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Esclavage infantile : la Cour suprême américaine épargne deux entreprises

Des mains jointes tiennent du cacao.

Le travail des enfants dans les plantations de cacao d'Afrique de l'Ouest est très répandu.

Photo : Reuters / Hereward Holland

  • Sophie-Hélène Lebeuf

Le plus haut tribunal des États-Unis a débouté, jeudi, des plaignants qui accusaient deux importantes entreprises agroalimentaires, Nestlé USA et Cargill, de complicité d'esclavage d'enfants dans des plantations de cacao de la Côte d'Ivoire.

Originaires du Mali, les six plaignants, qui affirment avoir été eux-mêmes victimes d'exploitation pendant leur enfance, arguaient que les deux sociétés avaient tiré profit du travail forcé des enfants et l'avaient même facilité par leurs politiques commerciales, décidées aux États-Unis.

La Cour a jugé que les activités menées en territoire américain par les deux entreprises, qui achètent à l'étranger leur cacao auprès de fermes auxquelles elles procurent de l'équipement, n'étaient pas liées de façon suffisante aux abus allégués pour les sanctionner.

Aujourd'hui majeurs, les plaignants réclamaient des dommages et intérêts, disant avoir été recrutés sous des prétextes fallacieux, victimes de la traite d'êtres humains, contraints de travailler de longues heures dans des cacaoyères ivoiriennes, affamés et enfermés à clé pendant la nuit.

Nestlé USA et Cargill avançaient de leur côté que de telles poursuites devaient être intentées contre les trafiquants d'êtres humains et les fermiers impliqués, mais pas contre les grandes sociétés. Elles contestaient en outre l'interprétation de la loi invoquée contre elles par les plaignants, un argument auquel s'est rangée la Cour suprême.

Les plaignants avaient intenté une action en vertu d'une loi de 1789 qui permet aux tribunaux fédéraux d'entendre toute action civile intentée par un étranger pour un préjudice, commis en violation du droit des nations ou d'un traité des États-Unis.

Mise en veilleuse jusque dans les années 1980, la loi a ensuite commencé à être invoquée dans des causes relatives aux droits de la personne. En 2004, la Cour suprême a statué que certaines plaintes pouvaient être autorisées en vertu de la loi, mais elle a depuis réduit sa portée.

Selon les avocats des six plaignants, les multinationales du chocolat devraient exercer une plus grande surveillance sur leurs fournisseurs de cacao en Afrique de l'Ouest, où près des deux tiers du cacao mondial sont cultivés.

Le travail des enfants dans les plantations de cacao de cette région est un problème connu, à l'instar des violations des droits de la personne et des salaires modestes.

Un problème aigu

Malgré les engagements pris par les géants du chocolat au cours des dernières décennies, le recours aux enfants comme main-d'œuvre dans les plantations de cacao, notamment ouest-africaines, reste très répandu.

En 2001, plusieurs joueurs clés de l'industrie s'étaient engagés à faire en sorte que la culture des fèves de cacao et le traitement de leurs produits dérivés soient effectués d'ici juillet 2005 sans aucune des pires formes de travail des enfants.

Neuf ans après ce qui avait été surnommé le Protocole Harkin-Engel – du nom des élus américains à l'origine de l'initiative –, ils visaient alors une réduction significative d'ici 2020.

Une vaste enquête menée par le Washington Post en 2019 faisait état non seulement du travail de mineurs, mais aussi des conditions déplorables dans lesquelles ils travaillent. Aucune des grandes sociétés comme Nestlé, Mars et Hershey ne se disait en mesure de garantir que ses fournisseurs n'employaient que des adultes.

Selon des estimations de 2018-2019 d'un centre de recherche de l'Université de Chicago et mises de l'avant par le département américain de Travail, près de 1,6 million d'enfants sont employés dans les exploitations cacaoyères de la Côte d'Ivoire et du Ghana.

Les plantations embauchaient en majorité des garçons (57 %), mais aussi des filles (43 %), qui travaillaient en moyenne 8,3 heures par jour, certains enfants n'étant âgés que de 5 ans. C'est d'ailleurs ce groupe d'âge qui faisait baisser la moyenne d'heures travaillées.

Une vaste majorité de ces enfants sont de surcroît utilisés pour des activités considérées comme dangereuses, impliquant l'exposition à des pesticides, la manipulation d'outils acérés comme des machettes, le transport de charges lourdes ou la culture sur brûlis.

Ces constats rejoignent les allégations contenues dans la poursuite contre Nestlé USA et Cargill. L'un des plaignants disait par exemple avoir travaillé deux ans sans jamais avoir reçu un sou et avoir épandu des pesticides de façon régulière sans qu'on lui ait fourni des vêtements de protection.

Un autre faisait état de piqûres d'insectes fréquentes ainsi que de lacérations sur les mains et les bras dues à des accidents avec une machette.

Sur son site web, Nestlé USA affirme être déterminée à aider à mettre fin au travail des enfants dans l'industrie du cacao. L'entreprise avance que les mesures qu'elle a prises, par exemple pour soutenir l'éducation, ont permis de protéger 128 000 enfants de ce fléau inacceptable.

Cargill soutient quant à elle avoir mis en place un système de surveillance, dont la portée est passée de 12 % à 28 % de ses exploitations.

Toutes deux sont partenaires de l'International Cocoa Initiative, mise sur pied par les fabricants de chocolat pour lutter contre le travail des enfants dans la production de cacao en Afrique de l'Ouest.

Avec les informations de New York Times, Washington Post et Guardian

  • Sophie-Hélène Lebeuf

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