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Une Médaille d’honneur pour le caporal Woodson : mobilisation pour récompenser à titre posthume un héros noir d’Omaha Beach

Au sein de la seule formation de combat noire américaine ayant débarqué le 6 juin 1944, cet infirmier a sauvé la vie de 200 soldats.

Publié le 24 juin 2021 à 17h47, modifié le 25 juin 2021 à 18h34 Temps de Lecture 5 min.

Portrait officiel de Waverly B. Woodson Jr dans son uniforme de la 1re armée, avec le grade de sergent.

Un général, quatre membres du Congrès, une écrivaine… Voilà qui devrait permettre de reconnaître à sa juste valeur la bravoure de Waverly B. Woodson Jr. Cet infirmier afro-américain est l’un des héros méconnus d’Omaha Beach, où il débarqua, le 6 juin 1944, mais que l’armée américaine s’est évertuée à oublier.

Ce n’est pas tous les jours que le général Thomas S. James Jr monte en première ligne. Le commandant de la First United States Army a pris la plume dans le Washington Post, le 20 juin, pour réparer l’injustice faite au caporal Waverly B. Woodson Jr : « Plus que toute autre, [son] histoire m’a ému et brisé le cœur », écrit-il en évoquant le manque de loyauté de l’institution à laquelle il appartient vis-à-vis de ce soldat noir.

« L’histoire a largement oublié les quelque 2 000 soldats noirs qui se trouvaient à Omaha Beach et Utah Beach le 6 juin 1944 », souligne Linda Hervieux, autrice de Forgotten : The Untold Story of D-Day’s Black Heroes, at Home and at War (Harper Collins Publishers, non traduit), dans lequel elle évoque notamment le parcours du caporal Woodson. Le Monde rappelait en 2009 que 143 soldats noirs sont enterrés au cimetière de Colleville-sur-Mer (Calvados), surplombant Omaha Beach.

Face aux nazis et à la ségrégation raciale

L’injustice subie par Waverly B. Woodson est le reflet de la ségrégation raciale au sein de la société américaine. Né à Philadelphie, en Pennsylvanie, il est empêché de faire des études de médecine et s’engage dans l’armée, avec son frère Eugene, le 15 décembre 1942. Admis dans une école de formation des officiers, il ne peut exercer cette fonction de commandement : en vertu des lois Jim Crow (promulguées par les Etats du Sud pour entraver l’effectivité des droits constitutionnels des Afro-Américains, acquis au lendemain de la guerre de Sécession), un Noir ne peut alors pas commander des soldats blancs.

Il suit une formation d’infirmier avant d’être incorporé au 320th Barrage Balloon Battalion, la seule unité combattante composée de Noirs – commandée par des officiers blancs –, à participer au Débarquement. Avant même d’atteindre la plage, la péniche où il se trouve est touchée par un obus. Il est blessé à l’aine et dans le bas du dos. Il y reçoit les premiers soins et atteint la plage, où il parvient à installer un poste de secours. Pendant les trente heures qui suivent, il va extraire des balles, panser des blessures, transfuser du plasma, amputer un pied, réanimer quatre hommes en train de se noyer.

Dans la foulée, son supérieur le recommande pour la Distinguished Service Cross, la deuxième plus importante médaille de l’armée, décernée à toute personne qui s’est distinguée par un acte héroïque. Au Royaume-Uni, le général John C. H. Lee estime que les actions de Woodson méritent plus, à savoir la Medal of Honor (Médaille d’honneur), la plus haute distinction militaire américaine, remise par le président des Etats-Unis. L’armée qui lui a refusé un poste d’officier publie un communiqué faisant l’éloge d’un « modeste soldat noir américain » qui a « aidé à soigner plus de 200 blessés sur les plages du Débarquement en France ».

Un extrait du « Pittsburgh Courier » du 26 août 1944 racontant les exploits de quatre soldats noirs, dont Waverly Woodson.
Un rapport de l’armée décrivant les actions de Waverly Woodson à Omaha Beach.

