Crime : Sue Black, l’experte légiste qui traque les pédophiles en regardant leurs mains

Les méthodes de cette Écossaise de 60 ans se sont révélées cruciales pour mettre la main sur de nombreux prédateurs sexuels. Retour sur le parcours d’une observatrice hors pair, dont le FBI et Interpol ne peuvent plus se passer.
Alexander ShcherbakTASS via Getty Images
Alexander Shcherbak\TASS via Getty Images

Si les autopsies sont une source d’indices pour comprendre la mort d’un individu, les mains sont devenues de véritables outils pour arrêter les criminels. L’une des pionnières de cette expertise n’est autre que Sue Black, une anthropologue et médecin légiste Écossaise de 60 ans à laquelle le Times a dédié un papier dans ses colonnes le 13 juin. Cette experte du corps humain identifie les propriétés uniques des mains pour coincer des délinquants pédosexuels. Veines, pigmentation de la peau ou encore plis des articulations, cette as de l’observation a le don de repérer le moindre détail physique et a plusieurs fois été saluée pour son travail. Décorée de l’ordre de l’Empire britannique en 2001, elle étudie généralement les corps des victimes de catastrophes et avait notamment travaillé sur ceux issus de crimes de guerre au Kosovo. Désormais, l’Écossaise peut se vanter d’avoir développé une expertise régulièrement utilisée par les forces de l’ordre pour mettre la main sur de nombreux pédophiles et les envoyer derrière les barreaux.

Une caractéristique unique du corps humain

C’est en 2006 que Sue Black s’est appropriée pour la première fois l’identification des mains. À l’époque, l’experte est sollicitée dans une affaire lancée par une adolescente qui accuse son père d’entrer dans sa chambre la nuit pour la molester. Face à la méfiance de sa mère, celle-ci avait installé une caméra près de son lit pour prouver ses dires. Son idée a porté ses fruits puisque l’objet a filmé une main et un avant-bras qui s’approchaient d’elle, tandis que le père niait fermement les faits. Dans ce dossier, Sue Black devait identifier la personne en question. Peu certaine d’être capable de le faire avec si peu d’informations, elle a tout de même remarqué les veines de l’individu sur le dos de sa main. Dans l’obscurité, la caméra ayant enclenché le mode infrarouge, le sang désoxygéné des veines est apparu sous forme de lignes noires. En tant qu’experte en anthropologie, Sue Black savait pertinemment que cette partie du corps humain est unique, même pour les vrais jumeaux. En l’analysant d’un peu plus près, elle fit le constat que l’homme présent sur la vidéo était bien le père de l’adolescente. Au tribunal, elle a ainsi comparu comme témoin expert et a présenté sa preuve pour la première fois dans l’histoire judiciaire britannique. Malgré les explications de son analyse au juge, Sue Black a concédé qu’elle ne pouvait pas utiliser de statistiques prouvant la probabilité que les mains correspondaient. Le père a été acquitté.

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L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais Sue Black est rapidement contactée par la Serious Organised Crime Agency pour les aider dans une enquête de grande ampleur. Appelée Opération Ore, celle-ci portait sur 7000 Britanniques soupçonnés d’avoir téléchargé des images pédopornographiques. Le dossier est devenu la plus grande enquête sur la criminalité informatique au Royaume-Uni, ces individus ayant été repérés par le biais d’une base de données. « C’est avec l’opération Ore que j’ai réalisé pour la première fois que ce genre d’affaire pouvait avoir une telle envergure », a expliqué l’experte au magazine Wired. Mais l’affaire a vite sombré dans la controverse car des journalistes ont mis au jour des failles dans les méthodes de la police, poussant Sue Black à sortir du dossier. Toutefois, cette enquête a provoqué un tournant dans sa carrière.

Dans la plus grande affaire de pédophilie d’Écosse

Désormais, Sue Black s’intéresse principalement à la traque des pédophiles et comprend que les forces de l’ordre font face à une quantité grandissante de contenus à caractère sexuel de leur part. La tâche est d’autant plus ardue qu’un million de clichés d’abus sexuels infantiles sont téléchargés sur le dark web chaque jour et que la police ne peut pas toutes les examiner. Par « chance », ces criminels sexuels apparaissent le plus souvent sur les cassettes. « Lorsqu’un agresseur voit une vidéo de lui-même en train d’abuser d’un enfant, il revit la mise en scène. Si une partie d’eux-mêmes est présente dans l’image, ça leur donne un sentiment supplémentaire d’implication », a analysé Sue Black.

Dans ce genre de vidéo, ce sont les mains et les organes génitaux que l’on distingue le plus. Persuadée qu’elle peut exploiter ces images, Sue Black s’investit dans la démarche et se tourne même vers la création d’une base scientifique pour appuyer ses preuves présentées devant les tribunaux. En 2007, cette professionnelle de l’anatomie humaine a formé plus de 500 policiers et juristes à l’identification et leur a demandé de photographier leurs mains, avant-bras, pieds et jambes pour constituer une base de données. L’année suivante, elle a élaboré cette fois une étude confirmant la validité de l’analyse du réseau veineux. Un élément qui s’est révélé utile lorsqu’elle a travaillé sur la plus grande affaire de pédophilie d’Écosse. Au total, un réseau de criminels ayant violé et abusé d’enfants a partagé près de 125 000 images de leurs actes. Sue Black a pu observer une vidéo du meneur de ce groupe, un certain Neil Strachan, lorsqu’il s’en prenait à un enfant de 18 mois qu’il gardait le soir d’un Nouvel An. C’est son pouce gauche, dont la lunule [zone blanche à la base de l’ongle, ndlr] avait une forme inhabituelle qui l’a trahi. En 2009, il est condamné à 16 ans de prison puis 9 en appel.

Si une main observée avec simplicité ne paraît pas si exceptionnelle, elle est en réalité dotée de nombreux détails sur lesquels Sue Black se focalise le plus. Cicatrices, taches de rousseur, grains de beauté, plis de la peau ou encore taches de naissance, rien n’échappe à son travail minutieux. Au cours de sa carrière, l’anthropologue a analysé en tout 1000 membres. Son expertise, un temps considérée avec méfiance, vient désormais en aide au FBI, à Interpol et à Europol sur 30 à 50 affaires par an. Elle est même crainte car, au tribunal, 82% des accusés ont changé leur plaidoyer face à son travail. Malgré de grandes avancées dans les techniques utilisées pour traiter ces affaires criminelles, Sue Black a expliqué au magazine Wired regretter le manque d’investissement pour créer une immense base de données consacrée à son expertise, la majorité des fonds étant dédiée à la recherche autour de l’ADN. Pour le reste, elle espère voir les grandes entreprises lutter contre la pédopornographie. « Nos téléphones ne peuvent-ils pas reconnaître les parties d'un corps et empêcher que l'image soit prise ? », s’est-elle interrogée. « C'est le défi que je veux que des entreprises telles qu'Apple relèvent, pour que la technologie cesse d'être un mécanisme par lequel l'innocence de nos enfants est volée. » Dans un monde où 1 personne sur 6 a subi une atteinte sexuelle durant sa jeunesse, ce combat est plus que d’actualité.