Santé

Mucoviscidose: deux médicaments vont enfin permettre aux malades de respirer

À compter du 6 juillet, des milliers de malades qui souffrent de cette pathologie bénéficieront de deux nouveaux traitements. L'un d'eux, le Kaftrio, pourrait considérablement allonger leur espérance de vie.

La mucoviscidose est causée par le dysfonctionnement d'une protéine du gène CFTR qui empêche le mucus de se fluidifier, laissant les poumons sans protection contre les infections. | Patrick J. Lynch <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bronchial_anatomy.jpg">via Wikimedia</a>
La mucoviscidose est causée par le dysfonctionnement d'une protéine du gène CFTR qui empêche le mucus de se fluidifier, laissant les poumons sans protection contre les infections. | Patrick J. Lynch via Wikimedia

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David ne pourra jamais oublier cet instant. Un retour à la vie. Une libération fulgurante. Ce week-end de février 2021, ce père de famille de 38 ans quitte le centre de réhabilitation de Giens (Var) où, armé de sa bouteille d'oxygène, il a passé la semaine afin de rejoindre sa femme et sa fille à l'occasion des deux jours de repos hebdomadaire. Au volant de sa voiture, il est subitement pris d'une grosse quinte de toux. Le mucus qui englue ses poumons commence comme par magie à se détacher des parois de ses bronches. Ses alvéoles grésillent et s'agitent de partout. Il expulse en quelques heures ce qu'il n'est jamais parvenu à sortir de ses poumons depuis des semaines. Il respire.

Quelques heures plus tôt, David a commencé à prendre du Kaftrio, un nouveau traitement révolutionnaire contre la mucoviscidose. Cette affection est la plus fréquente des maladies génétiques héréditaires en France. «J'ai eu du mal à croire que quelques comprimés pouvaient avoir un tel effet, c'était incroyable, se souvient David. Quand je suis retourné à Giens en début de semaine, le médecin m'a ausculté. Il m'a assuré qu'il entendait l'air circuler dans mes bronches. On ne m'avait jamais dit ça de ma vie.»

«Une sacrée queue de poisson à la mort» remboursée par la Sécu

Dès mardi 6 juillet, le Kaftrio devient accessible en France. Depuis que le ministère de la Santé a annoncé que la Sécurité sociale allait le rembourser à 100%, on sait qu'il devrait changer la vie d'environ 3.000 malades dans un premier temps. À terme, 5.000 patients seront pris en charge (on compte 7.280 personnes concernées par cette affection en France, d'après le Registre français de la mucoviscidose dans son édition de 2019).

David a eu la chance de figurer parmi les 500 malades qui ont eu la primeur du traitement depuis le début de l'année 2021. Il fait partie des malades les plus dégradés, une condition qui donne le droit à un usage «compassionnel» de cette trouvaille, via une autorisation temporaire d'utilisation nominative (ATUn). Le père de famille n'était alors qu'à un doigt d'être inscrit sur une liste d'attente pour recevoir une greffe des poumons. Avec le Kaftrio, il estime avoir fait «une sacrée queue de poisson à la mort».

Quatre mois de traitement ont suffit à David pour qu'il se passe des 3 litres d'oxygène, des aérosols ou des séjours à l'hôpital qui rythmaient son quotidien.

«J'étais hanté par l'idée de ne pas pouvoir continuer à éduquer ma fille, de laisser ma femme seule avec beaucoup de responsabilités. Ces angoisses se font moins présentes. La machine à projets fonctionne à nouveau à plein régime», se réjouit David. Quatre mois de traitement ont suffit à cet ingénieur spécialisé dans le nucléaire pour se passer des 3 litres d'oxygène, des aérosols, des cures intraveineuses ou encore des séjours à l'hôpital qui rythmaient son quotidien. Il a repris du poids. Il a même retrouvé son travail, dès la levée du confinement. S'il lui arrive de rebrancher son extracteur d'O2, c'est juste quand il doit tondre sa pelouse. C'est aussi et surtout avec le souci de rassurer sa fille de 10 ans qui reste inquiète pour son papa.

