UKRAINE - Trois blindés légers et un camion transportant des hommes en armes sans insignes et arborant un drapeau russe circulaient mercredi matin à Kramatorsk, dans l'est de l'Ukraine, a constaté un photographe de l'AFP sur place. Le convoi, que l'on peut voir dans la vidéo en haut de cet article, s'est dirigé vers Slaviansk, à quelques kilomètres au nord. Ville emblématique de la dernière série d'insurrections pro-russes, elle est contrôlée depuis dimanche par des insurgés armés.
On ignorait dans l'immédiat la provenance de ces blindés. Mais sur Twitter, plusieurs journalistes présents à Kramatorsk rapportent que ces véhicules de transport de troupes appartenaient à l'armée ukrainienne et auraient été pris par les pro-russes, voire que les soldats auraient fait défection à Kiev pour rejoindre le camp séparatiste.
"Oh, je viens juste de voir six blindés ukrainiens qui ont changé de camp à Kramatorsk. Ils sont maintenant aux mains des anti-Kiev"
"Un des six blindés que je viens de voir changer de camp à Kramatorsk. Il arbore maintenant un drapeau russe"
"Voici l'un des véhicules capturés en provenance de Kramatorsk et en route pour Slaviansk. Nous l'avons suivi vers l'hôtel de ville occupé".
Les autorités ukrainiennes confirment
L'agence de presse Interfax-Ukraine a confirmé cette information en affirmant qu'il s'agissait de blindés participant à "l'opération antiterroriste" lancée par le gouvernement pro-européen de Kiev contre les séparatistes, qui étaient entrés dans la localité et auraient été bloqués puis pris par des manifestants pro-russes.
De son côté, le ministère ukrainien de la Défense, interrogé par l'AFP, a d'abord indiqué "qu'aucun blindé de l'armée n'avait été pris sur le territoire ukrainien" et renvoyé sur le ministère de l'Intérieur, qui n'avait immédiatement pas de commentaire. Les six blindés ont été capturés mercredi par "un groupe russe de saboteurs terroristes", a finalement annoncé le ministère ukrainien de la Défense, après que ces blindés ont été vus rejoignant les insurgés pro-russes dans l'Est de l'Ukraine. Les blindés faisaient partie d'une colonne entrée dans la ville de Kramatorsk, où elle "a été bloquée par des habitants", avant que six des engins ne soient capturés, a précisé le ministère dans un communiqué.
Les hommes installés sur les blindés vus par le photographe de l'AFP portaient des uniformes semblables sans insignes, mais avec de rubans de Saint-Georges orange et noir, ordre honorifique des forces armées russes. Ils étaient équipés d'armes de guerre et nombre d'entre eux portaient des cagoules noires. "Je suis membre des forces d'auto-défense de Crimée. Nous sommes une dizaine dans mon cas. Les autres sont des soldats ukrainiens, environ 150 hommes, qui sont passés de notre côté", a déclaré un soldat pro-russe qui a refusé de s'identifier autrement que sous le pseudonyme de "Balou", 50 ans. Selon lui, les six blindés qui sont arrivés mercredi matin au centre de Slaviansk, appartenaient à une unité de parachutistes ukrainiens qui a été arrêtée par la foule à Kramatorsk, à une vingtaine de km de Slaviansk. "Nous avons pris le contrôle de ces blindés, qui étaient destinés à écraser la rébellion à Slaviansk, et les soldats sont passés de notre côté", a affirmé "Balou".
A Kramatorsk, ville dont l'aérodrome a été repris mardi soir par les forces ukrainiennes, d'autres témoins rapportent que les véhicules sous pavillon russe ont été salués par la population, tandis que des blindés du régime étaient bloqués:
"Quatre véhicules blindés ukrainiens bloqués à Kramatorsk, les gens ne les laisseront pas passer"
En fin d'après-midi, les militaires bloqués par ces manifestants pro-russes ont commencé à déposer les armes avant de rebrousser chemin, ont constaté des journalistes de l'AFP sur place. Les militaires démontaient les culasses de leurs armes, que collectait un homme en uniforme non marqué, qui s'est présenté comme un représentant des groupes armés pro-russes actifs dans la zone. Les militaires ukrainiens devaient ensuite rebrousser chemin au terme d'un accord conclu entre les deux parties.
Bras de fer à la veille des pourparlers
Insurgés pro-russes et forces armées ukrainiennes se livrent un bras de fer tendu, à la veille d'une réunion de la dernière chance à Genève, où Moscou veut exiger une "fédéralisation" qui menace le pays d'éclatement selon le gouvernement pro-européen de Kiev. Dans ce contexte, les services spéciaux ukrainiens ont accusé les groupes armés pro-russes d'avoir reçu l'ordre de "tirer pour tuer" faisant encore monter la pression. Et le ministère de la Défense a affirmé que deux militaires avaient été "pris en otages" mardi dans la région de Lougansk. Le ministre de la Défense Mikhaïlo Koval s'est lui-même rendu dans l'est du pays a annoncé le vice-Premier ministre ukrainien, Vitali Iarema, qui a précisé qu'il ferait "un rapport sur ce qui se passe la-bas".
