En Floride, l'urgence de surélever le littoral avant que l'eau ne monte

De plus en plus de communautés côtières vont devoir s’adapter à la hausse du niveau de la mer, notamment pour empêcher les propriétés de s’effondrer. Le récent effondrement d’un immeuble à Miami en est un parfait exemple.

De Laura Parker
Publication 6 juil. 2021, 16:43 CEST
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L’effondrement partiel d’un immeuble à Miami est un parfait exemple de l’urgence de s’adapter à la hausse des niveaux de la mer pour les communautés côtières.

PHOTOGRAPHIE DE Jeffrey Greenberg, Education Images, Universal Images Group, Getty

L’effondrement d’un immeuble à Surfside en Floride pourrait initier une conversation attendue depuis longtemps. Les dures réalités du changement climatique, qui transformera inévitablement les régions les plus vulnérables de la planète, doivent être examinées.

Certes, aucune preuve n’a encore lié le changement climatique à l’effondrement des Champlain Towers, survenu dans la nuit du 24 juin. Plusieurs résidents ont été ensevelis sous les décombres. Depuis 1981, année de construction de l’immeuble, le niveau de la mer a augmenté de plus de 20 centimètres en Floride du Sud. Pour Hal Wanless, géologue à l’université de Miami et expert de la montée du niveau de la mer en Floride du Sud, ce n’est pas une augmentation assez importante pour provoquer la chute de ce bâtiment.

Pour le moment, l’enquête est davantage centrée sur une série d’évènements, notamment des retards de certaines réparations préconisées par la copropriété, mais aussi sur un danger environnemental connu depuis plus d’un siècle : les effets corrosifs de l’eau salée sur les constructions côtières.

Des photographies des barres d’armatures rouillées ainsi que du béton en décomposition dans le sous-sol du bâtiment ont récemment été dévoilées. Un rapport d’inspection technique du bâtiment publié en 2018 sur le site Internet de la ville de Surfside alertait sur les « nombreuses fissures et épaufrures à divers niveaux » sur les colonnes en béton. Les épaufrures sont des défauts spécifiques d’une surface dus à un choc ou à une dégradation.

Si les règlementations pour la construction et les inspections n’ont pas suffi à prévenir cette défaillance, comment les résidents des communautés côtières vont-ils être protégés dans les décennies à venir ? En Floride, une augmentation des niveaux de la mer de 60 centimètres est attendue et risque de grignoter considérablement les plages où sont actuellement érigées de nombreuses tours. En outre, ces quelques dizaines de centimètres en plus entraîneront une augmentation de l’ampleur des tempêtes et déverseront de l’eau salée au sein des terres, aggravant ses effets corrosifs.

Avec l’accélération de la fonte des calottes glaciaires en Antarctique et au Groenland prévue pour les dix prochaines années, M. Wanless projette que l’augmentation de 60 centimètres pourrait arriver plus tôt que les estimations actuelles. L’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique table sur une élévation moyenne de plus d’un mètre d’ici 2070.

« Il se pourrait bien que nous soyons à 60 ou 90 centimètres d’ici le milieu du siècle. Une fois que de telles valeurs sont atteintes », la durée de vie restante des bâtiments pourrait ne pas dépasser les 30 ans. « La viabilité de toutes les îles barrières du monde sera alors remise en question. »

 

UNE DÉCENNIE PERDUE

Les responsables des quatre comtés les plus au sud de la Floride se sont rassemblés il y a dix ans pour s’attaquer aux questions climatiques ignorées par les législateurs républicains. En 2019, lesdits législateurs ont reconnu avoir « perdu une décennie » en négligeant le changement climatique.

En Floride du Sud, les maires et les autres responsables ont entrepris des actions pour limiter les inondations, lesquelles surviennent régulièrement dans les régions en basse altitude lors des marées hautes. Ils ont également mis au point des plans pour les conséquences à venir. Par exemple, ils éliminent progressivement plus de 100 000 fosses septiques qui ne pourront plus être utilisées une fois que les eaux seront montées.

Toutefois, les conversations autour de l’ampleur des changements à venir et des maigres options d’adaptation, dont la plupart coûtent des milliards d’euros, sont délicates. Le projet envisagé récemment est de construire une digue de plus de 9 kilomètres de long suivant la baie de Biscayne jusque dans le centre de Miami. Par endroit, elle attendrait les 6 mètres et son installation coûterait plus de 5 milliards d’euros selon les plans du corps des ingénieurs de l’armée des États‑Unis. La grandeur de ce mur ainsi que son coût a horrifié de nombreux habitants de la ville.

Phil Stoddard, professeur de biologie à l’université internationale de Floride à Miami, également maire de la ville de South Miami pendant 10 ans, assure que certains ne comprennent pas comment la terre ferme de la ville peut se voir inondée. Cette incompréhension est d’autant plus renforcée que la région est sans cesse égayée par un grand ciel bleu et une économie florissante, du moins avant la pandémie de COVID-19.

