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"Mâle blanc" hier, universaliste aujourd'hui dans Elle : le revirement d'Emmanuel Macron
À moins d'un an de la présidentielle, Emmanuel Macron entend redorer son blason universaliste.
AFP

"Mâle blanc" hier, universaliste aujourd'hui dans Elle : le revirement d'Emmanuel Macron

Campagne présidentielle

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Dans une interview avec l'hebdomadaire féminin « Elle » parue mardi 29 juin, Emmanuel Macron s’alarme d’une racialisation de la société et de la « logique intersectionnelle » qui « fracture ». Pourtant, depuis des années, le président a lui-même usé d’expressions ambiguës telles que « mâle blanc » à plusieurs reprises.

Une poussée d’universalisme, à un an de l’élection présidentielle, ça ne mange pas de pain. L’entretien du magazine Elle avec Emmanuel Macron, dont certains extraits ont été diffusés en avant-première ce mardi 29 juin, a de quoi faire sourire. Ou grincer des dents. Le président de la République dégaine tous les éléments de langage prompts à lui assurer un vernis universaliste parfait. Aucun louvoiement mais une position très franchement assumée : « Je suis du côté universaliste. Je ne me reconnais pas dans un combat qui renvoie chacun à son identité ou son particularisme. »

Selon lui, le cumul des discriminations lorsque l'on fait partie de plusieurs minorités n’est pas judicieux. Autre pavé dans la mare : « Les difficultés sociales ne sont pas uniquement structurées par le genre et par la couleur de peau, mais aussi par l'inégalité sociale. » Sus aux théories racialistes donc.

Rien ne semble arrêter le chef de l’État, au point de dresser le portrait-robot d’un jeune homme archétypal qu’il entend bien défendre. « Je pourrais vous présenter des jeunes hommes blancs qui s'appellent Kévin, habitent Amiens ou Saint-Quentin, et qui ont aussi d'immenses difficultés, pour des raisons différentes, à trouver un job », assène-t-il, en réponse au témoignage de la réalisatrice Amandine Gay sur les difficultés d'être une femme noire.

L'antienne « le mâle blanc »

Un discours bien huilé qui n’éveillerait pas notre méfiance si on n’avait pas en tête plusieurs sorties du concerné. Car si Emmanuel Macron semble découvrir (et condamner) les dérives du racialisme en 2021, il s’est déjà laissé aller, au cours des dernières années, à des tentations linguistiques pas anodines. En tête des expressions qui l’ont visiblement turlupiné : le « mâle blanc ». Un concept fourre-tout généralement agrémenté des adjectifs qualificatifs cis het (entendre : cis hétérosexuel, dont l'identité de genre correspond au genre biologique), privilégié, quadragénaire ou quinquagénaire.

En avril 2010, celui qui est alors associé-gérant de la banque Rothschild est interviewé par Émile le magazine des anciens de Sciences Po. Il se qualifie lui-même de « jeune mâle blanc diplômé », mais dans un sens qui se veut, de sa part, « positif ». En effet, Emmanuel Macron estime qu’il n’a pas s’excuser « d'être un jeune mâle blanc diplômé », ni « d'avoir passé des concours de la République qui sont ouverts à tout le monde ».

S’ensuit une longue pause de sept ans sans que l’expression « mâle blanc » ne vienne pointer le bout de son nez. Puis, en février 2017, il réitère l’expérience. Interrogé par le magazine Causette il commence par se surjustifier d’avoir plus d’hommes que de femmes dans son équipe de campagne, pour mieux se dégager de toute responsabilité. En effet, il met en avant la « société civile et politique » qui est « ainsi », autrement dit qui est constituée majoritairement de « mâles blancs de plus de cinquante ans ». Pourtant, le candidat le clame haut et fort dans cette interview : il veut faire « émerger autant de femmes que d’hommes ».

Le rapport Borloo sur les banlieues ? Aux oubliettes

Le 31 mars 2018, le chef de l’État prend la parole au Collège de France. Il déplore que les acteurs du secteur de l’intelligence artificielle « soient par trop ce qu('il est) devant (eux), c'est-à-dire des mâles blancs quadragénaires ».

Deux mois plus tard, Jean-Louis Borloo remet un rapport à Emmanuel Macron sur les actions à mener dans les banlieues. Le président salue le « travail de mobilisation » de son confrère sur un sujet essentiel. Jusqu’ici, tout va bien. Sauf que sous couvert de remerciements à Jean-Louis Borloo, le chef de l’État trouve le moyen d’enterrer son rapport. « Quelque part ça n'aurait aucun sens que deux mâles blancs, ne vivant pas dans ces quartiers, s'échangent l'un un rapport et l'autre disant, "on m'a remis un plan, je l'ai découvert". C'est pas vrai, ça ne marche plus comme ça », affirme-t-il, tout en précisant qu’il ne proposerait pas de « plan » banlieues.

Les réactions ne se font pas attendre. Dans la foulée, Stéphane le Foll (PS) vilipende sur LCP « une logique très anglo-saxonne ». François Pupponi, ex-maire de Sarcelles, ancien socialiste désormais membre du MoDem, évoque une « faute historique ». Du côté des opposants plutôt favorables à ce schéma de pensée, on pointe du doigt le caractère opportuniste de la déclaration. Le président ne serait pas un « vrai » apôtre de l’intersectionnalité en somme. « Pour Emmanuel Macron, "deux mâles blancs" qui font un plan #banlieue, "ça ne marche plus comme ça". C'est quand même un "mâle blanc" qui le dit, et depuis les salons dorés de l'Élysée… Jupiter en costume "décolonial" espère noyer le poisson », s’insurge par exemple l'écologiste Esther Benbassa qui n’en est pas à sa première controverse.

Le 20 décembre 2019, c’est sa porte-parole de l'époque, Sibeth Ndiaye, qui se félicite de la diversité des profils au sein de l’exécutif. « Ce gouvernement est à l'image de notre pays, avec des parcours qui sont divers, pas que des technos blancs de 40 ans », déclare-t-elle au micro de la journaliste Alba Ventura, sur RTL. Toujours le même prisme.

Un an et demi après, c’est désormais un Emmanuel Macron visiblement revigoré par le bien-fondé de l’universalisme, toujours aussi bien rompu aux techniques de la communication et délesté de tout goût pour les expressions polémiques qui prépare sa deuxième campagne présidentielle.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne