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Survivants de la Shoah, ils se retrouvent après 75 ans

Des orphelins juifs immigrés à Montréal après avoir échappé de peu aux nazis ont renoué après 75 ans

Orphelinat Wezembeek
Michael Hartogs (devant, au centre), sauvé de justesse de la déportation, a passé le reste de la guerre dans l’orphelinat de Wezembeek, en Belgique, où il devait porter l’étoile de David en tant que Juif. Photo courtoisie


​Deux Montréalais d’adoption qui ont survécu à la Shoah ont rencontré avec grande émotion et pour la première fois en 75 ans les autres orphelins avec qui ils ont vécu la guerre en Belgique.

« C’était de vraies retrouvailles. Je ne les connaissais plus du tout, mais j’avais l’impression que oui. En grandissant, je n’ai pas connu d’autre famille qu’eux », témoigne Michael Hartogs, 82 ans, l’un des 1115 orphelins juifs de l’Holocauste accueillis par le Canada.

La rencontre Zoom qui a eu lieu il y a quelques mois réunissait sept autres survivants qui s’étaient côtoyés, enfants, dans un orphelinat belge, avant d’être éparpillés aux quatre coins du monde lors de leur adoption.

Occupée par les Allemands d’Adolf Hitler--- à partir de 1940, la Belgique comptait à l’époque environ 65 000 Juifs, en grande majorité réfugiés de pays voisins, comme l’Autriche et la Tchécoslovaquie. 

Les proches parents de ces jeunes orphelins ont fait partie des 25 484 Juifs déportés vers une mort quasi certaine dans les camps de concentration à partir de 1942, quand les rafles ont commencé en Belgique. 

« Tout d’un coup, on parlait de cette époque comme si c’était hier, alors que je n’avais jamais pu en discuter avec personne de toute ma vie. Ça a remué beaucoup d’émotions... On a souffert, pendant la guerre », dit Werner Szydlow.

Même l’Orphelinat des filles d’Anvers, où il vivait, a été visé par les nazis : 25 enfants de plus de 5 ans ont été arrêtés et emmenés à Auschwitz. Seuls 13 sont parvenus à échapper à la descente. 

Orphelinat Wezembeek
Werner Szydlow, rescapé du même orphelinat, s’est plutôt terré dans un hôpital belge jusqu’à la fin de la guerre. Photo courtoisie

 

L’homme de 80 ans savait qu’il avait été caché dans un hôpital avec d’autres orphelins, mais sa mère, qu’il a retrouvée après la guerre, n’avait jamais pu lui en dire plus. 

Ce n’est que grâce à l’appel d’un étudiant néerlandais qu’il a pu renouer avec ces survivants et retrouver des pans de son passé. 

Son adolescence à Montréal est beaucoup plus claire dans ses souvenirs. 

Architecte renommé

Orphelinat Wezembeek
M. Szydlow a aussi grandi dans la métropole québécoise et a contribué à la construction de l’Hôpital général juif de Montréal en tant qu’architecte. Photo courtoisie

 Après avoir traversé l’Atlantique en bateau, la famille de Werner Szydlow a vécu dans Outremont et est devenue propriétaire d’une pâtisserie, rue Fairmount. 

« J’étais très populaire auprès des filles à l’école secondaire [anglophone] parce que je parlais français », se rappelle-t-il avec un petit rire au bout du fil, en Pennsylvanie. 

Le jeune homme a ensuite reçu son diplôme d’architecte de l’Université McGill, et a rapidement été remarqué pour sa conception de l’Institut Lady Davis et de l’Institut de psychiatrie communautaire et familiale, affiliés à l’Hôpital général juif de Montréal. Une firme new-yorkaise l’a recruté, et il a quitté le pays pour de bon. 

Seul survivant de sa famille

Orphelinat Wezembeek
M. Hartogs a été adopté par une famille qui a émigré à Montréal. Photo courtoisie

Michael Hartogs a aussi habité quelques mois dans la métropole québécoise. Il se souvient encore de son adresse exacte : le 286, avenue Willowdale, à côté de l’Université de Montréal, où son père adoptif enseignait la psychologie. 

De son enfance, il ne garde en revanche aucun souvenir. Ses parents et sa sœur aînée ont été tués dans les camps après qu’il a été séparé d’eux, à 4 ans. 

« Mon père [adoptif] m’a dit que ça a dû être tellement traumatique que j’ai tout effacé. Je ne me suis pas considéré comme un survivant de l’Holocauste avant mes 65 ans », confie-t-il, depuis la Virginie.

Des orphelins oubliés par l’Histoire  

 Un étudiant néerlandais de 25 ans est parvenu à retracer l’histoire mouvementée et méconnue d’orphelins survivants de l’Holocauste, dont certains se sont réfugiés à Montréal.

« Ça a été compliqué de retrouver tout le monde à cause des changements de nom, mais j’ai réussi », explique dans un français impeccable Reinier Heinsman, avec le sentiment du devoir accompli. 

Le jeune homme a commencé à s’intéresser au sort des 39 enfants juifs de l’Orphelinat des filles d’Anvers, en Belgique, en tant que bénévole au musée de l’Holocauste Kazerne Dossin, l’été dernier. 

« Le musée savait que des orphelins avaient été [déportés], mais ignorait qu’il y avait des survivants », relate-t-il. 

Au fil du temps, le chercheur en herbe a en effet découvert que 13 des 39 enfants avaient échappé de peu à la déportation vers les camps de la mort.

Pour les protéger des rafles répétées des nazis à Anvers, les responsables de l’orphelinat ont hospitalisé sous de faux motifs la plupart d’entre eux, dont Werner Szydlow, dans un hôpital local.

À un cheveu de la mort

Mais quatre autres ont été emmenés au camp de Malines, la dernière étape avant d’être transférés à Auschwitz à partir de la Belgique.

Par miracle, d’autres orphelins épargnés par les Allemands après une intervention de la reine mère de Belgique, Élizabeth, se trouvaient aussi au même endroit. 

Michael Hartogs, âgé de 4 ans à l’époque, doit sa vie à la présence d’esprit de ces adolescents, qui l’ont pris sous leur aile, au nez des nazis.

« C’est épouvantable à quel point je suis passé à un cheveu d’être embarqué dans un train à destination d’un camp », témoigne le survivant, qui a rencontré son sauveur il y a 15 ans. 

M. Hartogs a ensuite vécu quelque temps à Montréal, tout comme deux autres rescapés de l’orphelinat. 

En plus de recueillir leurs témoignages pour un livre, Reinier Heinsman a aussi organisé une rencontre sur Zoom regroupant sept des huit survivants toujours en vie. 

« J’étais très heureux de les réunir. C’était spécial pour moi, mais bien plus spécial pour eux », dit en toute humilité l’étudiant en droit passionné d’histoire. 

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