Les autorités de Kiev et les Occidentaux affirment que les "hommes verts", comme des groupes armés sont surnommés en Ukraine, sont en fait des militaires russes, à l'image de ceux qui étaient intervenus en mars dans la péninsule ukrainienne de Crimée avant son rattachement à la Russie. La Russie dément, accusant au contraire les autorités pro-européennes issues du renversement fin février d'un régime pro-russe lors de soulèvements violents à Kiev, d'avoir conduit le pays "au bord de la guerre civile", comme le président Vladimir Poutine l'a encore dit à la chancelière allemande Angela Merkel mardi soir au téléphone.
Les autorités de Kiev, que Moscou ne reconnaît pas, avaient lancé dimanche une "opération antiterroriste de grande envergure" dans l'Est russophone du pays pour reprendre la main après la deuxième série de soulèvements pro-russes en une semaine, qui a vu des séparatistes s'emparer de bâtiments publics dans plus d'une demi-douzaine de villes. Mercredi matin, dans un nouveau défi au pouvoir central, un groupe d'hommes cagoulés et armés a pénétré dans la mairie de Donetsk, grande ville de l'Est de l'Ukraine, où des séparatistes avaient déjà proclamé une "république souveraine". Les inconnus n'empêchaient pas les employés d'entrer et sortir du bâtiment, affirmant avoir pour seule revendication l'organisation d'un référendum sur la "fédéralisation" de l'Ukraine.
"Mur de Berlin"
Les pro-russes réclament un rattachement à la Russie, ou au minimum une "fédéralisation" de l'Ukraine, pour donner de grands pouvoirs aux régions. Tout en se disant prêt à une "décentralisation", le gouvernement de Kiev refuse une fédération, porte ouverte selon lui au démembrement du pays.
Le Premier ministre Arseni Iatseniouk a d'ailleurs accusé mercredi la Russie de vouloir "construire un nouveau mur de Berlin et un retour à la guerre froide". Les pourparlers Ukraine/Russie/Etats-Unis/Union européenne prévus jeudi à Genève s'annoncent donc extrêmement tendus. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a ainsi pointé du doigt un Etat ukrainien "qui a cessé de fonctionner", estimant que seule la fédéralisation" pouvait permettre de sortir de la crise.
Vladimir Poutine et Angela Merkel ont de leur côté "exprimé l'espoir que la rencontre de Genève puisse donner un signal clair pour faire revenir la situation dans un cadre pacifique". En cas d'échec de cette réunion, les Etats-Unis ont indiqué être prêts à imposer de nouvelles sanctions contre Moscou. Selon le département d'Etat, cela pourrait vouloir dire cibler davantage d'individus que ceux visés par les sanctions existantes, voire interdire l'accès à certains secteurs économiques clés comme les mines, l'énergie et les services financiers.
La Russie rejette les "accusations gratuites" de la France
La Russie a par ailleurs rejeté les accusations de la France à son égard. La France se livre à des "accusations gratuites" à l'égard de Moscou dans la crise ukrainienne, a déclaré le ministère russe des Affaires étrangères, réagissant à des propos du ministre français Laurent Fabius. "Au lieu de se livrer à des accusations gratuites à l'encontre de la Russie, qui serait prétendument la source de tous les malheurs de l'Ukraine, la diplomatie française que dirige Laurent Fabius ferait mieux de concentrer ses efforts sur le respect des engagements que la France a pris en se faisant le garant des accords du 21 février", qui devaient assurer une issue politique en Ukraine, a déclaré le ministère russe dans un communiqué.
La diplomatie russe déclare sa "profonde perplexité" à l'égard des déclarations de Laurent Fabius dans lesquelles il fait porter "toute la responsabilité de la montée des tensions en Ukraine exclusivement sur la Russie", a ajouté le ministère. La diplomatie russe a précisé qu'elle réagissait à des déclarations publiées sur le compte Twitter du chef de la diplomatie française. "En Ukraine, les Russes sont à la manoeuvre, ce sont des méthodes qu'on connaît, qu'on a déjà vues en Crimée", la péninsule ukrainienne rattachée en mars à la Russie, peut-on lire sur ce compte, en date de mardi.
L'escalade des tensions dans l'Est de l'Ukraine a attisé les craintes d'une intervention russe, la Russie ayant massé jusqu'à 40.000 hommes à la frontière selon l'Otan, qui a annoncé un renforcement des mesures de défense aérienne, maritime et terrestre de ses pays membres d'Europe orientale, comme les pays Baltes et la Pologne, en réaction à l'évolution de la crise en Ukraine.
"Nous allons avoir plus d'avions dans le ciel, plus de navires en mer et la préparation des forces terrestres sera renforcée", a déclaré le secrétaire général de l'Alliance, Anders Fogh Rasmussen, à l'issue d'une réunion des ambassadeurs des 28 pays membres à Bruxelles. Le président Poutine a de longue date affirmé qu'il défendrait "à tout prix" les populations russophones de l'ex-URSS et le Kremlin a assuré lundi qu'il recevait "de nombreux appels à l'aide" des régions insurgées de l'Est de l'Ukraine.