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Le Paris des surréalistes, à la recherche des hasards objectifs et du vent de l’éventuel

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En marge de l’exposition « L’invention du surréalisme : des Champs magnétiques à Nadja », Gallica vous propose une déambulation parisienne à travers quelques lieux marquants pour les premières années du mouvement. Lieux vécus, mentionnés ou décrits dans les œuvres des surréalistes, atmosphères évocatrices de thèmes qui leur sont chers, théâtres de manifestations dada... Ces endroits souvent disparus, à déceler sous l’existant actuel, vous permettront, nous l’espérons, de vous imprégner de l’esprit du surréalisme au fil des rues de sa capitale incontestée.

"Surréalisme", revue, numéro d'octobre 1924.

Quand cela a été possible, les lieux évoqués ont été indiqués sur une carte et renvoient à des documents emblématiques du mouvement, des gravures et photographies contemporaines du dadaïsme et des débuts du surréalisme permettant de se représenter les endroits tels qu’ils étaient à l’époque, ou bien encore des photographies d'Eugène Atget (1857-1927), dont les surréalistes ont fait, à tort ou à raison, un de leurs précurseurs. Ces lieux présents sur la carte apparaissent en gras dans le texte.

Notre promenade commence le 18 mai 1917 au centre de Paris, où le mouvement fait une tonitruante entrée sur scène. C’est en effet au Théâtre du Châtelet qu’a lieu la première représentation du ballet fondateur Parade, qui rassemble les énergies artistiques de Jean Cocteau, Erik Satie, Pablo Picasso, Léonide Massine et Serge Diaghilev. Il fait forte impression sur André Breton qui, présent dans la salle, y glane le mot de « surréalisme » forgé par Guillaume Apollinaire.

La sortie du théâtre est l’occasion rêvée d’un détour nocturne dans le quartier des Halles, lieu d’errance d’André Breton en compagnie de Jacqueline Lamda dans L’Amour fou (1947). En remontant la place du Châtelet vers le nord, vous verrez sur la droite la Tour Saint-Jacques, évoquée dans les écrits de Breton (« Vigilance », Le Revolver à cheveux blancs, 1932 ; L’Amour fou, 1947) et de Robert Desnos (« Le Mystère d'Abraham juif », Documents n°5, 1929), qui l’associent à l’alchimie et à la figure de Nicolas Flamel, écrivain public du XIVe siècle dont la maison du 51 rue de Montmorency est aujourd’hui l’une des plus anciennes de Paris. Evitez toutefois la rue Aubry-le-Boucher où, selon un sonnet de Robert Desnos, « on peut [vous] foutre en l'air » – une référence au meurtre d'un policier par Jean-Jacques Liabeuf en janvier 1910 !

 

Une série de « couloirs dérobés au jour » (Louis Aragon, Le Paysan de Paris, 1926) – passages couverts du Grand Cerf et de Bourg l’Abbé chers aussi bien à Eugène Atget qu’aux membres du mouvement qui aimaient y voir des moyens d’accès privilégiés au surréel – vous fait voyager dans le temps, vers le vieux Paris, ses enseignes et ses échoppes. Ce vieux quartier est aussi le quartier d’enfance de Roger Vitrac – la rue Guérin-Boisseau et la rue de Palestro lui inspirent Le Coup de Trafalgar (1934-35) – et de René Crevel – rue de l’Echiquier. Non loin de là, au collège Turgot, a étudié Robert Desnos.

Une matinée poétique dada vous tente ? Rendez-vous au Palais des Fêtes, rue Saint-Martin, où le 23 janvier 1920 est organisé le premier – et unique – « Vendredi de Littérature », transformé en manifestation dada sous l’impulsion de Tristan Tzara.

En remontant vers le nord, vous passerez sous la « très belle et très inutile Porte Saint-Denis » (André Breton, Nadja, 1928) pour accéder au Paris des Grands Boulevards et des faubourgs, le Paris de Pigalle et de Montmartre. Un Paris moins « en vue » à l’époque que celui de Montparnasse, et justement pour cette raison prisé des surréalistes. Vous continuez vers l’ouest la ceinture des Grands Boulevards, humant pour quelques instants l’atmosphère unique de leurs cinémas, leurs cafés, leurs vitrines…

Si les cloches de l’église Saint-Vincent-de-Paul sonnent, lorsque vous l’apercevez au bout de la rue d’Hauteville, ne vous étonnez pas : on veut probablement vous signifier que c’est à cet endroit, place Lafayette – désormais place Franz Liszt, sur laquelle se trouve l’édifice – qu’André Breton rencontre Nadja pour la première fois le 4 octobre 1926.

