Jusqu’au 16 mars 2020, Christian Boltanski a les honneurs du Centre Pompidou. A 75 ans, cet artiste majeur y a conçu une exposition intitulée « Faire son temps », qui permet de déambuler au cœur de son œuvre.
Je ne serais pas arrivé là si…
… « Arrivé » : je ne sais pas où on arrive… Mais si je suis là où j’en suis, c’est sans doute que j’étais incapable, quasiment malade, mentalement. J’ai quitté l’école vers 12-13 ans et, avant, je n’y allais pratiquement jamais, je m’enfuyais à chaque fois. Quand on m’y mettait, on me retrouvait quelques heures plus tard en train de hurler dans la rue. Mes pauvres parents ont essayé beaucoup d’écoles publiques et privées, ça n’a jamais marché. Alors ils ont accepté que je reste à la maison. Et un jour, dans cette maison, j’ai fait un petit dessin. Mon frère Luc m’a dit que c’était bien. C’était la première fois de ma vie que m’on disait que j’avais fait quelque chose de bien. Je me suis dit que c’était ma destinée. J’ai demandé à mes parents d’acheter des plaques de contreplaqué et de la peinture, et j’ai fait énormément de grands tableaux.
Aviez-vous un retard mental ?
Je n’étais pas totalement idiot, non, mais toujours un peu étrange. Je suis sorti pour la première fois seul dans la rue à 18 ans. Je passais mes journées à ne rien faire, peindre, compter les voitures qui passaient. De petites occupations maniaques. Il faut dire que ma famille était assez particulière. Pour en savoir plus, lisez le livre de mon neveu Christophe, La Cache (éd. Stock, 2015).
L’avez-vous lu, ce livre ?
Naturellement.
Parce que, plusieurs fois, vous avez dit : « Je ne lis pas », « J’ai beaucoup de mal à lire ». On vous a cru non seulement arriéré mental, mais quasi analphabète…
Ce n’est pas tout à fait vrai. J’ai de grands manques. Je n’ai jamais lu Balzac ni Zola. Je n’ai pas lu non plus les livres de ma mère, qui était romancière. Je ne veux pas porter un regard sur son travail. Mais, sinon, j’ai beaucoup lu. Tout Proust, par exemple. Tout Perec et tout Modiano, aussi. Ce sont les deux écrivains contemporains dont je me sens le plus proche.
Et « La Cache », donc…
Oui. Grâce à mon neveu, cette histoire familiale va vivre encore quelque temps. Cela me touche, car mon activité principale est de lutter contre l’oubli, la disparition. Pas seulement celle de mon histoire. Toute histoire est singulière, chacune pourrait être l’objet d’un livre. Après 60 ans, chacun pourrait même avoir son propre musée. On s’en amuse avec mon ami Jacques Roubaud. Avant 60 ans, on serait gardien du musée des autres. Après, directeur de son musée. Cela réduirait le chômage !
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