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La victoire est presque embarrassante pour un pouvoir qui entendait projeter l’image d’une « Algérie nouvelle ». Le Front de libération nationale (FLN) est arrivé en tête des élections législatives du 12 juin avec 105 sièges (sur 407) devant la mouvance hétéroclite des « indépendants » (78 sièges) et les islamistes du Mouvement de la société pour la paix (64 sièges), a annoncé, mardi 15 juin, l’Autorité nationale indépendante des élections. La quatrième position est occupée par le Rassemblement national démocratique (57 sièges) qui avait forgé avec le FLN les anciennes alliances présidentielles autour de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika, acculé à la démission, en avril 2019, par la mobilisation populaire du Hirak.
Le score du FLN, ancien parti unique sur lequel le régime algérien s’est fondé lors de l’indépendance du pays en 1962, a été permis par une abstention massive au scrutin du 12 juin, due aux consignes de boycottage du scrutin, lancées par l’opposition et les tenants du Hirak (« mouvement » antisystème). Le taux de participation s’est limité à 23,03 %, inférieur à ceux enregistrés lors de la présidentielle de décembre 2019 (39,88 %) ou des précédentes élections législatives de mai 2017 (35,37 %). Il s’agit de la plus faible participation jamais enregistrée dans l’histoire électorale de l’Algérie indépendante.
Mauvaise nouvelle pour le pouvoir
Ni la révision constitutionnelle du 1er novembre 2020, qui a maintenu une architecture du pouvoir ultraprésidentielle, ni le climat ayant entouré le scrutin (verrouillage des médias, harcèlement judiciaire contre les opposants) n’ont eu raison de la désaffection des électeurs. Même si le président Abdelmadjid Tebboune avait averti que le taux de participation ne l’« intéressait pas », une telle abstention record est une mauvaise nouvelle pour le pouvoir algérien.
Signe de sa gêne, le quotidien officiel El Moudjahid se garde de tout commentaire triomphaliste sur le score du FLN, préférant mettre l’accent sur « les indépendants [qui] ont créé la surprise en s’érigeant en deuxième force politique dans le pays, une première du genre en Algérie ». Les autorités n’avaient pas ménagé leur appui à ces « indépendants », allant jusqu’à financer la campagne électorale des candidats âgés de moins de 40 ans relevant de cette catégorie. Leur présence dans la nouvelle Assemblée est la seule nouveauté du scrutin, sur laquelle insiste la presse officielle afin d’accréditer l’idée que le scénario institutionnel de sortie de crise proposé par le pouvoir représente une « rupture » avec « un passé définitivement jeté aux oubliettes ».
Le pouvoir aura toutefois fort à faire pour imposer cette idée d’une « Algérie nouvelle ». « Nous sommes dans le statu quo, souligne l’historien Amar Mohand-Amer, chercheur au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle d’Oran. Le scrutin donne naissance à une Assemblée non renouvelée et même affaiblie par l’abstention massive. Le régime peine à mobiliser en dépit d’une armada de moyens mis au service des candidats et de lois liberticides contre l’opposition. De son côté, le Hirak devient une réalité forte de contre-pouvoir. »
Rachid Ouaïssa, professeur de sciences politiques au Centre des études moyen-orientales de l’université Philipps de Marburg (Allemagne), relève pour sa part que le scrutin « reconduit les partis discrédités depuis vingt ans ». Il ajoute que l’élection d’un nombre important d’indépendants, qui « ne forment pas un bloc », « va fragiliser le Parlement face à l’exécutif ».
« Propagande stalinienne »
La presse algérienne, dont certains titres conservent un ton mordant, commente sévèrement un scrutin ayant échoué à mobiliser les Algériens. « Paradoxalement, un processus électoral censé sortir le régime de sa crise de légitimité l’y enfonce encore plus, scrutin après scrutin, écrit Mustapha Hammouche, chroniqueur au quotidien Liberté Algérie. Malgré sa volonté de donner des gages de changement, voire de rupture, le pouvoir est contraint de puiser dans ses appareils rentiers traditionnels le personnel devant garnir ses institutions. »
De son côté, Nouri Nesrouche relève dans El Watan que « le boycottage du 12 juin a réduit “la fête” électorale à une kermesse de quartier, malgré la propagande stalinienne et les moyens colossaux employés par l’Etat ». Il ajoute que le « potentiel » de mobilisation du Hirak, illustré par l’efficacité de ses appels au boycottage, devra « se transformer en une ou plusieurs forces politiques structurées ». Les tenants du Hirak avaient jusque-là évité de s’organiser afin de s’exposer le moins possible à la répression.
Au-delà du fossé entre le pouvoir et la population révélée par l’ampleur de l’abstention, une double fracture risque de peser sur les équilibres politiques de l’après-scrutin. La première tient dans la participation électorale quasi nulle – inférieure à 1 % – enregistrée en Kabylie, région historiquement frondeuse. La seconde renvoie au divorce avec les Algériens de la diaspora où le taux de participation a été de 4,6 %.
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