Les fruits d'une recherche acharnée

Cette renaissance, David la doit à près de trente années de recherches scientifiques menées avec acharnement. Les études ont fait leurs premiers pas au début des années 1980 en obtenant des résultats encourageants concernant le séquençages du génome humain. Elles se sont accélérées en 1989 lorsque deux laboratoires concurrents ont uni leurs efforts –l'un basé au Canada, l'autre aux États-Unis. Mais rien n'aurait été possible sans le soutien financier de l'association américaine de mucoviscidose (Cystic Fribrosis Foundation).

La collaboration a porté ses fruits. Ensemble, ils découvrent il y a trente ans le gène responsable de la mucoviscidose, le CFTR. Ce dernier produit une protéine du même nom qui, lorsque le corps fonctionne sainement, permet de fluidifier le mucus afin de protéger les poumons contre les infections. Chez les «mucos», ce processus déraille. Les bactéries restent prisonnières des bronches et génèrent des exacerbations pulmonaires à répétition. Le mucus obstrue aussi les canaux qui relient le pancréas à l'intestin, entraînant des problèmes digestifs.

Dans les années 1990, la recherche commence par privilégier la piste de la thérapie génique. Cette dernière consiste à introduire une copie saine du gène CFTR dans les cellules. Mais cette hypothèse ne donnera aucun résultat probant. «Plutôt que de modifier l'origine du gène, les chercheurs ont tenté de réparer en aval la protéine CTFR en utilisant de nouvelles molécules», explique le Dr Dominique Hubert, pneumologue au Centre de ressources et de compétences de la mucoviscidose (CRCM), à l'hôpital Cochin.

À la même période, l'association américaine de mucoviscidose joue un rôle décisif en pariant sur la start-up américaine Vertex Pharmaceuticals, créée juste après la découverte du gène. En 1998, l'organisation à but non-lucratif choisit de miser sur l'avenir des remèdes qui sont encore à développer contre la «muco» en finançant les travaux de la firme biotech à hauteur de 150 millions de dollars (126,4 millions d'euros). En échange, l'association compte récupérer des royalties sur la vente des médicaments à venir. Les partenaires inaugurent à cette occasion un nouveau modèle économique au service des maladies rares, la venture technology, c'est-à-dire l'application des méthodes de l'entreprenariat classique à une cause d'intérêt général. En 2001, Vertex rachète la start-up AuroraBiosciences qui jouera le rôle d'atout maître. «L'acquisition d'une biotech spécialisée dans le criblage haut débit a permis d'identifier, d'isoler et de tester des milliers de molécules dans le but d'améliorer la fonction de la protéine CFTR. Cette aquisition a été le jackpot pour Vertex», affirme Frédéric Becq, professeur de physiologie et spécialiste de la mucoviscidose.

«Kaftrio augmente la fonction respiratoire de 14% en moyenne, diminue de 60% les infections respiratoires aiguës et divise par deux les greffes de poumons.»
Pierre Foucaud, président de l'association Vaincre la mucoviscidose

2005 marquera la première avancée majeure dans les travaux qui donneront naissance au médicament: Vertex découvre un activateur (c'est-à-dire une protéine qui sert à se lier à l'ADN et chargée de stimuler la transcription d'un gène ou d'un opéron). La mission du Kalydeco consiste à améliorer la fonctionnalité de la protéine CFTR. Sept ans près cette découverte inédite, le labo obtient une autorisation de mise sur le marché européen (AMM). «La médecine se contentait jusque-là de traitements symptomatiques, à base de cures d'antibiotiques ou d'aérosols. Pour la première fois, le Kalydeco agit directement sur la cause de la maladie», souligne le Dr Hubert.