Il est temps de marquer une pause dans une galerie aujourd’hui disparue, le Passage de l’Opéra, où se trouvait le Café Certa fréquenté régulièrement par les dadaïstes.

A moins que vous ne préfériez remonter vers Le Cyrano, au 82 boulevard de Clichy. Ce café est le lieu de rencontre quotidien du groupe surréaliste après l’installation d’André Breton à l’adresse désormais mythique du 42 rue Fontaine. C’est sans doute là que Breton rédige le Manifeste du surréalisme (1924). Les fenêtres de l’appartement donnent sur les cabarets du Ciel et de l’Enfer, tous deux photographiés par Atget. Ou peut-être préférez-vous le Café Radio, à l’angle du boulevard Rochechouart et de la rue Coustou ? Dans cet autre lieu de rencontre du groupe surréaliste sont accueillis en 1929 deux nouveaux membres : Luis Buñuel et Salvador Dalí.

Le quartier compte également plusieurs théâtres marqués par l’histoire du mouvement. Ainsi, la Maison de l’Œuvre, rue de Clichy, accueille une manifestation dada le 27 mars 1920. Il y est fait lecture du Manifeste cannibale de Francis Picabia. Y sont aussi interprétées les pièces de théâtre S’il vous plaît d’André Breton et Philippe Soupault et La Première Aventure céleste de M. Antipyrine de Tristan Tzara. Ce dernier organise également la Soirée du Cœur à Barbe au Théâtre Michel le 6 juillet 1923. Pour l'anecdote, André Breton est expulsé de la salle au lever de rideau, après une violente altercation avec Pierre de Massot… Plus au sud, au Théâtre du Vaudeville, les dadaïstes sont bien présents dans la salle pour défendre Raymond Roussel et sa pièce L’Etoile au front, le 5 mai 1924.

Si un détour par Montmartre vous tente, le Conservatoire Renée-Maubel – aujourd’hui Théâtre Montmartre-Galabru – vous attend pour la première représentation des Mamelles de Tirésias de Guillaume Apollinaire, le 24 juin 1917 : on peut même en découvrir une photographie et sa caricature dans la presse de l'époque.

Peut-être préférez-vous aller voir L’Age d’or, film réalisé par Luis Buñuel et co-écrit avec Salvador Dalí, au Studio 28 de la rue Tholozé ? La projection du 3 décembre 1930 donne lieu à de nombreuses violences devant le cinéma. Deux rues plus au nord, au 15 avenue Junot, se trouve une maison dessinée par l'architecte Adolf Loos pour Tristan Tzara en 1926.Au sud,le collège Chaptal, où ont étudié André Breton et Roger Vitrac.

Mais c’est Salle Gaveau, rue La Boétie, que se produisent les manifestations dada les plus scandaleuses, notamment le Festival Dada du 26 mai 1920, au cours duquel André Breton donne lecture de divers manifestes et présente sa pièce de théâtre Vous m’oublierez, co‑écrite avec Philippe Soupault.

L’ouest parisien n’est pas le quartier de prédilection des surréalistes. Néanmoins, vos pas peuvent vous porter sur les Champs-Elysées jusqu’au Grand Palais, qui le 5 février 1920 accueille le Salon des Indépendants, lieu de lecture d’un manifeste dada. Et, pour terminer cette exploration de la rive droite comme elle a commencé, un autre « grand théâtre » emblématique de l’effervescence culturelle de cette époque vous attend : le Théâtre des Champs-Elysées, où le 4 décembre 1924 ont lieu la première représentation du ballet Relâche, écrit par Francis Picabia et chorégraphié par Jean Börlin sur une musique d’Erik Satie, et la première diffusion du film Entr’acte, réalisé par René Clair.

Il est grand temps désormais de gagner les bords de la Seine et d’en remonter le cours pour retrouver les origines du mouvement, vers le Quartier latin et le quartier Saint-Germain. 

