“Manipuler votre cerveau pour modifier votre réalité, avec ou sans votre consentement, c’est un sujet digne des films de science-fiction”, amorce Al-Jazeera English, qui diffuse en guise d’illustration un extrait du désormais culte Matrix. Dans ce long-métrage sorti en 1999, premier volet d’une saga en quatre épisodes, le monde perçu par les humains est une réalité virtuelle créée par des machines. Plus de deux décennies plus tard, la science a en partie rattrapé la fiction, puisqu’il existe des casques permettant de se plonger dans des mondes virtuels – de son plein gré. Grâce à ce type de dispositifs, “les neurotechnologies réalisent des progrès extraordinaires pour aider les personnes incapables de parler ou de marcher. Les personnes atteintes d’Alzheimer pourront peut-être bientôt retrouver la mémoire”, souligne la chaîne. “Mais, comme l’arme nucléaire, [ces technologies] peuvent être utilisées à mauvais escient.”

L’idée que les neurotechnologies pourraient modifier le fonctionnement de nos cerveaux n’est plus aussi farfelue qu’on pourrait le croire. La société Neuralink, start-up cofondée par Elon Musk, travaille sur des implants cérébraux. Au mois d’avril, elle a dévoilé une vidéo dans laquelle un singe répondant au nom de Pager joue au jeu Pong sans manettes, en contrôlant le mouvement de la raquette uniquement par ses pensées, le tout grâce au dispositif implanté dans son cerveau par la firme. Cet implant retransmet les signaux neurologiques envoyés par le cerveau de l’animal, qui n’a donc pas besoin de bouger ses mains pour jouer.

Mais que se passerait-il si ce type de technologies était utilisé sur des humains contre leur gré ? C’est contre un tel scénario que le Chili tente de prémunir ses citoyens, en intégrant dans sa Constitution la garantie de “neuro-droits”.

Un risque dans cinq ou dix ans

Pour le sénateur chilien Guido Girardi, qui fait partie des auteurs de ce texte voté le 22 avril, “les neurotechnologies sont la nouvelle frontière : elles peuvent lire ce qui se passe dans votre cerveau et ce que vous pensez, même dans votre subconscient”.

Cela signifie que notre libre arbitre est en danger. Vous êtes votre esprit. Si quelqu’un peut manipuler ou contrôler votre esprit, ou y introduire des idées qui ne sont pas les vôtres, vous perdez votre liberté d’être humain.”

Les neurotechnologies ne seraient plus qu’à “une ou deux années de décoder nos pensées et probablement cinq ou dix ans de pouvoir modifier nos pensées et notre comportement”, d’après Rafael Yuste, tête pensante du Brain Project au Chili. Face à ces évolutions rapides, certains plaident pour que les “neuro-droits” soient considérés comme des droits humains fondamentaux pour tous au niveau mondial. C’est le cas de Rosario Ramos, avocate spécialisée dans la bioéthique, qui estime que “le Chili a ouvert la voie, mais [qu’]il s’agit d’un devoir universel.” Selon elle, ces droits devraient figurer dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.