Il restera cependant à régler un problème de taille: cette version du traitement n'est efficace que pour 3 à 5% des malades. L'obstacle ne suffit pas pour autant à entailler l'acharnement des scientifiques. En 2016, Vertex brevette sa première bithérapie, l'Orkambi. Cette dernière est fondée sur l'association entre l'ivacaftor et un correcteur (qui agit sur le défaut de maturation de la protéine CFTR), le lumacaftor. Celui-ci améliore modérément la fonction respiratoire chez les patients porteurs de la double mutation la plus fréquente, nommée ΔF508. Mais certains patients le supportent mal. Il existe bien une autre bithérapie mieux tolérée par les malades, le Symkevi. Mais, jusqu'à présent, les patients ne pouvaient pas en disposer. Le changement est désormais d'actualité.

À compter du mardi 6 juillet, la dernière génération de médicaments arrive enfin le marché. Olivier Véran en a déjà annoncé le remboursement.

Le Kaftrio est une première trithérapie qui cumule un activateur et deux correcteurs. Cette fois, la combinaison de molécules agit sur près de 80% des personnes souffrantes. «Sous Kaftrio, la fonction respiratoire des malades a augmenté en moyenne de 14%. Les infections respiratoires aiguës ont aussi diminué de 60% et le nombre de greffes des poumons a été divisé par deux en 2020», se félicite Pierre Foucaud, président de l'association Vaincre la mucoviscidose (VLM).

Les générations futures ne mourront peut-être plus de cette maladie génétique. Actuellement, l'espérance de vie des gens qui en sont atteints ne va pas au-delà de 47 ans. «Plus le Kaftrio sera donné tôt, plus on freinera la maladie. Le médicament perd son efficacité dès lors que les lésions pulmonaires sont trop graves. Les enfants qui naissent aujourd'hui n'auront probablement plus besoin de greffe à l'avenir», pronostique le Dr Hubert.

Le prix du succès

Obtenir le remboursement des traitements par la Sécurité sociale n'a cependant pas été simple, en raison d'un bras de fer entre Vertex et le gouvernement à propos du prix de vente fixé par la France pour mettre cette nouvelle thérapie sur le marché. Il a fallu patienter onze mois entre l'autorisation de mise sur le marché européenne (AMM) en août 2020 et la décision de remboursement de ce médicament, approuvée par l'Assemblée nationale le 2 juillet 2021.

Depuis que Vertex est coté en Bourse (2006), on retrouve parmi ses principaux actionnaires de grands fonds d'investissement tels que T. Row Price ou BlackRock, lesquels ont repris en main le marketing de la société et ont fait s'envoler le prix des médicaments. La situation de monopole de la firme américaine lui offre une grande liberté pour fixer le coût de ses produits. Elle a distancé ses concurrents en matière d'innovation et ses comprimés ont obtenu le statut de médicament «orphelin» de part et d'autre de l'Atlantique. Au sein de l'Union européenne, la société a réussi à obtenir l'exclusivité commerciale pour une période de dix ans après la date de mise sur le marché de cette trithérapie –sans oublier des avantages fiscaux. L'entreprise a aussi profité du fait que l'on incite les grands labos à faire de la recherche sur les maladies rares. «Vertex a employé une stratégie agressive en matière d'essais cliniques, visant à capter près de 90% des patients, déjà peu nombreux, pour tester ses médicaments. Quand les malades bénéficient du Kaftrio, ils ne sont plus très volontaires pour expérimenter d'autres préparations pharmaceutiques», note Frédéric Becq.

La négociation du prix de l'Orkambi avec Vertex, qui a pris quatre ans, a laissé des souvenirs cuisants aux patients et aux associations. En 2018, le raidissement du dialogue entre l'entreprise et le gouvernement français a poussé le groupe pharmaceutique à suspendre temporairement les essais cliniques qu'il menait en France sur un médicament innovant sous prétexte que l'exécutif l'avait «pris en otage».

Vertex a fait le bras de fer avec le gouvernement au sujet du prix de vente que la France voulait fixer.

Cette expérience a motivé les associations à mettre rapidement la pression quand il s'est agi du Kaftrio. En octobre 2019, dès l'autorisation de mise sur le marché américain de la trithérapie par la Food and Drug Administration (FDA), elles sont montées au front à l'échelle européenne afin de plaider leur cause. «L'AMM obtenue en août 2020 a été accélérée par la pandémie. Les premiers mois, les patients atteints de mucoviscidose paraissaient particulièrement vulnérables au Covid-19», explique le président de Vaincre la mucoviscidose. L'association a lancé un large appel à témoignages relatifs au ressenti des patients vis-à-vis du Kaftrio. Les malades y ont répondu dès le milieu de l'été. Cette action participe à la genèse de l'ouverture au remboursement émanant de la Haute autorité de santé (HAS).

