Discriminations

Antitsiganisme : des riverains s’en prennent à des familles d’un bidonville, la préfecture le détruit dans la foulée

Discriminations

par Maïa Courtois

Des familles Roms errent en Seine-Saint-Denis depuis une descente de riverains dans leur lieu de vie. Dans la foulée, le 2 juillet, la préfecture a entamé la destruction de leur campement. La situation met en exergue un antitsiganisme latent.

« Ils ont débarqué à sept ou huit, en hurlant. Ils avaient des couteaux, des briques, des tessons de verre, témoigne Claude Rambaud, membre du collectif d’habitants Stop Expulsion de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Moi j’étais au milieu, je bloquais le passage. » Dans la soirée du 19 juin, le bénévole était présent sur un bidonville habité par une trentaine de familles Roms, soit près de 130 personnes, sur sa commune. Un lieu de vie apparu à l’été 2020, en bordure de l’autoroute A86. Ce soir-là, plusieurs riverains ont fait irruption dans le campement. À l’origine : une altercation entre une riveraine et un homme, aux abords du lieu de vie. « Ils réclamaient que leur soit livré l’homme avec lequel elle avait eu cette altercation. Mais les habitants lui expliquaient que celui-ci n’habitait pas sur le bidonville », rapporte Claude Rambaud.

Plusieurs de ces habitants assurent en revanche bien connaître la voisine en question, qui passerait régulièrement devant le lieu de vie en proférant des insultes. Cette nuit-là en tout cas, les propos tenus par le groupe de riverains sont, selon Claude Rambaud, sans équivoque : « On va tous vous brûler », « C’est la guerre ». La compagne du bénévole, présente sur place pour un travail documentaire, a filmé une partie de la scène, dont basta! publie un extrait ci dessous — et fourni ces pièces à la police. Le couple a déposé deux plaintes, le 22 juin, que basta! a pu consulter. « Le groupe a fini par tourner les talons, en pétant des cabanes, des voitures sur leur passage, et en continuant à proférer des menaces », conclut le bénévole.

Suite à cet incident, toutes les familles ont précipitamment quitté ce lieu de vie par crainte de voir revenir les riverains. « Éparpillées dans le département, elles se retrouvent à la rue, en errance, avec des femmes enceintes, des bébés, beaucoup d’enfants en bas âge », déplore Estelle Ribes, chargée d’animation réseau au CNDH Romeurope.

Le 2 juillet, la préfecture a commencé la destruction du campement déserté. Elle n’a prévenu ni les associations, ni les habitants qui avaient quitté leurs baraquements. « Ils n’ont pas pu récupérer le moindre effet personnel, en particulier leurs documents administratifs, très importants » dénonce Claude Rambaud. Sollicitée, la préfecture n’a pas répondu à nos demandes d’interview.

« La préfecture et la mairie valident la loi sauvage de certains riverains »

Depuis l’incident, « les seules relations des familles avec les autorités de l’État ont été les visites de la police nationale, les pressant de partir du parking où elles s’étaient réfugiées et menaçant de confisquer leurs véhicules, seul refuge trouvé pour passer les nuits, relate un communiqué cosigné par le CNDH Romeurope, Médecins du monde, la Ligue des droits de l’Homme ou encore le collectif Stop Expulsion. Nous y voyons une tentative d’intimidation destinée à éloigner les familles de la commune afin d’invisibiliser les faits. »

Aucune solution d’hébergement d’urgence ne leur a été proposée par la mairie ou la préfecture. Seule une famille avec une femme enceinte aurait réussi à trouver une solution via le 115. « Certains dorment dans leur bagnole, d’autres ont passé quelques nuits dans un bidonville à Créteil en sous-louant des baraques… C’est le système D », confirme Claude Rambaud, qui héberge chez lui une mère de famille et ses enfants. Selon Ionut, médiateur pour l’association La voix des Rroms, en contact avec des habitants, « certains sont même partis en Roumanie » – où ces populations Roms sont également discriminées.

Joint par téléphone l’avant-veille de la destruction du campement, Xavier Bongibault, directeur de cabinet du maire (LR) de Rosny-sous-Bois, renvoie la balle à l’État. « La préfecture ne nous répond pas, ni sur les demandes que nous lui avons adressées, ni sur une potentielle rencontre. Nous l’avons sollicitée trois fois de suite, et attendons son retour » , indique-il. À l’heure actuelle, « nous n’avons pas de capacité de relogement, c’est à la préfecture de le faire », martèle-t-il. Quant à ouvrir des lieux de mise à l’abri en attendant, « nous n’avons qu’un logement d’urgence, et il déjà occupé par une famille dont l’appartement a brûlé il y a quelques mois », assure le directeur de cabinet.

