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Francis Cabrel : "Si tout était à refaire, j’y réfléchirais à deux fois"

Cette semaine, Francis Cabrel retrouve enfin la grande scène des Francofolies de La Rochelle, manifestation délaissée depuis dix-sept ans.
Cette semaine, Francis Cabrel retrouve enfin la grande scène des Francofolies de La Rochelle, manifestation délaissée depuis dix-sept ans. © Hélène Pambrun / Paris Match
Benjamin Locoge , Mis à jour le

Sur les routes cet été, il défend enfin son splendide « À l’aube revenant ». Et sort de sa légendaire réserve pour tenter de se raconter différemment.

Paris Match. Vous avez démarré votre tournée le 9 juin. Est-ce qu’elle ressemble à celles du monde d’avant ?
Francis Cabrel.  Rien n’a changé. C’est presque comme s’il ne s’était rien passé, malgré cette longue parenthèse où tout le monde s’est morfondu. Mais, pour nous, sur scène, les réflexes sont revenus immédiatement, on joue comme avant. Le truc saugrenu, c’est que le public est masqué. Et je ne peux pas l’oublier, car les dix premiers rangs sont dans la lumière. Ça me fait de la peine pour les gens qui écoutent. 

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Votre tour de chant est conçu comme une démonstration musicale. Est-ce à force de jouer ensemble que l’on atteint ce niveau de complicité entre musiciens ?
Oui, je crois. Le batteur Denis Benarrosh est à mes côtés depuis trente ans bien sonnés, Alexandre Léauthaud, l’accordéoniste, est là depuis quinze ans, Freddy Koella, le guitariste, depuis dix et Nicolas Fiszman, le bassiste, depuis huit ans. Donc, oui, cela commence à sonner comme un groupe. On a beaucoup joué ensemble ces dernières années, en France, mais aussi en Amérique, au Canada. Et récemment nous avons été rejoints par trois choristes. C’est un truc que j’ai piqué à Leonard Cohen, quand je l’ai vu à Toulouse. J’avais été bluffé par les voix féminines. Entre nous tous désormais, il suffit d’un coup d’œil pour qu’on rallonge un titre ou au contraire qu’on l’arrête net. Ce sont des musiciens qui sont complètement investis dans les chansons. Il y a même des moments où j’aimerais être assis dans la salle pour voir l’impression que cela donne “d’en bas”. 

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Le public réagit plus que bien aux chansons récentes. Notamment sur “Te ressembler”, titre sur votre père, où vous baissez la garde.
Effectivement, c’est une chanson où je me livre, donc elle véhicule pas mal d’émotions, chacun revivant sa propre histoire. 

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Était-ce un devoir d’écrire sur votre père ?
C’est quelque chose que je m’étais fixé il y a très longtemps, presque comme un fil rouge de toutes mes “écritures”. Mais à chaque album je repoussais l’affaire. Au final, j’avais parlé de beaucoup de monde dans mes chansons, sauf de lui. Or il est quand même le personnage majeur de mon histoire. Parti trop tôt pour qu’on puisse discuter, lui et moi, de tout ce dont nous aurions dû. 

Mais vous, le pudique, vous le chantez devant les foules.
Oui et ce n’est pas rien. Chaque soir, je vis vraiment la chanson, je ne la récite pas. Chaque couplet, je le sens passer, comme on dit, au prix d’un peu d’impudeur et d’indiscrétion. Ce qui m’a toujours fait reculer. Mais je ne pouvais pas finir ma carrière sans avoir parlé de mon père. 

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À chaque fois que j’ai eu un enfant, cela s’est ressenti dans mes disques. Je me suis découvert plus père de famille que chanteur

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En quoi l’impudeur vous a-t-elle toujours fait reculer ?
Me dévoiler, raconter mon enfance, comment nous vivions, j’ai toujours trouvé cela misérabiliste. Et, même si je n’aime pas les histoires de conte de fées, il est vrai que nous sommes partis de rien, voire de triple zéro… Mon père s’est sacrifié pour nous en travaillant tous les jours de sa vie. Il y avait trois enfants à faire vivre avec un salaire minimum, mais vraiment minimum. Les loisirs n’existaient pas, on voyait des gens le week-end qui se prélassaient, qui en profitaient. Nous, non, il fallait toujours faire un truc utile pour le foyer. 

Ressentez-vous encore de l’injustice ?
De l’injustice, non, mais de l’étonnement, oui. D’un côté, il y en a trop pour les uns et, de l’autre, pas assez pour les autres. Mon père a lancé ses enfants dans le grand bain, ils s’en sont tous sortis de différentes manières, mais lui a vraiment trimé. Moi, je m’en suis sorti par la guitare, qui m’est tombée dessus avec Michel Polnareff et Bob Dylan. Je trouvais ça marrant d’en avoir une dans les mains, mais je ne savais pas m’en servir. Je prenais juste la pose, c’était une attitude de rébellion par rapport à ce que l’on avait vécu. Au fond, mon père n’a pas été bien récompensé pour sa force de travail. Si je peux faire un parallèle entre ma vie et la sienne, je crois que quand je m’y mets je suis aussi bosseur que lui, j’ai la même concentration, la même ténacité. 

Avez-vous eu parfois le sentiment de devoir sacrifier votre vie personnelle au profit de votre carrière?
Non. Au contraire, j’ai pris mon temps dès que j’ai pu… Mon premier contrat stipulait que je devais livrer cinq albums en cinq ans. Je n’en ai fait que quatre. Mais, comme j’ai eu du succès, j’ai demandé ensuite à Sony de ne plus indiquer le nombre d’albums attendus. Ça a été mon luxe. 

"Le succès m’a toujours pesé, encombré, voire un peu plus."
"Le succès m’a toujours pesé, encombré, voire un peu plus." © Hélène Pambrun / Paris Match

Dans “Les bougies fondues”, vous dites : “Si un jour je croisais le chanteur de bal que j’étais, on se regarderait comme deux inconnus. C’est celui que j’étais qui me manque le plus.” Êtes-vous nostalgique de la vie d’avant le succès?
Oui, de celui que j’étais, tranquille, avant que la notoriété ne me tombe dessus. Le succès m’a toujours pesé, encombré, voire un peu plus. Et si tout était à refaire, j’y réfléchirais à deux fois. Je ne suis pas les Beatles à moi tout seul, mais la vraie discrétion – celle qui me plaît le plus, vers laquelle va mon tempérament – est vraiment contrariée par tous ces regards qui se posent sur moi par moments. C’est le revers de la médaille, même si j’ai appris à vivre avec. Donc j’évite certaines rues, je ne pars pas en vacances dans certains endroits, afin d’avoir une vie de famille complètement anonyme. La perte de l’anonymat est quand même une grande ombre au tableau. 

Pourtant, vous êtes cité comme l’exemple même du chanteur discret.
Oui, mais pas encore assez. J’admets qu’il faut faire de temps en temps l’effort de s’approcher des gens. Mais, après chaque passage télé, je sens revenir la vague.

Pendant le concert, vous enchaînez “Des hommes pareils”, “Ma place dans le trafic” et “Rockstars du Moyen Âge”. C’est la mathématique cabrélienne, dire ces choses brutales l’air de rien? C’est l’air de rien qui me plaît le plus dans cette phrase. Parce que c’est le cœur de mon métier. Sinon on devient un homme politique et l’on dit des choses brutales derrière un pupitre, en s’affrontant les uns aux autres, en acceptant de débattre voire de combattre. Moi, mon propos est musical avant tout et surtout. S’il ne s’agissait que de parler d’amour, ce serait insuffisant, voire pas intéressant. Donc dire que je vis dans ce monde-là, que je le regarde, que je l’observe, c’est bien la moindre des choses. 

Une chanson peut-elle changer le monde? Aider à prendre conscience?
Malheureusement non. J’aurais bien aimé que les corridas s’arrêtent du jour au lendemain. Mais ça n’a rien changé… 

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Le succès m’a toujours pesé. La perte de l’anonymat est quand même une grande ombre au tableau

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Si on se replonge dans votre discographie, vous avez toujours tenu à dénoncer, à écrire des chansons sociales. Et pourtant vous avez longtemps été vu comme celui qui ne chantait que des chansons d’amour.
Oui, mais je suis content que cela se soit passé ainsi. Et je crois avoir l’image que je mérite, puisque j’ai souvent fait passer les chansons d’amour en première ligne. Après, j’ai toujours voulu faire de la chronique comme Bob Dylan, mon principal initiateur, qui pouvait chanter des trucs comme “ma fiancée vient de partir” et tout à coup balançait une chanson sociale. Non seulement cela lui donnait de l’épaisseur, mais c’était aussi une manière d’en savoir plus sur lui. Et puis il y a malgré tout quelque chose d’utile: même si les chansons ne changent pas le monde, au moins elles soulagent celui qui les écrit. 

Donc tout ce qu’on veut savoir sur vous est dans vos chansons?
Normalement, oui. Il n’y a besoin d’écrire ni un livre ni un article sur moi. [Il rit.] Ce qui compte, c’est de dire que j’ai les deux pieds dans la même société que vous. Alors, oui, je chante des jolies petites chansons d’amour qui sont comme une entrée, si l’on prend le temps de venir m’écouter en concert, pour découvrir d’autres choses. 

Finalement, vous n’êtes pas si éloigné d’un Renaud. Vous démarrez quasiment en même temps, lui devient le chanteur énervé, engagé, et vous le chanteur de chansons d’amour… Ça vous arrangeait qu’on ne voie pas votre engagement?
Renaud y va, lève le poing. Moi, c’est plutôt feutré. [Il rit.] J’ai fait certaines chansons sociales, en débordant un peu. Mais moi je ne voulais surtout pas faire du ramdam. J’ai toujours eu le souci de dire ce que j’avais sur le cœur, mais en ayant l’air de ne pas y toucher. Sans être franc du collier, en quelque sorte. [Il rit.] Je ne m’avance pas dans la lumière en hurlant. Je sous-entends toujours. Et ma manière de chanter comme mon enveloppe musicale m’interdisent toute forme de brutalité dans le discours. Pour le dire autrement, le poing levé, je laisse ça à ceux qui le font très bien. Bob Dylan, on y revient, a parlé de nombreux faits sociaux. Mais c’est Joan Baez qui était militante. 

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Le poing levé, je laisse ça à ceux qui le font très bien

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Les femmes vont changer votre vie. L’arrivée de vos filles vous inspire vos plus beaux disques: “Sarbacane”, en 1989, puis “Samedi soir sur la Terre”, en 1994, et “Des roses et des orties”, en 2008.
Oui, à chaque fois que j’ai eu un enfant, cela s’est ressenti dans mes disques. Ça me gonfle le cœur d’amour et de tout un tas de sentiments à partager qui font probablement que j’écris mieux. La vraie césure vient avec “Sarbacane”. C’est la première fois que je décide de prendre du temps pour faire un disque, puisque j’ai laissé passer quatre ans entre celui-ci et le précédent, “Photos de voyages”, qui n’était qu’à moitié réussi. J’approche de la quarantaine, je viens d’avoir ma première fille et je comprends aussi qu’il n’y a plus que cela qui compte. Là, ma vraie vie s’installe. Je me suis découvert plus père de famille que chanteur. C’est clair.

Avez-vous songé parfois à tout arrêter?
Non. J’ai toujours pensé qu’à la vitesse où je vais je pouvais mener les deux de front. Sans rien négliger. 

Il vous arrive en ce moment de chanter “Mademoiselle l’aventure”, cette chanson adressée à la mère biologique de votre troisième fille. Pourquoi, à l’époque, avez-vous ressenti le besoin de l’écrire?
Je ne la chante pas souvent. C’est vrai que, quand ma fille est dans la salle, ça me gêne un peu. Elle est dure à interpréter, parce que les gens qui adoptent traversent tous ces moments-là. Mais je tenais à les décrire. Le texte original est encore plus poignant, j’en ai fait une version finale un peu édulcorée pour arriver à le chanter en public.

Vous n’êtes pourtant pas du genre à verser des larmes sur scène…
Non, effectivement. [Il sourit.] L’adoption est un merveilleux geste d’amour mais aussi un cas de conscience, puisque l’on sort quelqu’un de son milieu.

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©

«À l’aube revenant» (Columbia - Sony Music).

En tournée actuellement, le 12 juillet aux Francofolies (La Rochelle), les 17 et 18 juillet à Nîmes (arènes) et les 22 et 23 

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