"Mon record, c'est 96 heures par semaine" : les internes en médecine travaillent trop

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"Mon record, c'est 96 heures par semaine" : les internes en médecine travaillent trop

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5 suicides d'internes recensés par le syndicat ISNI depuis le début de l'année, mais combien de tentatives ?
5 suicides d'internes recensés par le syndicat ISNI depuis le début de l'année, mais combien de tentatives ?
© AFP - Romain Longieras/Hans Lucas

Le syndicat ISNI organise vendredi et samedi 48 heures de grève des internes pour dénoncer leur surcharge de travail. Quand la limite devrait être 48 heures par semaine, ils travaillent souvent, dit-il, près du double.

Les internes en médecine et leur syndicat l'ISNI (InterSyndicale Nationale des Internes) appellent à une grève de 48h ces 18 et 19 juin, et le chiffre de 48 n'a pas été choisi au hasard, il se veut symbolique : 48h de grève, pour rappeler que si, théoriquement, ils devraient travailler au maximum 48 heures par semaine, ils travaillent beaucoup plus que cela, jusqu'à plus de 100 heures parfois. Résultat : de l'épuisement, des burn out, des tentatives de suicide. L'ISNI réclame un meilleur décompte de ces heures de travail, car il est pour l'instant assez opaque, et plaide pour un changement. Le syndicat veut briser l'omerta d'une tradition de surcharge de travail qui perdure depuis des décennies et qui pénalise tant l'interne que les patients.

Jusqu'à 100 heures de travail par semaine

D'après l'ISNI, les internes travaillent en moyenne 58 heures par semaine, soit dix heures au dessus du maximum légal, mais cette moyenne cache des excès parfois bien plus grands. Olivia, 26 ans, est interne en médecine d'urgence, il lui reste encore 2 ans d'internat. Elle nous explique avoir travaillé couramment 60 heures par semaine, "96 heures est mon record", et jusqu'à 26 jours d'affilée sans s'arrêter. 

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Ce surmenage n'est pas sans conséquence. Olivia a fait un burn-out au mois de mars, elle a dû s'arrêter trois semaines. Elle a vu un psychologue, n'a pas pris d'antidépresseurs, mais il lui a fallu cette pause avant de pouvoir reprendre le marathon qui l'attend pour deux années encore. Son épuisement s'est manifesté à l'époque après quelques jours de congés, qu'elle s'était accordé après des mois de travail et de gestion du Covid : "C'est pas le Covid qui m'a posé le plus de problèmes, car finalement on a été assez aidés, même si c'était dur, mais en rentrant à Paris après une semaine de vacances, les premières depuis longtemps, j'ai fait des crises d'angoisse, je ne dormais plus, je faisais des cauchemars, et j'ai réalisé que j'allais mal quand je pensais à l'hôpital, et surtout à mon retour à l'hôpital. Impossible de retourner au travail. En fait, je ne me voyais pas revenir m'occuper de patients alors que moi-même j'allais si mal", dit-elle. 

Avant d'ajouter : 

Et je ne suis pas seule : autour de moi, il y a beaucoup de souffrance, beaucoup d'amis ont eu ces syndromes d'épuisement

Aujourd'hui, Olivia va mieux. Au mois de mai, elle a changé de semestre et donc de service et d'hôpital. L'hôpital parisien dans lequel elle travaille depuis un mois lui convient mieux, l'équipe est davantage bienveillante. Mais quand elle repense au mois de mars, et même à ses deux stages précédents, elle reconnait que le surmenage lui a fait faire des erreurs, ou en tout cas l'a rendue négligente parfois, tant elle était fatiguée : "Ça m'est arrivée d'être appelée pendant une nuit de garde et de me dire que ça pouvait attendre la relève du lendemain, j'ai mis des choses en suspens. J'ai fait des petites erreurs de prescription aussi, des oublis, ou bien j'ai parfois prescrit trop d'examens à faire faire au patient car je n'arrivais plus à réfléchir, donc en multipliant les examens, je me disais que ça m'aiderait à établir un diagnostic. Quand vous êtes épuisé et pas soutenu, vous faites ce que vous pouvez, mais forcément, c'est pas optimal"

Et pourtant, le travail, on ne peut pas dire qu'Olivia ne sache pas ce que c'est. Huit ans d'études, déjà, et des années toujours chargées. "En première année, on nous dit que c'est la pire. Mais en fait, pas du tout. Les autres années sont tout aussi difficiles ! On travaille comme des fous, et ça ne s'arrête jamais ! La 2e, la 3e année... et puis après, l'externat, les épreuves classantes, en 6e année, l'internat... On a plein de responsabilités, on est peu aidés, pas forcément très encadrés, c'est dur. Et quand on en arrive là où j'en suis, on n'en peut plus mais on est à deux ans de la fin du parcours, ce n'est pas le moment de lâcher, on touche au but, mais c'est tellement dur".

L'interne, variable d'ajustement ?

Olivia en veut au système, elle en veut aussi à la hiérarchie. Les internes constituent à l'hôpital public 40% des effectifs médicaux, on compte (trop) sur eux. "Le système tel qu'il est pensé fait de nous la variable d'ajustement. Trop de patients, pas assez d'effectifs ? C'est l'interne qui s'y colle." Mais pour Olivia, la hiérarchie (les chefs de service, donc) est coupable elle aussi: "Le discours ne change pas. Nos chefs sont passés par là, ils ont travaillé eux-aussi comme des fous, n'ont pas compté leurs heures, ils l'ont accepté, alors pour eux c'est normal. Ils nous disent que dans le temps, le médecin de campagne bossait 90 heures par semaine, que c'est ça être médecin. Ils reproduisent souvent le schéma sans se poser trop de questions, en nous disant que c'est comme ça qu'on apprend la médecine. Ils ne sont pas à l'écoute de cette souffrance, alors que leur métier c'est précisément de repérer la souffrance".

Une maltraitance institutionnelle, dénonce Olivia, qui se paie cher : depuis le début de l'année, d'après l'ISNI, 5 internes se sont donné la mort en France, et on ne compte pas, dit-elle, les burn-out, les états dépressifs, et toutes les tentatives de suicide qui passent sous les radars. "J'adore mon métier, mais on ne doit plus passer ça sous silence. Ca me met en colère. Ce n'est pas de normal de se tuer pour son boulot."

Références

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