Les associations émettaient plusieurs demandes : des solutions d’hébergement en urgence ; une réunion collective ; la possibilité d’accompagner les familles sur le terrain pour récupérer leurs affaires en toute sécurité ; et la condamnation claire des faits de violence. Mais les élus locaux sont restés ambivalents, voire silencieux. Après la fuite des habitants, l’entrée principale du terrain a été condamnée par une installation en béton, à la demande de la préfecture. Puis, l’opération de destruction a commencé, sans laisser personne retourner sur le terrain. Aucune réunion collective n’a été proposée. De son côté, la mairie a posté un communiqué sur Facebook, déplorant : « un différend de voie publique » — sans plus de détails. Surtout, elle affirme rester « très vigilante pour qu’il n’y ait pas de nouvelle installation sauvage sur notre commune ».

« Ce que l’on ne comprend pas, c’est l’inertie de la préfecture et de la mairie, qui valident davantage la loi sauvage de certains riverains, que ce qui devait être fait », résume Estelle Ribes du CNDH Romeurope. Une expulsion officielle était prévue cet été, après la remise d’un diagnostic social, en conformité avec les règles encadrant la résorption des bidonvilles. Ce diagnostic social révélait entre autres que plusieurs enfants étaient scolarisés à Rosny-sous-Bois, et que sept adultes candidataient à un programme d’insertion professionnelle. « Preuve de leur fixation sur le territoire », soupire Estelle Ribes. Le 24 juillet 2020, dans la foulée de l’installation du campement, le maire avait déjà publié un arrêté mettant en demeure les occupants de quitter les lieux. Saisi par un habitant, le tribunal administratif de Montreuil en avait alors ordonné la suspension, le temps de réaliser ce diagnostic préalable, ainsi que des mesures d’accompagnement.

« Les autorités ont laissé pourrir la situation jusqu’à ce que la violence explose »

« Le sentiment d’abandon était général, du côté des habitants des bidonvilles, et du côté des riverains aussi. Personne n’est allé les voir, la colère est montée », analyse Claude Rambaud. Pour lui, « les autorités ont laissé pourrir la situation jusqu’à ce que la violence explose ». Depuis l’été 2020, son collectif a pris l’initiative d’organiser des réunions entre riverains et représentants de familles Roms. « On les contactait sur Facebook, puis on allait voir ceux qui acceptaient de nous rencontrer. On discutait de ce qui posait souci. Des efforts ont été faits… » En revanche, la mairie n’a entrepris aucune médiation, concède volontiers Xavier Bongibault. Et « ce n’est pas prévu à l’heure actuelle ». Le directeur de cabinet le justifie : « À part l’événement de samedi, nous n’avons jamais eu de retours de velléités de la part des riverains. Rien ne laissait présager que cela pouvait se passer... » Il y a deux mois, une pétition signée par des riverains hostiles au bidonville a pourtant bien été reçue. Mais elle ne dénotait « pas de véhémence particulière », assure-t-il.

Le collectif d’habitants sollicite également la municipalité depuis l’été 2020 pour mettre en place des conditions de vie plus dignes sur le bidonville. « Au départ, ils n’avaient pas d’eau potable, pas de toilettes… », se souvient Claude Rambaud. « Nous n’avons jamais eu la moindre réponse, comme si les familles n’existaient pas. Ni nous, citoyens de Rosny... » Ce n’est qu’en février 2021, en saisissant à nouveau le tribunal administratif de Montreuil, que les associations ont obtenu ces services élémentaires auxquels toute personne a droit, même dans le cadre d’une occupation illicite.

« Plein de gens venaient nous crier dessus et nous disaient de partir »

Depuis l’incident, aucune famille n’a déposé plainte. La raison principale reste la peur des représailles. « Dès que j’ai appris à la mère de famille que j’héberge que l’on avait porté plainte, elle était au bord de partir de chez nous. Elle avait peur que quelqu’un débarque dans l’heure » , relate Claude Rambaud. L’un des ses fils, âgé de 15 ans, « est traumatisé, assure le bénévole. Il refuse de mettre le nez dans la rue. Il est persuadé qu’il court un grave danger. ». « S’ils reviennent, on fout le feu », menace une habitante dans un article du Parisien..

L’antitsiganisme, le racisme envers les personnes perçues comme Roms, est au cœur de cette situation. Pour Estelle Ribes, cela se joue aussi au niveau des pouvoirs publics, qui « ne condamnent pas cette situation à la hauteur de tous les autres racismes, et qui ne considèrent pas que ces personnes ont accès comme les autres à l’état de droit ». La responsable associative craint une escalade de violences si la collectivité n’appelle pas au calme. Quant à la protection des familles en errance, « nous sommes incapables de savoir où elles sont, donc il n’y a pas de dispositif de sécurité particulier, admet Xavier Bongibault, tout en soutenant que leur sécurité est assurée au même titre que tous les habitants de Rosny ».

Ionut, le médiateur de la Voix des Rroms, vit depuis quinze ans en France. « Dans les bidonvilles où j’étais avant, plein de gens venaient nous crier dessus et nous disaient de partir », raconte-t-il. Il décrit des actes racistes banalisés, quasi quotidiens. « Pour les Roms, c’est devenu une habitude », glisse-t-il. « Ça ne devrait pas ».

Maïa Courtois

Photos : Un bidonville sur la commune de Saint-Denis (archive) / CC Diego BIS via Flickr