À l'origine de l'arobase, un signe médiéval ?

Un symbole arobase dans un texte de 1371 ?
Un symbole arobase dans un texte de 1371 ?
A l'origine de l'arobase, un signe médiéval ?
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À l'origine de l'arobase, un signe médiéval ?

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Il est présent sur tous les claviers d'ordinateurs et dans chacun des mails envoyés sur Terre. Voici l'histoire de l'arobase dont la graphie ressemble étrangement à un signe utilisé au Moyen Âge.

On en trouve les premières traces au Moyen Âge, il a des origines arabes et s’est construit à travers l’histoire commerciale de l’Europe. Mais il doit sa renommée internationale à un pur hasard... Voici l’histoire multiple de l’arobase, ce petit symbole qui a conquis le monde.

En 1971, Ray Tomlinson un ingénieur américain, travaille sur l’ancêtre d’internet et envoie le premier courrier électronique. Pour séparer le nom de l’adresse il cherche un symbole qui n'existe dans aucun nom, un symbole peu utilisé, un symbole identifiable facilement. Il choisit @, at en anglais, qui peut être traduit par chez. Mais pourquoi ce symbole existait-il sur un clavier alors que presque personne ne l'utilisait ?  

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Un symbole lié au commerce

D'après le paléographe Marc Smith de l'École des chartes, c’est dans les écritures commerciales italiennes et espagnoles de la fin du XVe - début du XVIe que se trouve une partie de la réponse :

On trouve un signe qui est déjà notre arobase ou des formes approchantes. Ça sert en particulier pour des dates, en italien "a di…" donc le jour puis la date. On trouve ça dans des correspondances commerciales, des comptabilités, etc. Et puis toujours dans le domaine comptable on trouve “ad” utilisé également pour indiquer des taux d’intérêts : un prêt à … tel taux. Dans ces contextes-là, c’est tout à fait fréquent. Marc Smith, paléographe

Les écritures commerciales sont destinées à voyager et la forme de l’arobase se stabilise non pas en Italie mais au début du XVIIIe siècle en Angleterre.

Et là donc on arrive au premier tiers du XVIIIe siècle à cette forme dans l’écriture anglaise d’où dérive directement l’arobase dans sa fonction actuelle.

Document comptable de 1630
Document comptable de 1630
- Madrid, Archivo Nacional

Quant à l’usage sur un clavier, il a été démocratisé par les premières machines à écrire individuelles anglo-saxonnes.

Sur des machines d’ailleurs spécialement conçues pour un usage commercial. C’était sur des machines spécifiques au début des années 1880 qu’on trouve ça, et puis après ça se généralise puisque les machines à écrire sont largement utilisées dans le commerce. Et donc de là ça passe sur les claviers d’ordinateurs.         Marc Smith, paléographe

Un nom arabo-espagnol

Mais le nom, lui, nous vient de l’espagnol. Arroba est une ancienne unité de mesure de contenance et de poids directement dérivée de l’arabe al- rub : le quart. Et symbolisée par un "a" dans un rond.

Une mesure abandonnée avec le monopole du système métrique mais qui a laissé des traces typographiques dès 1750.  

Le cas le plus ancien où je l’ai trouvé c’est un traité de grammaire, publié par l’Académie royale espagnole dans lequel il y a une liste des abréviations habituelles de la langue espagnole, et où l’arrobe est représenté, de manière intéressante, non pas par un caractère typographique adapté puisqu’il n’existe pas mais visiblement par un signe qu’on a gravé peut-être sur bois, pour cette unique usage isolé. Marc Smith, paléographe  

Il est possible que les typographes français, très réputés fabriquaient le signe de l’@ pour l’exporter en Espagne ou tout simplement pour les manuels de traduction franco-espagnols. Bien que peu utilisé, l’arobase était connu en France par les typographes dès le XVIIIème siècle.

Gravure représentant des typographes français
Gravure représentant des typographes français
© Getty

L’association du nom arrobas avec ce signe était partagée uniquement par les Espagnols, les Français et les Portuguais. 

L'arrobas espagnol n’est pourtant pas la plus ancienne trace de ce logo, on retrouve le même signe dans des textes du Moyen Âge. Il s’agit en fait d’un phénomène lié à la mécanique de l’écriture à la plume.  

La mécanique de la plume

Alors qu’on représentait parfois les lettres nasales surmontées d’un trait, en écrivant rapidement, en cursive, ce trait a fini par se rattacher à la lettre "a" dans un geste naturel de la main pour écrire d’un seul trait de plume. 

C’est un geste qui a fini par encercler complètement le "a". Je suis remonté sur les traces de ce phénomène purement graphique, on pourrait presque dire mécanique, et j’arrive à remonter jusqu’à la fin du XIVe siècle. Marc Smith, paléographe  

Acte du prévôt d'Ornans, 1391. On retrouve un symbole ressemblant à l'arobase dans la deuxième ligne.
Acte du prévôt d'Ornans, 1391. On retrouve un symbole ressemblant à l'arobase dans la deuxième ligne.

On retrouve cette forme en particulier dans des textes français comme sur cet acte du prévôt d’Ornans datant de 1391, une des toutes premières fois où le symbole @ est apparu.  

Mais ce signe a une vie parallèle et n'a pas de rapport direct avec l'@ actuel, contrairement à ce que l'on pourrait croire.

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