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Simonne Mathieu, la deuxième plus grande joueuse française de tennis

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16 juin 2021

À la suite de la finale féminine du tournoi de Roland-Garros, ce samedi 12 juin 2021, intéressons-nous à une joueuse de tennis française, Simonne Mathieu, au destin exceptionnel, à la fois par ses victoires mais aussi par le cours qu’elle a donné à sa carrière et à sa vie durant la Seconde Guerre mondiale. 

Simonne Mathieu en action en 1926

Les débuts de Simonne Mathieu dans l'ombre de Suzanne Lenglen

Si glamour et extravagance caractérisent la carrière de Suzanne Lenglen en même temps qu’un palmarès exceptionnel, celle-ci n’est pas la seule personnalité marquante à la tête du tennis français féminin avant la guerre 1939-1945. Simonne Mathieu mérite, elle aussi, qu'on s'attarde sur son parcours.

Simonne Emma Henriette Passemard nait le 31 janvier 1908, dans une famille de la grande bourgeoisie parisienne où la pratique du sport est courante. Son frère, Pierre, est même licencié de tennis au Stade français avant que Simonne ne tape sa première balle à 12 ans. Simonne trouve aussi dans le tennis une activité sportive conseillée par son médecin car convenant à sa santé fragile et où son caractère affirmé fera merveille. 

En ce début du 20ème siècle, le tennis est couramment pratiqué dans les familles aisées. C’est le sport favori des rois ou de l’aristocratie en général, lit-on dans la presse et il n’est pas rare en effet de croiser des titres de noblesse dans les classements de première série ou dans les tableaux de compétition. Nous sommes passés de l’activité de loisir chic au sport de compétition, même si on reste dans le monde de l’amateurisme. Le tennis est le sport de l’élégance et l’activité physique idéale pour les jeunes filles. Dans un numéro spécial Tennis de la Vie au grand air du 30 mai 1914, la joueuse Marguerite Broquedis signe un article intitulé « le tennis le sport favori de la jeune fille » où l’on voit que la mixité dans les différents sports est encore loin d’être envisagée. Une jeune femme ne peut s’adonner au football, à la boxe, à la course à pied mais :

De tous les sports qui lui sont permis, le tennis est l'exercice physique qui convient le mieux à la jeune fille. L'effort qu'elle doit fournir dans une partie sévèrement jouée l'oblige à des mouvements amples, larges, très souvent complets, souples et énergiques. Elle les réalise sans rien abdiquer de la grâce et de l'élégance qui doivent caractériser les gestes de la femme ; mais ces gestes, ainsi exercés, perdent leur langueur efféminée naturelle pour prendre un caractère de décision, d'autorité, indices d'une certaine maîtrise de soi-même.

Derrière ces écrits qui cependant ne remettent pas en cause la prééminence des hommes dans la pratique du sport, on voit pourtant émerger l’affirmation de la femme, qui, rappelons-le, n’a pas encore le droit de vote, comme pouvant prendre ses décisions en autonomie et faire preuve d’autorité ailleurs que dans le contexte familial.

L'article "Le tennis roi", publié dans l’Image du 1er janvier 1932, énumère les nombreuses qualités du tennis et rappelle, comme dans d’autres journaux, que ce n’est pas un sport pratiqué uniquement par les gens aisés, image qui perdure pourtant encore de nos jours.

On l’a vu dans le billet consacré à Suzanne Lenglen écrit par Nejma Omari, celle-ci monopolise l’attention des amateurs de tennis durant toute sa carrière qui couvre principalement les années 1920. Dans l’ombre du parcours glorieux de la première star du sport féminin en France, Simonne Passemard se fait remarquer cependant rapidement en gagnant le championnat de France junior de 1923 à 1925. À 17 ans, elle se marie avec René Mathieu, fils de l’un des fondateurs du Stade Français, journaliste, créateur de la revue Smash et président de la Commission Presse et Propagande de la Fédération française de tennis. Pendant que Suzanne approche peu à peu de la fin de sa carrière amateur, celle de Simonne s’épanouit en même temps qu’elle fonde une famille en donnant naissance en 1927 à Jean-Pierre puis en 1928 à Maurice.

Suzanne Lenglen et Simonne Mathieu se croisent à plusieurs reprises, pour le malheur de Simonne qui, comme on le dit en tennis, prit même deux roues de bicyclette face à la Divine qu’elle ne battra d’ailleurs jamais.

Une obstination payante

En 1926, Suzanne Lenglen devient professionnelle et ne peut donc plus jouer les championnats internationaux réservés aux amateurs (cette règle changera plus tard avec l’ère dite "open"). Elle reste pourtant présente dans le cœur des journalistes et dans la presse, le tennis féminin portera longtemps le deuil, le mot n’est pas trop fort, de Suzanne Lenglen. Paris Midi rapporte lors de la demi-finale dames des championnats de France internationaux à Roland-Garros de juin 1929, qu’il n’est pas rare d’entendre « Ah si "Suzanne" était là ! » dans les rangs de spectateurs. Simonne Mathieu arrive en finale mais, loin d’exulter de voir une Française à ce rang, Paris Midi la donne déjà perdante avant même que le match ne soit joué. On attend surtout beaucoup des Mousquetaires Borotra, Cochet, Lacoste et finalement peu du tennis français féminin. Simonne attend son heure avec obstination.

 

On voit ici Simonne Mathieu poser avec la star en 1926 et on devine la jeune joueuse intimidée au côté de la légende sûre d’elle. Cela ne durera pas. Les journalistes ont affaire rapidement au caractère affirmé et résolu de Simonne. Ainsi, dans l’édition du 14 octobre 1930 de Match, l’Intran, elle fait part de son mécontentement face à la mauvaise foi des journalistes très durs à l’égard du tennis féminin selon elle et de la mauvaise perception du public à son égard.

