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RD Congo : une attaque kamikaze, une première, aggrave l’angoisse générale à Béni

La vie reprenait timidement dans la ville de Béni, dans l’est de la République démocratique du Congo, ce mercredi 30 juin. C’est la fin du couvre-feu de 48 heures décrété dimanche par les autorités locales après les explosions de bombes artisanales, dont un kamikaze, qui ont secoué plusieurs quartiers de la capitale de la province du Nord-Kivu au cours du week-end. Un mode opératoire jamais vu, dans cette région touchée par des massacres depuis une vingtaine d’années.

A Béni dans l'est de la RD Congo, deux explosions de bombes artisanales ont ciblé dimanche 27 juin, une église catholique et un bar faisant 1 mort et plusieurs blessés.
A Béni dans l'est de la RD Congo, deux explosions de bombes artisanales ont ciblé dimanche 27 juin, une église catholique et un bar faisant 1 mort et plusieurs blessés. © Images postées sur le compte Twitter de Jerry Nugwa et Martial Mukeba
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Ces attentats attribués aux Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe rebelle constitué principalement de combattants ougandais, ont fait un mort dans la soirée du dimanche dans le quartier Mabakanga. Selon l'armée congolaise cité par l'AFP, il s'agirait d'un kamikaze d'origine ougandaise tué dans l'explosion de son engin près d'un bar.

Une autre attaque à la bombe artisanale avait également visé plus tôt dans la matinée, l'église catholique Saint-Emmanuel du quartier Butsili, une première dans la région. Deux femmes y ont été blessées. Les deux attaques ont été revendiquées par l'Etat islamique selon notre journaliste spécialiste du terrorisme Wassim Nasr.

"Cet attentat est un véritable drame"

Josué Musanzalire, chef du quartier Butsili n'était pas sur place lors de l'explosion mais il a entendu la forte déflagration depuis sa maison située non loin de la chapelle. Il s'est déplacé très vite sur les lieux pour se rendre compte des dégâts.

L'explosion a eu lieu vers six heures du matin. Quelques fidèles étaient déjà présents dans l'église parce qu'une messe devait être célébrée à cette heure-là. Les deux femmes qui ont été touchées par les éclats de bombe arrangeaient la chapelle. C'était un grand jour pour la paroisse. Plusieurs fidèles devaient recevoir le sacrement de confirmation.

Tout a été endommagé à l'intérieur de l'église. Les fenêtres ont été brisées, les bancs détruits ainsi que les instruments de sonorisation. Nous remercions Dieu parce que la vie des victimes n'est pas en danger. Elles ont été blessées l'une aux jambes, l'autre à la bouche. Elles ont été admises à l'hôpital mais seront libérées dans les prochains jours.

Cet attentat est un véritable drame pour notre quartier qui n'a pas connu d'attaques depuis 2014. Nous sommes vraiment inquiets. C'est la première fois qu'une église est piégée à Béni. Et nous nous demandons si les marchés et les écoles ne seront pas les prochaines cibles des groupes armés. Nous avons très peur parce que le danger est là. Nous avons peur de vivre les atrocités de 2014 [date du début des exactions des ADF à Beni, NDLR].

Toutefois, nous avons confiance en notre armée qui a déjà pris des dispositions pour sécuriser les populations.

Les Forces démocratiques alliées (ADF) sont à l'origine des rebelles ougandais, à majorité musulmane, hostiles au président Yoweri Museveni, qui se sont repliés dans l'est de l'actuelle RD Congo en 1995. Ce groupe armé, parmi les plus violents dans la région, est accusé du massacre de plusieurs milliers de civils dans le territoire de Béni depuis octobre 2014.

Pour prévenir d'autres attaques, les autorités ont donc multiplié les points de contrôle sur les accès à la ville de Beni et exigent de vérifier les pièces d'identité. Les habitants ont également été sensibilisés à signaler tout comportement ou objet suspect aux Forces de sécurité.

"Il ne faut jamais s'approcher d'un objet que vous n'identifiez pas. Nous on dit souvent que si vous n'avez pas déposé quelque chose il ne faut jamais la prendre parce que c'est parfois piégé" a expliqué Jacob Bedidjo, chargé des opérations du service de lutte antimines des Nations unies (UNMAS) dans la région de Beni-Butembo-Lubero, d'après des propos rapportés par Radio Okapi, la radio de la Mission des Nations unies au Congo (Monusco).

L'attentat-suicide comme nouveau mode opératoire

Ces attaques interviennent près de deux mois après l'instauration, le 6 mai, de l'état de siège dans les provinces de l'Ituri et du Nord-Kivu par Félix Tshisekedi, le chef de l'État congolais, pour lutter contre la centaine de groupes armés qui sévit dans l'est du pays, riche en ressources minières. Concrètement, les gouverneurs civils ont été remplacés par des gouverneurs militaires et les juridictions civiles par des cours militaires.

Interrogé par la Deutsche Welle, Pierre Boisselet, coordonnateur du Baromètre sécuritaire du Kivu, estime que l'attaque d'une église et le recours à un kamikaze montrent un changement de stratégie des ADF pour marquer leur présence.

"Ils essaient en effrayant la population d'obtenir une victoire politique. Et ce qu'ils semblent viser, c'est la fin des opérations militaires contre eux. On a vu par le passé qu'à chaque fois que les opérations militaires étaient déclenchées contre eux, il y avait une forte augmentation du massacre des civils. On peut penser que l'annonce de l'état de siège effectivement a renforcé cette motivation de terroriser" a-t-il expliqué.

Le chercheur, en se basant sur un rapport du groupe d'experts de l'ONU sur la RD Congo publié en décembre 2020, explique aussi que le groupe rebelle a fait allégeance au groupe État islamique "même si aujourd'hui on n'a pas suffisamment de preuves que l'État islamique les soutient directement". L'adoption par les ADF de l'attentat-suicide comme mode opératoire serait donc l'une des conséquences de ce rapprochement. 

Un état de siège encore peu efficace

Selon un rapport du Baromètre sécuritaire du Kivu, un projet initié par le Groupe d'études sur le Congo (GEC) et l'ONG Human Rights Watch, l'état de siège n'a pas permis d'améliorer la sécurité dans l'est de la République démocratique du Congo. "Depuis l'annonce de l'état de siège par le président Félix Tshisekedi, la sécurité des civils s'est en réalité globalement dégradée dans les provinces du Nord-Kivu et de l'Ituri. Le KST y a enregistré la mort d'au moins 223 d'entre eux en mai, contre 198 en avril" peut-on lire dans un article publié sur le site dédié au projet.

"Les massacres de Boga et Tchabi, sur le territoire d'Irumu, qui ont fait 55 victimes civiles dans la nuit du 30 au 31 mai (journée la plus meurtrière jamais enregistrée par le KST) y ont largement contribué. Mais, d'un mois sur l'autre, le bilan s'est également aggravé sur le territoire de Beni (74 civils tués en mai, contre 47 en avril) et sur celui de Mambasa (35 civils tués au mois de mai, contre 3 en avril)", ajoute le texte.

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