté des individus, autorité de l'Etat, identité de la nation. Ce sont les valeurs toujours mises en avant au grands moments critiques de notre histoire par les grands leaders de la droite française, de Poincaré à Sarkozy en passant (si j'ose dire) par de Gaulle et Pompidou. Je pourrais vous citer dix grands discours dans ce sens. François Fillon s'est inscrit dans cette tradition, d'où son succès à la primaire ; mais outre ses "affaires", il avait un léger décalage qui le "cornerisait" un peu dans l'opinion dominante : son attachement à la tradition catholique conservatrice. Quelle que soit l'opinion de chacun, cette tradition est devenue objectivement ultra-minoritaire en France aujourd'hui. D'où l'échec d'un Olivier Bellamy, pourtant très brillant, et parfaitement aligné pour le reste sur le "logiciel de droite". 

David Lisnard met plus l’accent sur les aspects de liberté et de responsabilité de ce logiciel : son thème central est la relation entre citoyens et Etat, autour d’un partage clair des responsabilités, qui rompe avec le curieux mélange actuel de laxisme et d’infantilisation, de discours martiaux et de laisser-aller. Le tout s’inscrivant dans une refondation éducative et culturelle du pays, ce qui est un « son » original à droite.

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Sa démarche politique se fonde sur une idée simple : puisque les idées de droite sont majoritaires, la droite peut et doit offrir une alternative à l’alternative présentée comme inévitable entre Marien Le Pen et Emmanuel Macron.

Cette alternative imposée repose en effet sur une dérive sémantique et politique : le "sinistrisme", c'est-à dire la dérive constante du débat politique vers la gauche, comme disait déjà Thibaudet sous la Troisième République. Ce sinistrisme masque la nature profonde de la droite dont les thèmes, liberté, autorité, identité sont qualifiés de et renvoyés à « l'extrême droite" qui, du coup, s’en empare. Ce qui est un double contre-sens historique et philosophique : le triptyque originel de l'extrême-droite est en effet antirépublicanisme, antisémitisme et ultranationalisme. (Notons à ce titre que le RN est davantage, du moins dans son nouveau discours un populisme de droite qu’un mouvement classique d’extrême droite comme l’était le FN historique).

On dirait que la longue hégémonie idéologique du marxisme a réussi à convaincre ainsi l'élite française - sinon les Français - que même la liberté est une valeur « d'extrême droite" : d'où le succès actuel des nouvelles tentations totalitaires, comme le décolonialisme et l'idéologie woke qui prospèrent sur un égalitarisme devenu fou, prêt à sacrifier toutes les libertés individuelles et publiques, à commencer par la liberté d’expression.  Ce n'est pas un hasard si, seul dans une droite qui s'excuse en permanence de n'être pas de gauche, David Lisnard porte le fer, au cœur de son agenda politique, contre ces dérives qui l’inquiètent à juste titre.

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Le maire de Cannes dénonce l’ambiguïté d’Emmanuel Macron et de sa majorité et l’impuissance politique qu’elles génèrent à force de théâtralisation et de postures. Les Français ayant montré leur inclination à élire des Chirac, des Hollande ou des Macron -dont on voit bien à quel point les promesses de changement ou de révolution masquaient en réalité une forme d’immobilisme noyé sous la rhétorique de la réforme chère au cercle de la raison- la radicalité que promet David Lisnard peut-elle être un pari gagnant ?