 

Être mariée et mère de deux fils ne l’empêchent en rien de continuer sa carrière. Elle le raconte dans un reportage qui lui est consacré en Une du Grand Echo du Nord de la France en 1931

Estimée de ses confrères masculins dont Yvon Petra qui la surnomme « la bonne mère », Mathieu, devenue l’incontestable numéro une française, gagne enfin Roland-Garros, au bout de sa 7ème finale en simple, le 11 juin 1938, réalisant un exploit encore plus grand en remportant également le double dames et le double mixte. Paris Soir s’enthousiasme pour cette joueuse à la tête du renouveau du tennis féminin aux nombreuses joueuses talentueuses, sentiment que partage moins L’Auto, ancêtre de l’Equipe, qui ne s’attarde pas beaucoup sur cet exploit. Pour que Simonne Mathieu fasse la Une pour sa victoire, il faut que Marlène Dietrich soit sur la photo, pas moins. On ne retrouve pas de titre en première page indiquant la victoire française dans le tableau féminin et le compte rendu, réduit à sa plus simple expression, cache à peine l’ennui que le journaliste a ressenti à suivre la finale.
 

  
                    L'auto-vélo du 12 juin 1938                                        Le Miroir des sports du 14 juin 1938
 

Pourtant Simonne Mathieu a des armes : un coup droit dynamique comme on le voit sur le remarquable cliché de l’Agence Rol au début de l'article, aérien, puissant et parfait d’équilibre. Auquel s’ajoute « un mélange de ténacité, de cran, de sûreté, qui marquent si fortement son style, qui n'est pas prêt à se laisser entamer par les prétentions de ses rivales ». Tout à son enthousiasme, Paris Soir lance à la fin des championnats de France internationaux de 1938 une large opération en faveur de la popularisation du tennis. Lenglen est citée comme modèle, encore et toujours, tant elle est restée dans les esprits, mais plus loin dans le journal, on relate encore les exploits de la « bonne mère » gagnante de trois des cinq titres français pour cette édition 1938 des Internationaux.

Mathieu gagne à nouveau en 1939 en simple, mais n’a pas plus de chance dans la restitution de sa victoire dans la presse sportive spécialisée : son nom apparait bien en titre à la Une de l’Auto, mais en moins grand toutefois que le vainqueur masculin et le compte rendu de son match tient en un paragraphe où l'on devine que le journaliste l’a trouvé peu spectaculaire.

Simonne Mathieu, capitaine de la première armée française féminine

 

Sans le début de la Seconde Guerre mondiale, Simonne Mathieu, qui échoua six fois en demi-finale de Wimbledon, aurait peut-être pu ajouter ce titre ou celui des Internationaux des États-Unis à son palmarès. Le destin en décide autrement, et surtout la force de caractère de Simonne Mathieu. Partie aux États-Unis en août 1939 pour disputer le championnat international de Forest Hill, elle renonce à jouer son match de premier tour et revient en France puis rejoint Londres et le général de Gaulle. Le 5 novembre 1941, elle raconte son engagement dans un article de France d’Abord titré "ces françaises sont devenues des soldats"

Au début de la guerre j’étais en Amérique, dit-elle. Je ne participai pas au championnat, et rentrai en France. J’y restai jusqu’au mois de mars 1940. A ce moment-là je vins en Angleterre, et voyant la tournure que prenaient les événements, j’y restai. Quand le général de Gaulle lança son appel, je lui offris mes services comme ambulancière. J’ai conduit à peu près toutes les marques de voitures et je m’y connais un peu en mécanique. Mais on n’avait pas besoin de moi. On me dit d’attendre. Peu après on me proposa de former un Corps Féminin Français sur le modèle des A. T. S. anglaises qui existent depuis bientôt deux ans. L’ordre a été signé le 7 novembre. Le même jour à cinq heures j’étais au War Office, et je me mettais au travail.

Le quotidien des volontaires féminines des Forces Françaises libre (FFL) est raconté dans la suite de l'article ainsi qu'après le débarquement, en novembre 1944, dans la revue Globe

Elle termine la guerre avec le grade de capitaine. Si la presse rend hommage à son engagement, ce n'est ni la première ni la dernière fois que son prénom est écorché. Simonne avec 2 N est effectivement peu courant et rares sont les articles où il est bien orthographié. Elle retrouve ses deux fils, Jean-Pierre et Maurice, et renoue avec les courts de tennis. Le 17 septembre 1944, elle arbitre, habillée de son uniforme des FFL (Forces Françaises libres), le match entre Henri Cochet et Yvon Petra, célébrant la Libération à Roland-Garros.

En 1945, Simonne Mathieu se voit décerner la Légion d’honneur. Une fois la guerre terminée, elle réintègre le monde du tennis, non plus en tant que joueuse mais en tant que capitaine de l’équipe de France féminine, rôle qu’elle remplit avec poigne de 1949 jusqu’à son départ en 1960. Un des courts du site de Roland-Garros porte son nom depuis 2019. Ses treize titres en Grand Chelem (deux en simple, neuf en double et deux en double mixte) en font la joueuse française la plus titrée de tous les temps derrière Suzanne Lenglen qui lui fera toujours de l’ombre malgré le courage de l’engagement de Simonne Mathieu durant la guerre.

La coupe remise aux joueuses victorieuses du tournoi de Roland-Garros en double dames porte également son nom mais, sur la plaque de la coupe visible sur le site internet du tournoi de Roland-Garros, son prénom est orthographié avec un seul N !

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