Une œuvre en détails

« La Ronde de nuit » de Rembrandt : mutinerie en clair-obscur

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Publié le , mis à jour le
Ce qui ne devait être qu’un portrait de groupe est devenu un chef-d’œuvre historique, en même temps qu’un manifeste baroque et une brillante satire sociale. La Ronde de nuit, peinte par Rembrandt en 1642, n’a pas fini de livrer toutes ses subtilités picturales et ses intimes secrets aux visiteurs du Rijksmuseum d’Amsterdam. Au XVIIIe siècle, cette prodigieuse toile avait été amputée de larges pans afin de faciliter son transport. Grâce à l’intelligence artificielle, ceux-ci jusqu’alors disparus ont été reconstitués, et l’œuvre va pouvoir prochainement retrouver ses dimensions d’origine.
En haut : Frans Hals, “Banquet de la compagnie d’officiers de Saint Georges”, 1616 ; en bas : Rembrandt, “La Ronde de nuit”, 1642
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En haut : Frans Hals, “Banquet de la compagnie d’officiers de Saint Georges”, 1616 ; en bas : Rembrandt, “La Ronde de nuit”, 1642

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Commande groupée

À la fin de l’année 1640, le capitaine de la garde civique d’Amsterdam Frans Banning Cocq et ses dix-sept officiers commandent à Rembrandt un portrait destiné à trôner dans la salle des banquets du quartier général Kloveniersdoelen. Le peintre est déjà célèbre, notamment pour un autre portrait de groupe : La Leçon d’anatomie du Docteur Tulp (1632). Chaque soldat de la milice est ainsi prêt à verser jusqu’à 100 florins, selon la place qu’il occupera sur le tableau, afin d’être immortalisé dans ses plus beaux habits, le regard fier et triomphant. Austérité, stabilité et virilité sont les mots d’ordre de ce type de portrait, qui s’exécute depuis des siècles. Mais que Rembrandt est en passe de torpiller à grands coups de clairs-obscurs !

© Frans Hals Museum, Haarlem / Bridgeman Images / © Rijksmuseum, Amsterdam

Rembrandt, La Ronde de nuit [détail]
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Rembrandt, La Ronde de nuit [détail], 1642

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Pagaille en pleine parade

Les regards fusent de toutes parts, la troupe ne sait où se diriger, les lances s’entremêlent… Le spectacle cocasse des officiers en marche pour parader est exposé au grand jour sur une toile de cinq mètres de long sur plus de trois mètres de large. La raison d’un tel chaos ? Des soldats qui festoient presque tous les jours de la semaine, et qui ne font qu’entretenir un rite social – car depuis quelques années, en Hollande, la guerre se livre exclusivement sur les mers.

huile sur toile • 363 x 437 cm • Coll. Rijksmuseum, Amsterdam • © Rijksmuseum, Amsterdam

Re, La Ronde de nuit [détails]
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Re, La Ronde de nuit [détails], 1642

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Une troupe de bras cassés…

C’est une milice de pacotille que semble donc dépeindre Rembrandt. Certains détails suggèrent même qu’elle ne sait pas manier ses armes : un homme qui charge son arquebuse en marchant, oubliant l’instabilité de son équipement ; un tireur au visage caché qui laisse échapper de la fumée en plein milieu de la foule ; et enfin celui soufflant sur son arme pour la refroidir, juste derrière son capitaine.

huile sur toile • 363 x 437 cm • Coll. Rijksmuseum, Amsterdam • © Rijksmuseum, Amsterdam

Rembrandt, La Ronde de nuit [détail]
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Rembrandt, La Ronde de nuit [détail], 1642

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…qui joue aux soldats !