Le quinquennat actuel est celui de la "com" à outrance et signe donc, à force d'excès - de "Grenelle" en "Ségur", de "Grand Débat" en "Etats généraux"- "la fin de la com", comme dit Arnaud Benedetti. David Lisnard remarque finement que "l'état des lieux" dans tous les domaines est simple à établir : il suffit de lire les statistiques de l'INSEE, d'Eurostat et de l'OCDE, pour mesurer notre déclin, qui confine parfois à l'effondrement. Et, avec la COVID, la santé, notre dernière gloire, en a pris un sérieux coup. En quelques "slides", comme on dit aujourd'hui, la messe de notre chute est dite. En tant qu'enseignant, je suis très sensible aux résultats des enquêtes PISA qui signent, d'édition en édition, notre relégation au fin fond de la classe occidentale. La France décroche objectivement dans presque tous les domaines, de la justice au déficit commercial, en passant par la dette et l'insécurité. La tactique du Pouvoir actuel est donc de retarder au maximum le diagnostic, puisque beaucoup d’indicateurs se sont aggravés depuis 2017, comme l'a montré David Lisnard, chiffres en main, dans sa conférence de presse d'hier. Et la Covid n’est pas la vraie responsable de cette détérioration, fruit en fait de l’inertie de tout un système à bout de souffle, plus encore que de la politique gouvernementale. Le diagnostic de Lisnard dépasse donc la polémique politicienne.

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Reste le cœur de votre question : que veulent vraiment les Français comme Chef d’Etat ? Pourquoi ce choix systématique du plus disant et du moins faisant ? Comme si nous étions tous des héros de Lampedusa qui veulent, tous les cinq ans, que "tout change pour que rien ne change".

Mais voilà : de même que le triomphe de Fillon à la dernière primaire l'a montré, de même les études actuelles, notamment de la Fondapol, soulignent la droitisation claire de l'opinion, qui ouvre un boulevard à un candidat de ce que j'ai appelé "la droite tout court" (ni macroniste, ni RN). Seul LR, qui surenchérit dans la démagogie budgétaire et tombe dans le piège "Macron ou Le Pen ?", semble ne pas s'en être rendu compte... Pays béni des dieux, nous avons pris du retard (40 ans exactement) pour comprendre que la manne de l'Etat-providence n'était pas infinie. Or quelque chose de fort, sur quoi David Lisnard prend appui, monte dans l'opinion, phénomène, qui rappelle la Grande-Bretagne, juste avant l'arrivée de Thatcher : bien des Français sentent que nous devons réagir, avant de devenir pour de bon un "pays en voie de sous-développement".

Et c'est là à mon sens que le message de David Lisnard est le plus original : d'un tempérament personnel très positif, il est porteur d'"énergie" et d'"espérance", comme dit son slogan. Venu d'un homme de terrain, le témoignage de l'immense créativité française, envers et contre tout, a quelque chose de réconfortant qui change du discours blasé des élites parisiennes.  

Le tempérament, le caractère, le charisme comme l’envie féroce de gagner ou le narcissisme sont devenus des éléments clés des présidentielles françaises post mise en place du quinquennat. Quelle stratégie faudrait-il imaginer pour que David Lisnard efface le déficit de notoriété qui est le sien ?

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Je sais que vous êtes très préoccupé par l'attitude de LR. Mais il ne s'agit plus d'un grand parti politique : de moins en moins d'adhérents, et plus aucune idée. Mais LR reste un puissant syndicat d'élus. Or David Lisnard est l'un des plus éminents d'entre eux, par sa réussite municipale exceptionnelle (la meilleure élection dans une ville française, l'an dernier). Mais surtout la question n'est pas celle de LR, mais celle de l'électorat de droite, majoritaire dans le pays, encore une fois. 

C'est à cet électorat de droite qu'il faut parler. Qui peut le faire ? Valérie Pécresse et Xavier Bertrand ont justement compris que LR n'était plus le lieu décisif de la présidentielle ; d'où leur départ, tout en capitalisant sur la notoriété de leur passé ministériel et de leurs responsabilités régionales actuelles. Mais, de nos jours, la notoriété passe aussi par d'autres canaux : les réseaux sociaux, un bon "20 heures" sur une grande chaîne, et surtout un événement disruptif : David Lisnard s'est profilé au plan national par son action exemplaire contre la COVID à Cannes, et il a été servi involontairement par les attaques d'Olivier Véran. Il lui reste à trouver le moment et le thème sur lequel, dans une société hypermédiatisée, il pourra faire cette percée de notoriété. Les semaines à venir – et notamment le résultat des régionales- peuvent lui offrir ces opportunités.  

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