La presse afro-américaine raconte ses exploits et voit en lui le « héros numéro un du Débarquement », rappelle Linda Hervieux. La journaliste, qui vit en France, a déniché une note rédigée par le département de la guerre de 1944 à l’intention de la Maison Blanche, signalant que le caporal Woodson mérite la Médaille d’honneur et suggère que le président « la lui remette personnellement ». Cette distinction est censée récompenser « la bravoure et l’intrépidité au péril de la vie du soldat, au-delà de l’appel du devoir. C’est ni plus ni moins ce que Woodson a fait à Omaha Beach », souligne le général dans le Washington Post.

Une note envoyée à la Maison Blanche demandant la Medal of Honor pour Waverly Woodson.

L’infirmier ne reçoit finalement que la Bronze Star, la quatrième plus haute distinction pour bravoure, héroïsme et mérite de l’armée américaine, ainsi que la Purple Heart, parce qu’il a été blessé. « La seule raison pour ne pas lui attribuer la Médaille d’honneur tient au racisme dans les rangs de l’armée en 1944 », observe Linda Hervieux.

« Il est quasiment certain que Waverly B. Woodson s’est vu refuser la plus haute récompense (…) en raison de sa couleur de peau », acquiesce le général Thomas S. James. En effet, sur les 472 Médailles d’honneur décernées pendant la seconde guerre mondiale, aucune n’a été remise à un soldat noir. Pourtant, sur les plus de 16 millions de soldats américains, plus 1,5 million était Afro-Américains.

Après la guerre, Waverly Woodson rentre chez lui, mais aucune école de médecine n’accepte les Noirs. Réserviste, il est rappelé pour la guerre de Corée et doit former au combat des médecins militaires. Lorsqu’il arrive à son lieu d’affectation, les officiers se rendent compte qu’il est Noir, il est réaffecté. Il reste dans l’armée jusqu’en 1952 et la quitte avec le grade de sergent-chef, avant de travailler pour le centre médical militaire américain de Walter Reed, puis les instituts américains de la santé.

Reconnaissance par la France, soutien d’élus au Congrès

La reconnaissance viendra tardivement. En 1994, lorsque la France invite trois vétérans américains aux cérémonies du 50e anniversaire du Débarquement pour leur remettre des médailles commémoratives. Waverly Woodson est l’un d’entre eux. « Cela le dérangeait un peu que son propre pays ne l’ait jamais honoré comme l’ont fait les Français », dit sa femme, Joann. « Il était très fier d’avoir été invité », rappelle Linda Hervieux. En 2009, un de ses frères d’armes, William Dabney, reçoit la Légion d’honneur.

Waverly Woodson et sa femme Joann, vers 1994, époque à laquelle il a reçu la médaille commémorative décernée par la France.
Joann Woodson montre le médaillon du « 50e anniversaire des débarquements et de la libération de la France », remise lors de la célébration, en France, en 1994.

Waverly Woodson est mort le 12 août 2005 à l’âge de 83 ans, sans avoir reçu la médaille qui a été réclamée pour lui. L’armée a expliqué que son dossier n’a pu être réexaminé car, en 1973, de nombreuses archives de la seconde guerre mondiale ont été détruites dans l’incendie du centre des archives du personnel de l’armée, à Saint-Louis (Missouri).

Joann Woodson, sur la tombe de son mari, Waverly B. Woodson Jr. (3 août 1922-12 août 2005), au cimetière militaire d’Arlington, en Virginie.

En plus de Linda Hervieux, qui a contribué à faire connaître son histoire, le sénateur démocrate du Maryland, Chris Van Hollen, se démène depuis 2015 pour faire reconnaître les mérites du sergent-chef Woodson. Avec un collègue républicain, il a déposé, en septembre 2020, un projet de loi visant à autoriser le président à lui décerner la Médaille d’honneur. Une initiative identique a été présentée à la Chambre par deux élus démocrates du Maryland.

S’ils sont votés et ratifiés, Waverly B. Woodson rejoindra sept autres soldats noirs de ce conflit à qui le président Clinton a remis, tardivement, la Médaille d’honneur, en 1997. Son épouse, Joann Woodson, prévoit d’en faire don au National Museum of African American History and Culture.

« L’armée a beaucoup changé depuis 1944, reprend, dans sa tribune, le général Thomas S. James, qui a succédé au lieutenant-général Stephen Twitty, un général noir. Pourtant, elle a encore du chemin à parcourir. Reconnaître enfin la valeur de Woodson en dirait long sur la diversité des hommes et des femmes qui portent notre uniforme aujourd’hui. »

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