"Un vrai accord fondamental sur des règles de fiscalité internationale inchangées depuis 1928"

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"Un vrai accord fondamental sur des règles de fiscalité internationale inchangées depuis 1928"

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Après l’impulsion des grandes puissances au G7, début juin, ce sont cette fois 130 pays, représentant plus de 90 % du PIB mondial, qui se sont mis d’accord sur les bases de cette réforme sans précédent.
Après l’impulsion des grandes puissances au G7, début juin, ce sont cette fois 130 pays, représentant plus de 90 % du PIB mondial, qui se sont mis d’accord sur les bases de cette réforme sans précédent.
© Getty - erhui1979

Entretien. 130 pays ont validé jeudi soir l'instauration d'un impôt mondial sur les sociétés d'au moins 15%. "C'est la fin des paradis fiscaux", selon Pascal Saint-Amans, le directeur du Centre de politique et d'administration fiscale de l'OCDE et artisan du projet d'impôt mondial sur les sociétés.

Après deux jours de négociations sous l'égide de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la plupart des pays négociant une réforme de la fiscalité internationale des entreprises ont annoncé jeudi avoir conclu un accord prévoyant un taux minimal d'imposition des entreprises d'au moins 15%. Retour sur cet accord de principe conclu entre 130 pays, dont tous ceux du G20, et qui ne deviendra une réalité concrète qu'en 2023, au plus tôt. Explications de Pascal Saint-Amans, le directeur du Centre de politique et d'administration fiscale de l'OCDE et l'un des artisans de cette réforme.

Pascal Saint-Amans : "C'est un vrai accord fondamental. La dernière fois que les règles de fiscalité internationale avaient été modifiées c'est en 1928."

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Le Journal de l'éco
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Le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, déclare qu'il s'agit de l'accord fiscal international le plus important conclu depuis un siècle. Vous avez travaillé à Bercy au service de la législation fiscale. Que signifient ces mots en langue de Bercy ?  

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En langue de Bercy, cela veut dire que c'est un vrai accord fondamental. La dernière fois que les règles de fiscalité internationale avaient été modifiées, c'était en 1928. Depuis dix ans, on s'y est attelé. La fin du secret bancaire, la limitation de la planification fiscale des entreprises. On est dans l'aboutissement. Oui, c'est historique. Et oui, c'est bien ce qui arrive une fois par siècle.  

Pourquoi cet accord maintenant ? 

Parce que nous avions une échéance à la mi 2021 pour se mettre d'accord sur une solution qui mette fin aux paradis fiscaux, qui mette en place un impôt minimum mondial et qui réalloue les droits d'imposer de manière à ce que les entreprises, notamment numériques, payent plus d'impôts dans les pays de marché. Et donc, on avait une échéance le 30 juin. On l'a fait le 1er juillet. On peut dire qu'on est en retard, mais d'une journée. 

Dans quelle mesure cet accord est-il historique ? Et avec quel calendrier désormais ? Décryptage de Marie Viennot, journaliste au service économie de la rédaction dans notre journal de 12h30 de ce vendredi.

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Combien cela rapporte ? Et à qui seront redistribués les surplus de profits des multinationales ? 

Notre évaluation est que l'impôt minimum mondial à au moins 15 % - fixé par l'accord - rapportera au moins 150 milliards de dollars par an. Et la réallocation des droits d'imposer, qui est un autre volet, aboutira à ce que 100 milliards de base fiscale, 100 milliards de profits, soient réalloués aux pays de marché. Et 40% de ces 100 milliards viendront des entreprises numériques.  

La Bulle économique
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Peut-on se passer des pays réfractaires comme l'Irlande, la Hongrie, pour passer à l'acte en Europe dans un premier temps ? 

Oui, on peut s'en passer, à la différence d'accords qui ont pu intervenir dans le passé. Nous avons commencé cette régulation fiscale de la mondialisation avec la fin du secret bancaire. Si vous n'avez pas la Suisse dans le lot, vous ne pouvez rien faire parce que la Suisse avait un secret bancaire strict. Il fallait tout le monde. 

