Accéder au contenu principal
ANALYSE

Afghanistan : "Une possibilité réelle de voir les Taliban au pouvoir dans les prochains mois"

Après une percée fulgurante dans le nord-est de l'Afghanistan, les Taliban continuent de conquérir de nouveaux territoires dans le pays, alors que le retrait des troupes américaines est presque achevé. Ils espèrent provoquer un effondrement du gouvernement afghan.

Des hommes armés ayant rejoint la lutte gouvernementale contre les Taliban, dans le district de Ghorband (Afghanistan), le 29 juin 2021.
Des hommes armés ayant rejoint la lutte gouvernementale contre les Taliban, dans le district de Ghorband (Afghanistan), le 29 juin 2021. © Reuters
Publicité

Ils sont désormais présents dans presque toutes les provinces afghanes et encerclent plusieurs grandes villes, comme ils l'avaient fait dans les années 1990 pour s'emparer de la quasi-totalité du pays. Face à la multiplication des victoires militaires des Taliban en Afghanistan, l’hypothèse de voir le groupe insurgé prendre le pouvoir dans les prochains mois n’est plus exclue.

Prenant la mesure du danger, le ministère afghan de l'Intérieur a indiqué, mardi 29 juin, avoir créé une "force de réaction rapide" de 4 000 hommes qui sera dirigée par des généraux à la retraite et combattra les Taliban aux côtés des forces régulières.

En parallèle, les discussions de paix menées au Qatar n'ont pas débouché pour l'heure sur des avancées significatives. Sur le terrain, les combats font rage depuis le début, en mai, du retrait des troupes américaines. Les Taliban, qui contrôlaient déjà largement le Sud à l'exception des grandes villes, ont effectué une percée dans le Nord-Est jusqu'à la frontière avec le Tadjikistan.

Côté américain, la totalité des troupes devront avoir quitté l'Afghanistan d'ici le 11 septembre, date butoir fixée par le président américain Joe Biden. Mais la finalisation de ce retrait ne semble déjà plus être qu'une question de jours, d’après des représentants américains au fait de la question, interrogés mardi par Reuters.

L'Allemagne a elle aussi annoncé mardi avoir finalisé le retrait de ses troupes d'Afghanistan. Quant à l'Italie, l'une des puissances occidentales les plus engagées dans le pays, elle a indiqué mercredi avoir rapatrié ses derniers soldats dans le cadre du retrait accéléré des contingents de l'Otan.

Pour Gilles Dorronsoro, professeur de science politique à Paris I Sorbonne et auteur du livre "Le gouvernement transnational de l’Afghanistan, une si prévisible défaite" (éd. Karthala), l’effondrement du régime afghan n’est qu’une question de temps.

France 24 : Quelle est la stratégie des Taliban en Afghanistan ?

Gilles Dorronsoro : Les Taliban sont en train de tester les défenses du régime de Kaboul. Leur but est de prendre le maximum de districts pour encercler les villes. Jusqu’ici, ça a bien fonctionné puisqu’ils contrôlent à peu près 75 % du territoire. Depuis le début de l’année, ils ont pris plus de 70 districts [sur les 370 districts que compte l’Afghanistan].

Visiblement, ils vont tenter de prendre les capitales provinciales. Le scénario est assez clair : ils vont isoler ces villes en prenant les axes de communication qui les relient et ces capitales seront hors de contrôle du gouvernement. Si les Taliban s'emparent de ces villes moyennes, cela peut provoquer un effet d'effondrement.

Ce qui peut se passer alors, c’est que le gouvernement afghan s’effondre, ou que les Taliban décident de négocier avec les forces politiques gouvernementales pour aller vers une transition pacifique, ce qui leur permettrait de prendre les grandes villes et la capitale en évitant une bataille qui serait très violente à Kaboul, car prendre cette ville est techniquement compliqué.

Comment expliquer la progression fulgurante des Taliban ces derniers mois ?

Ils s’appuient sur un appareil militaire assez rustique, mais bénéficient de "troupes de choc", spécialisées dans les attaques éclairs, capables de monter à l’avant et de prendre des positions rapidement. Ils ont un avantage majeur, c’est qu’ils sont présents sur l’ensemble du territoire afghan, ce qui leur permet de monter des opérations simultanées, face auxquelles l’armée afghane se retrouve dépassée.

Face à eux, le gouvernement afghan est divisé, affaibli, et pas très légitime. Mais ça n’est pas tant sur ça que les Taliban s’appuient. Ils profitent surtout d’une armée afghane en très mauvais état. Celle-ci est très affaiblie, elle prend peu d’initiatives sur le terrain et elle souffre de corruption – comme avec la revente d’armes par des soldats. Et surtout, l’armée afghane se retrouve privée du soutien aérien qui était assuré par les troupes américaines. Il y a eu récemment une frappe de drone, mais c’est très marginal, pour une raison simple, c’est qu’il n’y a plus de bases américaines en Afghanistan. Il ne reste que quelques centaines soldats [essentiellement affectés à la protection de l’ambassade des États-Unis et de l’aéroport de Kaboul].

La victoire des Taliban n’est-elle qu’une question de temps ?

Tout est allé très vite et les Taliban semblent eux-même surpris de la rapidité de l’effondrement du régime en place. Il y a une possibilité réelle de voir les Taliban au pouvoir en Afghanistan dans les prochains mois.

Il se peut que le régime résiste, et cela conduirait à une guerre civile, mais le pouvoir afghan d’Ashraf Ghani est politiquement fini et il ne bénéficie plus que d’un soutien international de façade.

Le risque de voir les Taliban accéder au pouvoir remet-il en question le désengagement militaire américain ?

Le désengagement américain est déjà fait. Il n’y a aucune raison pour que les Américains y renoncent. Renvoyer des troupes en Afghanistan me paraît politiquement suicidaire pour Joe Biden. En annonçant leur retrait, les Américains savaient très bien que le régime afghan allait s’effondrer, c’est un choix politique qu’ils ont fait.

Les Taliban d’aujourd’hui sont-ils les mêmes que ceux d’hier ? Doit-on craindre l’instauration d’un régime islamique autoritaire comme ils l’avaient fait entre 1996 et 2001 ?

S’ils arrivent au pouvoir, il y aura une régression des droits humains en général, mais il est probable qu’ils n’enfreignent pas certaines lignes rouges afin de ne pas s’attirer les foudres de la communauté internationale comme ce fut le cas dans les années 1990. Pour autant, les Occidentaux n’ont pas beaucoup de moyens de pression sur eux et pour le moment, ils bénéficient d’une reconnaissance internationale forte.

Le résumé de la semaineFrance 24 vous propose de revenir sur les actualités qui ont marqué la semaine

Emportez l'actualité internationale partout avec vous ! Téléchargez l'application France 24

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.