Les négociations sur les tarifs n'ont cepandant pas dit leur dernier mot. «Le prix du Kaftrio est ultrasecret en France. On connaît celui qui est affiché en Allemagne ou au Royaume-Uni et qui varie entre 200.000 et 250.000 euros par patient pour une année de prescriptions. Mais en réalité, les prix sont moindres. Il n'empêche que la France a la réputation de négocier les tarifs les moins chers d'Europe», explique Pierre Foucaud. Ces coûts font réagir Frédéric Becq. «Ce sont des prix très élevés que l'on ne peut expliquer uniquement par les dépenses de production ou par la recherche et développement. Les tarifs des médicaments “orphelins” sont connus pour être vingt-cinq fois plus chers que les autres car ils ne concernent qu'un nombre réduit de malades.» On connaît en tout cas les revenus amassés par Vertex Pharmaceuticals pour ses ventes de médicaments contre la mucoviscidose. En 2020, l'entreprise affichait 6,2 milliards de dollars de résultat financier (environ 5,2 milliards d'euros).

«Le combat continue»

L'attente est toujours trop longue pour les personnes qui souffrent de cette pathologie. «On vit avec un chrono dans la tête. Notre échelle du temps n'est pas la même que celle les autres, explique Véronique, une patiente de 43 ans ingénieure à l'Inserm. Il faut maintenir la pression et continuer les recherches pour les 15 à 20% de patients qui ne bénéficient d'aucun traitement efficace. De nombreuses pistes sont prometteuses, notamment celles qui sont liées aux avancées récentes sur l'ARN messager.»

Zélie, 10 ans, devra encore se battre le temps de pouvoir accéder au précieux médicament, auquel les moins de 12 ont n'ont pas encore accès. Aux États-Unis, les jeunes utilisent déjà le Kaftrio. Mais l'extension de l'AMM pour les 6-12 ans n'a pas encore atteint l'Europe. Zélie, «en mode survie», a une «muco» sévère contre laquelle elle se bat comme un diable. «Elle a deux heures de soins [quotidiens] quand tout va bien», raconte sa maman, Blandine Gautrin. Le matin, elle doit souvent porter une pompe à perfusion dans son sac à dos sur le chemin de l'école. Après le goûter, son emploi du temps est souvent synonyme de séances de sport, aérosols et kiné respiratoire. Avant la nuit, une infirmière vient lui brancher la sonde qui sert à sa nutrition entérale. Zélie est atteinte d'un trouble digestif importante et ne pèse que 25 kilos.

«Cela fait plusieurs années que nous avons entendu parler du Kaftrio. Nous avons essayé de faire participer notre fille à un essai clinique en 2020, mais sa fonction respiratoire était trop faible», explique Blandine, qui a raconté son expérience dans le livre Un bisou sur ta peau salée. Il a fallu encaisser la nouvelle. «On apprend à ne pas se projeter ni à se réjouir trop vite. Les premières années de la vie de Zélie nous ont tellement bousculés qu'on préfère se protéger. On se réjouira une fois l'ordonnance sous les yeux», explique la mère. Zélie pourrait bénéficier de l'AMM l'année prochaine ou lorsqu'elle aura 12 ans au plus tard.

«Dans quelques années, elle pourra se consacrer à sa vie d'adolescente, faire des études, fonder une famille», se prend à rêver sa mère. L'arrivée du Kaftrio va bouleverser la vie de tout le foyer, lui permettre de se lancer de nouveaux défis et de se mettre à réfléchir à des perspectives d'avenir. «C'est bien compliqué de croire en ce bonheur-là. Ceci dit, nous avons encore un peu de temps pour nous y préparer. En attendant, le combat continue.»

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