Presque une vingtaine de personnages, et autant d’expressions détaillées que de chapeaux variés : si certains sont affublés de casques morions – le modèle en vigueur au XVIIe siècle –, un homme en armure (au fond à droite du tableau) est fagoté d’un casque antique, comme s’il s’était déguisé pour jouer au soldat. À sa gauche, un moustachu paré d’un chapeau semblable à un haut-de-forme passe pour le modèle bourgeois s’essayant aux armes.

huile sur toile • 363 x 437 cm • Coll. Rijksmuseum, Amsterdam • © Rijksmuseum, Amsterdam

Rembrandt, La Ronde de nuit [détail]
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Rembrandt, La Ronde de nuit [détail], 1642

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L’ombre d’une rumeur…

Au premier plan, les deux commanditaires de l’œuvre sont en pleine discussion. Le capitaine Frans Banning Cocq s’exprime d’un geste indécis de la main, tandis que son lieutenant, Willem van Ruytenburch, élégamment vêtu, semble compter les moutons à ses côtés… Mais en regardant de plus près, l’ombre du geste interpelle : elle pourrait valoriser le blason de la ville – peinte sur la broderie entre le pouce et l’index – ou attiser les commérages sur une possible relation entre les deux hommes…

huile sur toile • 363 x 437 cm • Coll. Rijksmuseum, Amsterdam • © Rijksmuseum, Amsterdam

Rembrandt, La Ronde de nuit [détail]
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Rembrandt, La Ronde de nuit [détail], 1642

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Un poulet plumé ?

Qui est cette petite fille au visage ridé, en plein milieu de la toile, plongée dans la clarté ? Certains critiques d’art ont évoqué une mascotte. D’autres ont pensé à Cornelia, une des filles du peintre disparue en bas âge, dotée du visage de la mère de Rembrandt (dont il stockait des tas de portraits dans son atelier !). Quelle que soit son identité, le rôle de cette enfant demeure symbolique : le poulet attaché à sa ceinture est le symbole des arquebusiers, la corne de cérémonie est celle de la compagnie, et la bourse pendant sur sa robe renvoie à l’argent de la commande. La volaille, plumée et tête en bas, sert sûrement de pied de nez !

huile sur toile • 363 x 437 cm • Coll. Rijksmuseum, Amsterdam • © Rijksmuseum, Amsterdam

La Ronde de nuit [détail]
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La Ronde de nuit [détail]

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L’œil acerbe de Rembrandt

« Je vous surveille et contemple votre médiocrité », semble affirmer l’œil de Rembrandt, caché dans le dos de deux miliciens. Avec ce bout d’autoportrait qui vient appuyer tant d’affronts éhontés, les officiers hésitent… entre brûler l’œuvre et maudire l’artiste. Résultat : Rembrandt ne reçut aucune commande publique pendant quatorze ans, et si La Ronde de nuit n’a jamais été complètement endommagée, elle fut rognée en 1715 – jusqu’à amputer deux personnages – pour être déménagée à l’Hôtel de ville d’Amsterdam, vandalisée à coups de couteau par un déséquilibré au Rijksmuseum dans les années 1970, puis aspergée d’acide par un visiteur néerlandais en 1990 !

© Rijksmuseum, Amsterdam

Études préliminaires à la restauration de la toile au Rijksmuseum
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Études préliminaires à la restauration de la toile au Rijksmuseum

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« La Ronde de nuit » sous un nouveau jour

À partir du mois de juillet 2019, une cellule en verre sera installée au Rijksmuseum d’Amsterdam pour permettre aux visiteurs de suivre la restauration de l’œuvre. Les experts étudieront toutes les couches du tableau, du vernis jusqu’à la toile, et tenteront de résorber le voile blanchâtre qui se développe depuis peu sur la partie inférieure. Celle que l’on surnomme La Ronde de nuit – à cause d’un vernis qui assombrissait la surface (alors que la scène se déroule en milieu d’après-midi !) – risque de révéler d’autres mystères insoupçonnés. Affaire à suivre, au Rijksmuseum ou sur le site Internet dédié…

© Photo Daniel Maissan

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Rijksmuseum

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Pour suivre la restauration

Retrouvez dans l’Encyclo : Rembrandt

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