La Seine, dont la fameuse « noyée » fascine depuis longtemps la Bohème parisienne, est constamment présente dans l’œuvre des surréalistes. Elle est évoquée par exemple dans la poésie de Louis Aragon (« Pour demain », Feu de joie, 1920 ; Il ne m’est Paris que d’Elsa, 1964) et de Jacques Prévert (« Chanson de la Seine », dans le court-métrage Aubervilliers d’Eli Lotar, 1946), et dans les écrits d’André Breton (Nadja, 1928) et Philippe Soupault (Les Champs magnétiques, avec Breton, 1920 ; Les Dernières Nuits de Paris, 1928). A l’époque, la Seine est aussi un grand port fluvial, à retrouver ici et à travers des photographies d’Eugène Atget.

Avant de traverser complètement le fleuve, vous ne pouvez manquer de chercher la place Dauphine, à la pointe de l’île de la Cité, matrice de Paris selon André Breton, où se déroule une des scènes centrales de Nadja (1928).

« L'immense monument alchimique que constitue Notre-Dame de Paris » pourra également retenir votre attention, d'autant plus que la cathédrale ainsi décrite par Robert Desnos (« Le Mystère d'Abraham Juif », Documents n°5, 1929) est aussi évoquée dans les écrits de René Crevel (Les Pieds dans le plat, 1933) qui rappelle le face à face entre le parvis de cet édifice religieux et la Préfecture de police.

Si comme Nadja vous avez tendance à confondre les deux îles, qu’à cela ne tienne ! Sur l’île Saint-Louis se trouve le quai de Bourbon : Philippe Soupault réside un temps au numéro 41, où il rédige avec André Breton une partie des Champs magnétiques en mai-juin 1919.

En face, sur la rive gauche cette fois, se trouve l’église Saint-Julien-le-Pauvre – actuellement square René Viviani, dans le 5e arrondissement, à l’époque un terrain vague. Le 14 avril 1921, les dadaïstes y organisent, sous la pluie, une excursion dans le but « de remédier à l’incompétence de guides et de cicerones suspects », selon les termes employés sur l’affiche réalisée à cette occasion. Cette manifestation aurait dû être la première d’une « série de visites à des endroits choisis, en particulier ceux qui n’ont pas vraiment de raison d’exister ». Ce sera en réalité la seule...

Pour achever – enfin ! – la rédaction des Champs magnétiques, vous remontez à la recherche du Café La Source, boulevard Saint-Michel, où une autre partie de l’œuvre aurait été écrite par André Breton et Philippe Soupault. Sur le chemin, en flânant à travers les ruelles du vieux Paris, ne manquez pas la salle des Sociétés Savantes, rue Danton : lieu du « procès Barrès » le 13 mai 1921.

L’Hôtel des Grands Hommes – place du Panthéon – est une adresse importante des débuts du mouvement : domicile d’André Breton avant sa démobilisation, c’est le siège de l’éphémère revue Littérature fondée en 1919 avec Philippe Soupault – qui lui est présenté par Guillaume Apollinaire au Café de Flore à l’été 1917 – et Louis Aragon – dont il fait la connaissance fin septembre ou début octobre 1917 à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, au cours de leur internat en médecine.

De l’autre côté du Jardin du Luxembourg se trouve également l’Hôtel Delambre, au numéro 35 de la rue du même nom ; André Breton y réside en 1921. En retournant vers le quartier Saint-Germain-des-Prés, ne manquez pas la rue Jacques Callot, ancienne adresse de la Galerie Surréaliste ouverte le 26 mars 1926 avec l’exposition Tableaux de Man Ray et Objets des îles.

Peut-être dénicherez-vous quelques pépites dans les librairies du quartier, par exemple à La Maison des amis du livre d’Adrienne Monnier, située rue de l’Odéon et fréquentée un temps par Léon-Paul Fargue et André Breton. Dans Histoire d’un Blanc (1927), Philippe Soupault raconte ainsi avoir découvert en juin 1917 un exemplaire de la deuxième édition des Chants de Maldoror de Lautréamont dans une librairie du boulevard Raspail – ouvrage qui circule ensuite au sein du groupe surréaliste, alimentant leur fascination pour ce poète.

Installée au 102 rue du Cherche-Midi, la maison d’édition « Au sans Pareil » publie en 1919 les Lettres de guerre de Jacques Vaché préfacées par André Breton et le recueil Mont de Piété de ce dernier, suivis un an plus tard des Champs magnétiques co-écrits avec Philippe Soupault. La maison dispose également d’une galerie-librairie au 37 rue Kléber, où est inaugurée le 2 mai 1921 la première exposition de Max Ernst à Paris.

