Accueil

Agora Tribunes libres
"La FCPE est une association militante qui vient de franchir la ligne rouge"
La FCPE "déclare la guerre à une profession, et il y a fort à parier que les syndicats enseignants, habitués à s'allier avec elle contre les décisions gouvernementales, ne s'en offusqueront pas", écrit Céline Fiorentino.
© Pitton / NurPhoto / NurPhoto via AFP

"La FCPE est une association militante qui vient de franchir la ligne rouge"

Tribune

Par Celine Florentino

Publié le

Céline Florentino, enseignante spécialisée, exprime son ras-le-bol devant une association qui passe son temps à dénigrer les professeurs, selon elle, comme en témoigne un tweet issu de son dernier congrès.

On a beaucoup parlé ces derniers jours sur les réseaux sociaux de ce tweet ignoble où la FCPE [Fédération des conseils de parents d'élèves] accuse l'école d'être responsable de l'assassinat de Samuel Paty, tweet issu d'un discours de sa coprésidente Carla Dugault, lors de son congrès. Devant l'indignation soulevée, il a été supprimé. Mais on parle moins de celui qui a suivi. Et pourtant. La profession d'enseignant y est directement mise en cause, et, à travers elle, la République.

Cette fédération, qui regroupe des parents d'élèves, déclare la guerre à une profession, et il y a fort à parier que les syndicats enseignants, habitués à s'allier avec elle contre les décisions gouvernementales, ne s'en offusqueront pas. C'est comme si un poison se répandait à l'intérieur de toutes les luttes concernant l'Éducation nationale. Comme d'ailleurs dans toutes les luttes concernant les droits et l'égalité depuis quelques années.

Préjugés

J'aimerais qu'on me dise quelle profession accepterait d'être ainsi dénigrée par une organisation extérieure. Dénigrée dans tous les domaines et tous les stades de la profession : les apprentissages (autant dire l'essentiel), l'évaluation (sous-entendu, inégalitaire), l'accompagnement à l'orientation, et, cerise sur le gâteau, la posture professionnelle. Autrement dit, même la manière d'être est mise en cause ici.

D'ailleurs, à la fin, ça y est, le mot est lancé : préjugés. Mot si souvent suivi des qualificatifs tels que sexiste, raciste, homophobe, qu'on croirait presque les lire. Mais ils sont entre les lignes. Aucune précaution n'est prise : il s'agit ici DES enseignants dans leur globalité. Il s'agirait donc d'un ensemble de personnes ignorant tout ou presque du fait qu'ils sont racistes, sexistes, homophobes. Mais la FCPE, elle, sait.

Cela d'ailleurs rappelle la façon de traiter les policiers : généralisation, accusations, dévalorisation. Lorsque l'ensemble d'une profession est dénigrée, alors qu'elle a réfléchi et perfectionné son travail grâce à l'expérience, à la sueur de son front et à ses mains dans le cambouis, et qu'une instance extérieure vient lui dire qu'elle remplie de préjugés et qu'elle fait n'importe quoi depuis très longtemps sans le savoir, une limite est dépassée. Oui, il s'agit bien d'une attaque extrêmement violente. Il serait bon de le nommer ainsi.

« Imaginez une école où l'on n'oserait plus enseigner les droits universels sous peine d'être accusé d'exclure les opprimés de nature »

En tant qu'enseignante spécialisée, et au nom de tous les enseignants attachés aux valeurs humanistes, j'affirme qu'il est hors de question que je laisse quiconque sous-entendre que je suis raciste à mon insu. Personne. Parce que si je laisse dire, je reconnais que cette culpabilité qu'on tente de me coller sur le dos est légitime. Comment pourrais-je accepter de telles accusations ? Moi qui depuis plus de trente ans m'occupe des élèves des quartiers défavorisés ? De quel droit des ignorants s'arrogeraient-ils la légitimité de venir m'expliquer que je ne traite pas tous les enfants de la même manière selon leur genre, leur couleur de peau ou que sais-je encore ?

Est-ce que, bientôt, il faudra s'excuser d'avoir péché par ignorance de ce que le reste du monde, parents d'élèves de gauche, sait de source sûre ? Bien sûr qu'il y a des insuffisances dans l'Éducation nationale, beaucoup. Mais pas celle-là. Il y a peu d'enseignants racistes ou sexistes. En tout cas, certainement moins que dans le reste de la population. Et pas plus en France qu'ailleurs. Parce que les enseignants ont affaire à des enfants, et qu'ils ont un savoir à leur transmettre, quelles que soient leurs origines, milieu social, religion ou couleur de peau. C'est d'une telle évidence et il paraît tellement incroyable de devoir le rappeler !

A LIRE AUSSI : Lettre à la FCPE qui fait la promotion des mamans voilées en sortie scolaire

Imaginez une école où l'on n'oserait plus enseigner les droits universels sous peine d'être accusé d'exclure les opprimés de nature. Imaginez une école où les cours seraient une succession d'unités d'enseignement où l'on « déconstruirait les stéréotypes ». Imaginez une école où il n'y aurait plus que des « matières » qu'on enseignerait tout au long de l'année, où l'on apprendrait aux enfants ce qu'il ne faut PAS faire ou ne PAS penser. Ce qui devrait constituer des sous-parties faisant partie d'un enseignement plus large où l'on transmettrait des valeurs universelles, deviendrait l'essentiel. On passerait son temps à étudier d'où viendraient les discriminations, plutôt que de comprendre ce qui nous rassemble, et ce vers quoi l'on tend. L'interdit de penser en dehors de soi-même deviendrait la seule norme.

Finalement, ce serait le désir de transmettre qui serait en panne, tout simplement parce qu'il n'y aurait plus rien à transmettre. Sans désir, point de courage. Et l'inverse est vrai aussi. Et sans courage, point d'autorité, ni de liberté. Alors, pour commencer, ayons le courage de remettre la FCPE à sa place d'association de parents d'élèves militante qui vient de franchir la ligne rouge. Question d'autorité, en tant qu'auteurs de notre travail. Et enfin, question de liberté. Nous n'allons pas nous laisser dicter ce que nous devons être, comment nous devons travailler, et ce que nous devons transmettre. Nous seuls pouvons définir qui nous sommes.

A LIRE AUSSI : Pour une FCPE laïque et sociale

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne