Estimer, avec cynisme, que rien n’est plus possible dans cet Etat caribéen quasi failli est, avouons-le, un sentiment largement partagé. Il nous faut pourtant le combattre avec force. De toutes nos forces, et de toutes les forces de la communauté internationale. A Genève, d’où partent souvent les consignes pour les agences humanitaires des Nations unies et les subsides des organisations non gouvernementales qui les accompagnent, une telle appréciation est juste inacceptable. La déliquescence d’Haïti, ce pays qui le premier se rebella contre l’esclavage, est un spectacle qui dit l’horreur de notre monde si inégalitaire, rendu plus égoïste encore par la pandémie. Et ce, quelles que soient les responsabilités – et elles sont lourdes – des acteurs nationaux qui se succèdent en promettant à chaque fois aux 11 millions d’Haïtiens un avenir meilleur qui ne se matérialise jamais.
Un éditorial peut être un cri. Celui-ci en est un. Haïti vient de donner, avec ce meurtre présidentiel, le spectacle d’un engrenage que plus personne ne semble maîtriser, aux portes de la première puissance mondiale que sont les Etats-Unis, où Joe Biden relance, depuis la Maison-Blanche, l’idée d’une grande coalition mondiale des démocraties. Haïti est le miroir de nos impasses humanitaires et de notre compassion coupable, parce qu’incapable d’accoucher d’une gouvernance digne de ce nom malgré les milliards de dollars déversés. Dévoré par ses élites, rongé par les maux de sa société malade à force d’épreuves et d’injustices, Haïti est notre échec. Le martyr de notre indifférence.