Au Rwanda, la génération du génocide est en mauvaise santé

Cet article a été publié une première fois en allemand par notre partenaire éditorial Higgs.ch.

Memorial: les vêtements et possession des victimes de génocide, dans l'Eglise de Nyamata, au Rwanda. Photo: Wikimedia commons/Adam Jones
Memorial: les vêtements et possession des victimes de génocide, dans l'Eglise de Nyamata, au Rwanda. Photo: Wikimedia commons/Adam Jones

Le génocide de 1994 au Rwanda a non seulement fait plus d'un million de morts, mais aussi d'innombrables femmes violées. Leurs descendants souffrent jusqu’à aujourd’hui de conséquences parfois graves pour leur santé, notamment mentale. Au Rwanda, environ 10’000 enfants sont nés à la suite de viols pendant le génocide.

Cent jours d’horreur. Au début de l’été 1994, un million de personnes a perdu la vie au Rwanda dans une explosion de violence inimaginable. Le génocide des Tutsis a duré seulement 100 jours, mais ses conséquences se font sentir encore aujourd’hui. Le viol y a été utilisé comme une arme de guerre. Les enfants qui en sont nés ne sont pas les seuls concernés: les descendants de parents témoins du génocide font également face à des risques accrus de développer certaines pathologies.

Ce qu’il s’est passé. Le génocide a éclaté sous l’impulsion d’un conflit qui couvait depuis des dizaines d’années entre une majorité Hutu et une minorité Tutsi, deux catégories ethniques inventées par les colonialistes. Pendant le génocide, le viol a été utilisé systématiquement comme arme de guerre. On estime qu’environ 10’000 enfants sont issus de ces viols. Dans la plupart des cas, ces enfants ont débuté leur vie avec un stigmate social.

Des chercheurs américains et rwandais, dirigés par l’anthropologue Glorieuse Uwizeye, survivante du génocide, ont mené une étude pour savoir si ces enfants avaient un risque accru de développer des problèmes de santé mentale et physique. Les résultats ont été publiés dans la revue Social Science and Medicine.

Le constat. Les chercheurs ont collecté les données de 91 Rwandaises et Rwandais, qui ont été conçus pendant le génocide.

  • Les mères de près d’un tiers d’entre eux avaient été victimes de viols

  • Deux tiers avaient vécu le génocide.

  • Le dernier tiers était issu de parents qui n’avaient pas souffert du génocide, par exemple parce qu’ils avaient fui à l’étranger.

La santé physique et mentale se démarquait fortement d’une personne à l’autre: les personnes dont les parents avaient vécu le génocide souffraient beaucoup plus souvent de problèmes de santé mentale, comme le stress post-traumatique, la dépression et les crises d’angoisse. La situation était encore pire chez les personnes qui étaient nées après un viol de leur mère.

Enfance difficile. Le même schéma a été observé pour la santé physique, pour des facteurs tels que la résistance physique, l’intensité et la fréquence de la douleur, ainsi que la qualité du sommeil. Là encore, les participants à l’étude dont les parents n’avaient pas subi le génocide avaient moins de risque d’avoir vécu, durant leur enfance, des expériences susceptibles de favoriser des problèmes psychologiques ou mentaux, par exemple, des abus physiques ou psychologiques, de la violence, ou encore de la négligence. D’après Glorieuse Uwizeye, directrice de l’étude:

«Jusqu’à présent, les enfants de femmes violées ont été largement oubliés par les chercheurs et les autorités.»

Elle souhaite maintenant transmettre le résultat de ses recherches à toutes les communautés affectées, pour provoquer une prise de conscience.

L’étude à la loupe

L’étude. Double Jeopardy: Young adult mental and physical health outcomes following conception via genocidal rape during the 1994 genocide against the Tutsi in Rwanda.

Le commentaire. L'étude est basée sur un échantillon relativement petit et sur des informations subjectives fournies par les participants. Les participants ont été recrutés par le biais d'organisations traitant du génocide. En outre, les causes des problèmes mentaux et physiques sont très complexes. L'étude ne peut prouver qu'une corrélation et non une relation de cause à effet. Les résultats ne sont donc qu'indicatifs.

La fiabilité. Etude évaluée par les pairs, enquête provenant de 91 personnes nées entre le 13 décembre 1994 et le 30 mars 1995. Un tiers d'entre eux ont été conçus lors d'un viol, un tiers sont issus de survivants du génocide et un tiers de parents qui n'ont pas vécu le génocide (groupe témoin).

Le type d'étude. Etude observationnelle.

Le financement. University of Illinois at Chicago Graduate College, University of Illinois at Chicago College of Nursing, Dartmouth College Society of Fellows, Margaret McNamara Education Grants.