« Depuis la première trace des Hommes, la terre n’a jamais disparu et certaines personnes que je connais pensent que la terre sera encore là pour les générations futures. C’est difficile pour elles d’accepter qu’elle disparaisse. Elles peuvent vous écouter le dire mais n’ont pas le mental pour se faire à l’idée que ces choses vont arriver. »

Pendant ce temps, le boom de la construction qui a transformé le centre-ville de Miami et favorisé l’apparition de rangées de tours le long de Miami Beach se poursuit à un rythme effréné.

 

L’ENQUÊTE DÉMARRE

Depuis l’effondrement de l’immeuble, 18 corps ont été retrouvés dans les décombres et les secours poursuivent les recherches de 145 personnes encore portées disparues. Les opérations ont dû être suspendues la journée du 1er juillet après des suspicions quant à la stabilité du reste de l’immeuble, indiquant qu’il pourrait également s’effondrer. Les recherches ont repris alors que la tempête tropicale Elsa s’approchait de la Floride du Sud et s’apprêtait à devenir un ouragan.

De nombreuses enquêtes ont été ouvertes à la suite de l’effondrement, notamment de la part de la Federal Emergency Management Agency et du National Institute of Standards and Technology. Les deux organismes ont participé aux enquêtes autour des attentats du World Trade Center lors de l’attaque terroriste du 11 septembre. Katherine Fernandez, procureur du comté de Miami-Dade, a annoncé réunir un grand jury afin d’étudier la catastrophe. Une procédure similaire avait été déployée après le passage de l’ouragan Andrew en 1992. Elle a conduit à d’importantes réformes en matière de construction afin de résister aux bourrasques.

Les autorités ont également ordonné l’inspection immédiate des bâtiments plus anciens situés à Miami Beach et dans la ville.

John Pistorino, ingénieur constructeur, a enquêté sur l’effondrement du bâtiment de la Drug Enforcement Agency situé dans le centre-ville de Miami en 1974. Il a été sollicité pour mener une investigation sur le nouvel effondrement. À la suite de son analyse, il a été rendu obligatoire d’inspecter et de recertifier les bâtiments des comtés de Miami-Dade et de Broward une fois leurs 40 ans atteints. Ainsi, les autorités espéraient éviter d’autres effondrements. Les Champlain Towers avaient 40 ans et entamaient leur nouvelle certification. Mais les travaux de maintenance et de réparation recommandés dans un rapport d’ingénierie en 2018 n’avaient toujours pas commencé.

M. Pistorino explique que les normes de constructions d’aujourd’hui ne concernent que la corrosion à l’eau salée et le type de béton utilisé dans les pilotis de support des bâtiments.

« Ces immeubles ont été construits et conçus au sein de l’environnement hostile que nous connaissons aujourd’hui. Mais ils nécessitent tout de même des travaux de maintenance et d’entretien, dès le jour de leur construction, qu’ils soient situés dans une zone côtière ou non. »

D’autres ingénieurs et promoteurs immobiliers sont de l’avis de M. Pistorino, soutenant que les nouveaux bâtiments sont construits pour résister à l’élévation du niveau de la mer. Raul Schwerdt, directeur de la société RAS Engineering à Miami, a assuré au Miami Herlad que les immeubles de la Floride devraient être capables de résister à la hausse du niveau de la mer s’ils sont construits correctement. « Si les fondations possèdent des pilotis profonds qui s’enfoncent à 9 mètres sous terre, ils devraient soutenir le bâtiment pour toujours, peu importe ce qu’il arrive, qu’un ouragan passe ou que l’immeuble soit inondé. »

Selon M. Pistorino, l’effondrement de la tour entraînera probablement un renforcement des inspections des bâtiments et un engagement plus marqué de la part des associations de propriétaires et des copropriétés pour s’assurer que l’entretien et les réparations sont bien effectués.

La leçon la plus importante à tirer de cette catastrophe est qu’il « ne faut pas attendre 40 ans avant de commencer la détection des problèmes dans son bâtiment », conseille-t-il.

La catastrophe des Champlain Towers est un phénomène rare. Les bâtiments ne s’effondrent pas uniquement aux États-Unis. De nombreux habitants de Miami ont observé que cet évènement a « touché une corde sensible » dans le monde entier. Il a attiré l’attention des médias ainsi que les spéculations autour de toute une série de facteurs, de la sécurité des gratte-ciels à la viabilité de la surveillance des associations de propriétaires.

M. Stoddard n’est pas certain que les effets de la catastrophe sur l’opinion publique dureront longtemps, que ce soit à Miami ou ailleurs.

« A-t-elle touché une corde ou simplement un point sensible ? Toucher une corde engendre une résonance, au-delà de la corde elle-même. Toucher un simple point affecte pendant un certain temps mais se guérit rapidement. Dans le cas présent, il s’agit sûrement d’un point sensible. Mais [la catastrophe] a-t-elle également touché la corde ? Les gens vont-ils désormais réfléchir à des questions plus importantes ? »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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