Mais c’est en remontant la rue de Grenelle que vous arriverez au cœur du réacteur, puisqu'au numéro 15 se trouve la Centrale surréaliste ou Bureau de recherches surréalistes, fondé le 11 octobre 1924 et décrit par Louis Aragon comme une « romanesque auberge pour les idées inclassables et les révoltes poursuivies » (« Une Vague de rêves », Commune n°2, automne 1924). L’adresse est aussi évoquée dans le premier numéro de La Révolution surréaliste, qui paraît le 1er décembre 1924 et succède ainsi à Littérature.

Rapidement fermé au public, ce lieu de rencontre dont Antonin Artaud assume un temps la direction reste pour quelques mois encore le siège de cette nouvelle revue centrale dans le mouvement surréaliste. Vous pouvez y poser le temps d’une photo de groupe prise par Man Ray avec certains de vos nouveaux amis !

 

Après toutes ces rencontres et péripéties surréalistes, il est l’heure de rentrer au bercail ! Direction le 54 rue du Château, près de Montparnasse. Dans ce charmant pavillon s’installent fin 1924 Marcel Duhamel et Yves Tanguy, rejoints semble-t-il par Jacques Prévert. Y passent tour à tour Robert Desnos, Georges Malkine, Benjamin Péret, Raymond Queneau, Michel Leiris et André Breton, suivis quelques années plus tard par Louis Aragon et Elsa Triolet. Tous vous y attendent pour une partie de cadavre exquis, puisque c'est là que ce fameux jeu littéraire aurait été inventé ! Des exemples de phrases ainsi obtenues sont publiés dans la revue La Révolution surréalisteet le principe du cadavre exquis rapidement appliqué aux arts visuels.

Enfin, s'il vous reste assez d'énergie, souvenez-vous qu'une déambulation surréaliste serait incomplète sans une flânerie, de préférence nocturne : pourquoi ne pas vous joindre à Marcel Noll, André Breton et Louis Aragon pour une balade aux Buttes Chaumont, évoquées par ce dernier dans Le Paysan de Paris (1926) ? A moins que vous ne préfériez une virée à la Foire du Trône, dont l'atmosphère de fête foraine ravissait certains membres du groupe surréaliste ? Ou encore un tour au marché aux puces de Saint-Ouen avec André Breton et Alberto Giacometti, pour y dénicher de curieux objets...

Voir aussi

- Un billet de blog « L'invention du surréalisme : Ciels nuageux, rêve éternel et pois sauteurs ».

- Un billet de blog « Aragon, écrivain, militant et journaliste ».

- Un billet de blog « Le 24 juin 1917 : Les Mamelles de Tirésias ».

- Un billet de blog « Sur les traces du Paris d'Atget ». 

- Une fiche Gallica vous conseille consacrée au surréalisme.

- Les Sélections « Classiques de la littérature ».

- Les Sélections « Paris par l'image ».

Et ailleurs : quelques références utiles

- L'exposition "L'invention du surréalisme : des Champs magnétiques à Nadja" à la Bibliothèque nationale de France.

- Le catalogue de l’exposition : Isabelle Diu, Bérénice Stoll et Olivier Wagner, dir., L’Invention du surréalisme : des Champs magnétiques à Nadja, Paris, Editions de la Bibliothèque nationale de France, 2020.

- Les travaux de l'historien de la littérature Henri Béhar, en particulier : Henri Béhar, « Topographie culturelle : le Paris des surréalistes », Irish Journal of French Studies n°6, 2006, p. 17-39 ; Henri Béhar, dir., Guide du Paris surréaliste, Paris, Editions du patrimoine / Centre des monuments nationaux, 2012 ; « Entretien avec Henri Béhar », Autour-de-Paris.com, 20 décembre 2020. 

- L'exposition en ligne « Eugène Atget », en particulier les articles « Visions surréalistes » de Guillaume Le Gall (parties 1 et 2) et « Sur quelques vitrines d'Eugène Atget » de Clément Chéroux (parties 1, 2 et 3).

- Le site André Breton, par l'association André Breton.

- Le fonds Desnos mis en ligne par la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet.

- Dominique Piquemal, « « Changer la vie » au 42, rue Fontaine », Neufhistoire.fr, 2015-2016

Commentaires

Soumis par Claire le 03/07/2021

Quel travail merveilleux ! C'est comme si j'étais à Paris avec Breton.

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