Cette fois ci, sans rentrer dans la technique fiscale, le mécanisme est tel que si l'on bénéficie des pays qui veulent taxer les entreprises, on n'a pas besoin des juridictions à plus faible fiscalité. Parce qu'elles subiront le mouvement lancé par les grands pays. C'est pour cela d'ailleurs que les pays qui n'ont pas de fiscalité ont rejoint cet accord. Ils se sont dit que cela ne servait à rien de s'opposer, "On sera de toute façon pris par la patrouille". 

L'Irlande est un cas un peu à part. L'Irlande a dans son ADN que le taux de l'impôt sur les sociétés est de 12,5%. C'est vraiment un marqueur très fort et très politique. Et l'Irlande ne pouvait pas se mettre d'accord au moins 15% avant que les États-Unis ait appliqué cette réforme fiscale. C'est une question de timing. Mais le ministre des Finances irlandais a dit qu'il était positif, qu'il restait dans la négociation et qu'il ne s'y opposait pas.  

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© Visactu
Le Journal de l'éco
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Quelles sont les limites de ce texte Pascal Saint-Amans ?

On peut toujours trouver des limites. C'est que tous les critères n'ont pas encore fait l'objet d'un accord. Par exemple sur le pourcentage de réallocation des droits d'imposer, il existe une fourchette entre 20 et 30%. Donc, il va falloir d'ici le mois d'octobre se mettre d'accord sur un chiffre. On a également des petits réglages à faire sur l'impôt minimum. Mais franchement, il y a encore deux mois, personne n'aurait pensé que c'était possible. 

C'est un vrai changement radical qui a été possible parce que toute la puissance américaine s'est mise en oeuvre et parce qu'on a eu un processus inclusif. 139 pays participaient à la négociation. C'est énorme et cela a permis aux pays en voie de développement de faire entendre leur voix. On a donc un accord qui, je crois, est équilibré. 

On peut toujours dire qu'on pourrait faire mieux, mais là, franchement, il est compliqué de faire mieux. Et puis surtout, on a un changement radical. Un changement de paradigme de la fiscalité internationale qui n'était pas intervenu depuis un siècle. 

Pascal Saint-Amans à France Culture.
Pascal Saint-Amans à France Culture.
© Radio France - Nathalie Lopes

Cet accord va-t-il permettre de réduire la fracture Nord-Sud ? 

Il va amener de l'argent aux pays en voie de développement et il va en amener plus que leur proportion dans le produit intérieur brut. 

Seront-ils pour autant moins exposés qu'aujourd'hui à la prédation de leurs ressources naturelles ? 

Oui. D'un point de vue fiscal, les pays en voie de développement vont être protégés de la prédation des multinationales qui ne laissent aucun impôt. Et donc, oui, ils seront protégés. Maintenant, est-ce que la corruption va disparaître et d'autres sujets vont disparaître ? Bien sûr que non. On parle de fiscalité et seulement de fiscalité. Mais cet accord est beaucoup plus équilibré que les accords du passé pour les pays en voie de développement, parce que les pays en voie de développement étaient autour de la table. 

Le Tour du monde des idées
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Vous avez il y a quelque temps cité le slogan de Joe Biden et de Kamala Harris "réconcilier les classes populaires et la globalisation". N'est-ce pas là une chimère ? 

Non, je ne le crois pas du tout. La raison pour laquelle la globalisation est rejetée et les populismes montent, c'est parce que les classes moyennes ne croient plus dans les bénéfices de la globalisation. Parce qu'ils voient que les multinationales continuent à avoir des taux effectifs d'imposition de 5 ou 6% quand eux, les classes moyennes, payent des impôts à des niveaux élevés. Il faut traiter cette question. Si on ne la traite pas, ce sont des électeurs pour Trump ou pour des mouvements populistes. Et faire changer les choses en réalité, de façon pragmatique, est la réponse. La réponse est une régulation de la mondialisation, en l'occurrence une régulation fiscale de la mondialisation.  

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